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catastrophe

  • ALGERIE:Catastrophes “ordinaires”

     

    Par : Mustapha Hammouche

    L’Algérie brûle. 21 000 hectares sont partis en fumée entre le 1er juin et le 11 août, selon le directeur des parcs, de la faune et de la flore. Bien avant, c’était plus de 25 000 hectares pour le directeur des forêts. Et plus tôt déjà, c’étaient 75 555 hectares pour la Protection civile.
    Le spectacle d’enfer d’un territoire qui brûle, d’une nature et d’une culture qui se consument  se transforme en chiffres malléables dans les bureaux. À chacun ses feux de forêt. Les grands parcs naturels — Djurdjura, Chréa... —  et les massifs forestiers — Khenchela, Skikda, Jijel… — brûlent ; des vergers sont carbonisés, en Kabylie notamment, et le responsable de la flore et la faune rassure : “Nous sommes encore très loin de la superficie moyenne de la période 1962/2007”, établie par le Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes, et “qui se situe dans une fourchette de 40 à 60 000 hectares”.
    Alors qu’on se demande pourquoi n’y a-t-il pas encore un Conseil des ministres pour concevoir une réaction à la hauteur de la tragédie économique et écologique, on apprend que nous avons encore de la marge en matière d’incendie. Le Conseil des ministres peut, donc, retourner à sa sieste estivale. De toute façon, d’autres catastrophes ordinaires n’arrivent pas encore à faire réagir les impassibles institutions nationales : les prix à la consommation qui triplent pour certains produits (navet, citron), la route qui atteint le record de huit à neuf victimes par jour, la rentrée scolaire qui pose déjà un problème de salles de classe…
    Pour les autorités, les prix qui flambent inquiètent sûrement plus que la forêt qui s’enflamme. Car les forêts qui brûlent ne poussent personne à manifester. C’est à peine si les complaintes des paysans et des arboriculteurs qui y ont laissé leur gagne-pain parviennent jusqu’à nous. Les routes meurtrières, non plus, ne provoquent point d’émeutes. Ou si ! Des protestations locales qu’on tait avec une pose de dos d’âne. À Montréal, des riverains viennent d’obtenir une décision de pose de dos d’âne sur une rue adjacente à la trente-cinquième avenue après… vingt-deux ans de procédure. En Algérie, on en met partout, parce que les véhicules automobiles, les deux-roues et les piétons peuvent circuler sur la même voie.
    La forêt et la route sont ingérables, parce qu’on ne sait pas qui est en charge d’y faire régner l’ordre. Qui de l’agriculture, de l’environnement ou de la Protection civile est chargé de la protection des territoires boisés et cultivés contre le feu ? Qui des travaux publics, des transports, de la police et ou de la gendarmerie est en charge de protéger les usagers, légaux et illégaux, de la chaussée contre l’accident ?
    Faute de cahiers des charges précis, la catastrophe permanente tourne au concours de communication : pour une même réalité, à chacun ses chiffres et à chacun son discours.
    La forêt et la route ne font pas penser à un ministre. Contrairement à l’électricité, par exemple, dont la tutelle dut annoncer des investissements pour parer aux futures coupures de courant. Mais là où il y a le feu et la mort, on ne perçoit pas d’inquiétude officielle.
    Peut-être que le sang-froid des autorités s’explique par le fait que ces catastrophes “ordinaires”, pour destructrices qu’elles sont, ne suscitent pas d’émeute.