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ce que je crains

  • Révision de la constitution : ce que je sais, ce que je crains

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    L’ancien ministre Abdelaziz Rehabi voit trois grands risques pour l’Algérie si la Constitution venait à être révisée. Son article.

    Nous assistons aujourd’hui, à 15 mois des présidentielles — délai déraisonnable qui fait du Président Bouteflika plus un lièvre qu’un candidat potentiel — à une agitation politique qui aura atteint pour l’instant, l’effet recherché : occuper tout le monde avec cette question subsidiaire pour ne pas avoir à rendre compte au peuple algérien des véritables problèmes de la société et des défis de son époque.
    Alors la question que peut légitimement se poser tout Algérien est celle de savoir que fait le pays aujourd’hui.
    Une partie de la réponse est que toute l’énergie politico-juridique du pays a été mise au service de la révision de la seule Loi qui n’avait pas besoin d’être amendée pour aboutir à peu près à ceci : 3 projets institutionnels qui proposent un troisième mandat de 5 ans, un 4e projet prône une formule aménagée de deux mandats de 7 ans avec une disposition transitoire qui ferait que le mandat actuel se prolongerait jusqu’à 2011, un 5e texte sous forme de mouture du FLN propose un 3e mandat avec un vice-président issu de la majorité qui ferait fonction de coordonnateur de l’action gouvernementale et succéderait au Président en cas de vacance du pouvoir et enfin, quelques travaux d’autorités juridiques nationales et internationales reconnues.
    L’opportunité ou pas de réviser la loi fondamentale suppose que la vie institutionnelle d’une nation est vraiment réglée par la Constitution. Révise-t-on une constitution autrement que pour consolider les libertés individuelles et collectives ? Puisque les tenants du pouvoir du moment en ont décidé ainsi, peut-il en être autrement ? A cette question, on peut répondre par l’affirmative en regardant notre propre parcours historique et en nous inspirant de ce qui se fait de mieux ailleurs. Notre histoire contemporaine nous enseigne que la première Constitution commandée par Ben Bella a été élaborée en 1963 en marge des institutions qui plus est, dans une salle de cinéma d’Alger. Prenant prétexte des « troubles » en Kabylie, Ben Bella la suspend quelques semaines plus tard et Boumediène s’en est accommodée jusqu’en 1976, pour consacrer la primauté des choix idéologiques dominants au sein du pouvoir. Celle de février 1989 a tenu compte d’une demande sociale de changement portée par les événements d’octobre 1988 et a introduit le pluralisme politique. Elle n’est donc pas le fait de l’évolution normale du système politique — pas plus que la reconnaissance du Tamazight comme langue nationale — mais le résultat d’une révolte populaire spontanée, que tout le monde veut récupérer pour la présenter comme l‘expression d’une lutte à l’intérieur du système et confisquer ainsi le sacrifice de cette fougueuse jeunesse sans laquelle cette relative liberté d’expression n’aurait pas existé.
    D’ailleurs, le 3e mandat de Chadli Bendjeddid en janvier 1989, n’avait pas réuni le consensus habituel au sein du pouvoir et ceci représente une des conséquences majeures d’octobre 1988 et la première remise en cause de la source principale du pouvoir personnel.
    Enfin, la Constitution de novembre 1996 toujours en vigueur, a été discutée dans un contexte marqué par une grave crise politique interne et se voulait comme la synthèse de l’expérience institutionnelle des 40 dernières années. A ce titre, elle a consacré le principe de l’équilibre des pouvoirs en instituant la deuxième chambre en tenant compte de l’expérience de la crise institutionnelle issue de la dissolution de l’APN en 1992 et a adopté la règle de la limitation des mandats pour favoriser l’alternance démocratique au pouvoir et atténuer les effets du pouvoir personnel que l’Algérie porte comme une tare depuis le mouvement national.
    A ce propos, je peux témoigner, sans risque de me faire démentir, que l’avant projet de Constitution présenté à l’été 1996 par le Président Liamine Zéroual proposait un seul mandat de 7 ans non-renouvelable, tout comme le Mexique d’ailleurs (6 ans). Il aura fallu beaucoup d’insistance de la commission politique instituée à cet effet pour l’amener à admettre le principe d’un mandat renouvelable une seule fois, ce qui est par ailleurs le principe dominant dans le monde. Il est vrai que là nous avions affaire à un homme d’Etat, pas à un homme de pouvoir.

    Il ne sera pas aisé de remobiliser la société

    Aujourd’hui, nous assistons à la résurgence du terrorisme sous les effets conjugués de l’ambiguïté du discours officiel et de l’impunité qui ont nourri la démobilisation de la société. Avec bien moins de moyens et bien avant les attentats contre les USA, l’Espagne et la Grande-Bretagne qui font aujourd’hui l’essentiel de la politique antiterroriste internationale, l’Algérie avait réussi à construire une culture de l’unité contre le terrorisme et sensibilisé la communauté internationale sur le caractère transnational, global et non religieux du terrorisme. Il ne sera pas aisé de remobiliser une société qui a payé le prix fort et qui a le sentiment d’avoir été spoliée de sa victoire contre la violence, confisquée par ceux qui prétendent avoir ramené la paix. Le peuple n’est pas cette masse de manœuvre qu’on convoque, sa prise de conscience est tangible et sa mobilisation inversement proportionnelle au mépris qu’on affiche à son égard. Tout autant que pour la Guerre de libération, ce sont les plus faibles d’entre nous qui ont le plus donné pour la sortie de la crise et ils ouvrent droit à la reconnaissance et à la gratitude de la Nation.
    Nous enregistrons ainsi, la troisième confiscation après celle de l’indépendance, selon la formule de Ferhat Abbès et des événements d’octobre.
    La deuxième grande menace occultée par la fièvre de fin de mandat réside dans l’affaiblissement des institutions de la République qui n’inquiète ni le gouvernement ni l’opposition au profit — en apparence —du président de la République qui a tout centralisé à son niveau et a précipité ainsi la fragilisation des pouvoirs publics réduits à attendre les injonctions, tout comme sous Ben Bella de 1962 à 1965.

    Le risque de « colombianisation »

    Ceci représente un risque sérieux parce que des lobbies politico-financiers se substituent à l’Etat, l’espace d’une campagne et minent son autorité. Au rythme excessif des suffrages chez nous, considérant le poids de l’argent de l’informel — 40% du PIB selon le ministre M. Temmar et tenant compte des dernières élections législatives et communales — il n’est pas irréaliste de voir des milieux occultes imposer leur candidat aux plus hautes fonctions de l’Etat dans la meilleure des hypothèses en 2019. La déliquescence de l’Etat précipite le changement même de sa nature, quand il n’est pas porté par un idéal. Alors, la « colombianisation » rampante du pays ne sera plus une vue de l’esprit d’autant que les mutations profondes de notre société n’ont pas toujours été appréhendées avec la perspicacité nécessaire et l’anticipation adéquate. Ceci explique en bonne partie le caractère violent des crises successives qui ont marqué l’histoire moderne de l’Algérie et le caractère frondeur de notre peuple. Il y a une société très forte qui marche toute seule et des hommes qui se forgent sans dignité des destins individuels et dans l’impunité des fortunes colossales. Parmi ces hommes, on compte les plus fervents adeptes d’un sursis à la mandature actuelle plus pour des intérêts de clans ou personnels que pour tout autre chose. Même si ceci n’est pas propre aux dirigeants actuels, ils doivent se résigner au fait que les temps changent et que ce qui était valable hier ne l’est plus aujourd’hui.
    Le président de la République aurait gagné en honneur et les institutions en crédibilité s’il avait lui-même fermement appelé au respect de l’ordre constitutionnel au lieu de couvrir les appels à sa violation ; libre à lui évidemment, d’adopter les formes légales qui sauvent l’apparence d’une telle opération.

    Relance de la corruption

    Enfin, la troisième grande menace revêt un caractère socio-économique. Notre économie que l’on peut qualifier d’économie « capuccino », en raison de l’effet moussant des hydrocarbures qui cache la médiocrité des autres indicateurs à défaut de générer une prospérité partagée, a alimenté la généralisation du phénomène de la corruption sous toutes ses formes et à tous les niveaux. Elle l’a élevée au rang de facteur de régulation socio- économique et constitue de ce fait, la première menace contre la sécurité nationale dans la mesure où la corruption est la négation de la règle du droit ou au mieux se substitue à elle dans la société. La lutte contre la corruption appelle l’association d’une ferme volonté politique à une justice indépendante. Rien n’indique au cours de ces dix dernières années que le pays a avancé dans ce domaine ; au contraire, jamais depuis 1965 la justice n’a été autant instrumentalisée par le pouvoir politique et le magistrat soumis à autant de pressions de toute nature. Il est inutile de rappeler les scandales financiers connus dans lesquels le préjudice porté aux finances publiques, donc à l’argent du peuple qui est évalué à plus de 25 milliards de dollars (Khalifa, Bna, Bcia, Pndra, Brc, créances douteuses des banques… ) ou les procès politiques. Cette situation a été rendue possible en partie parce que les institutions élues n’ont pas rempli leur mission de contrôle populaire comme l’APN qui n’a pas diligenté une seule commission parlementaire d’enquête pour déterminer les responsabilités politiques et autres dans la tragédie de Bab El oued, le séisme de Boumerdès, la répression contre le mouvement citoyen en Kabylie, sur le phénomène harraga : manifestation cruelle du naufrage de la politique qui l’a provoqué et le stade suprême du déshonneur national. Cette auguste Assemblée n’a pas, plus que le Conseil de la nation, élaboré une seule proposition de loi de nature à protéger le juge et le justiciable, encourager le progrès social et améliorer le quotidien de l’Algérien. Elles sont pourtant prêtes à cautionner tout le reste. La grille d’analyse qui structure la compréhension du monde peu différer, mais immanquablement nous rappelle que les défis du monde d’aujourd’hui sont dans la valorisation des ressources humaines, le niveau de diffusion des nouvelles technologies et la bonne gouvernance. La Chine est passée du XIXe au XXIe siècle, l’Amérique latine compte parmi les continents émergents, l’Asie également, le Mali et la Mauritanie ont réussi leur transition, Mandela a donné la mesure de sa dimension en instaurant la démocratie et l’Algérie puise son inspiration dans la partie du monde qui accuse le plus grand retard : le monde arabe. Elle s’installe de ce fait, qu’à Dieu ne plaise, dans un sultanisme populaire archaïque et débridé. Il est enfin difficile de résister à la tentation de citer Khalil Gibran dans les circonstances actuelles de l’Algérie : « Malheur à la nation dont les hommes raisonnables sont muets, les forts aveugles et les habiles bavards. Malheur à la nation dans laquelle chaque tribu agit en nation ». Pauvre destin pour un grand peuple.

    Abdelaziz Rahabi