L’ancien chef de gouvernement a mis le doigt sur la plaie lorsqu’il évoquait, hier, l’échec de la transition du pouvoir militaire vers le civil durant le mandat de Bouteflika.Son diagnostic, sans complaisance du système politique algérien, dont il a ajourné toutes les réformes jusqu’à l’émergence des forces démocratiques dans la société, lève le voile sur les tares de la gestion d’un pays qui doit très vite retrouver sa voie.
Abdelaziz Bouteflika a échoué dans l’éloignement des militaires des centres de décision. La transition qui devait commencer en 1999 avec l’arrivée au pouvoir d’un président civil n’a pas abouti. Ce constat est dressé par Redha Malek, ancien chef de gouvernement, dans un volumineux livre, paru à Alger aux éditions Casbah, Guerre de libération et révolution démocratique, écrits d’hier et d’aujourd’hui. «L’élection en 1999 de Abdelaziz Bouteflika – à l’appel encore une fois de l’armée, présenté officieusement comme ‘le candidat le moins mauvais’ – contribua à mettre une sourdine aux interventions de l’institution militaire dans la gestion des affaires gouvernementales. Le nouveau président déclarait à qui voulait l’entendre qu’il refusait d’être qu’’un trois quarts de président’.
Mais les conditions dans lesquelles s’exerçait le pouvoir ne permettaient pas à l’armée de renoncer à ses responsabilités débordant largement du domaine sécuritaire», écrit-il. Il a rappelé que le général de corps d’armée Mohamed Lamari, aujourd’hui à la retraite, avait appelé à un retrait de l’armée de la vie politique. En 2004, Bouteflika, qui venait à peine de succéder à lui-même, avait dit que l’armée était appelée à «retrouver sa place au sein de la société dans le cadre du fonctionnement normal des institutions». Bouteflika ne cachait pas sa volonté d’être le chef de toutes les armées. D’où son refus de nommer un ministre de la Défense avec des prérogatives définies. «La réalité des faits est restée sans changement et plus d’un acteur politique en eut pour ses frais», relève Redha Malek. Autrement dit, toutes les lectures et analyses qui évoquaient, au début du deuxième mandat de Bouteflika, la fin de l’intervention des généraux dans la politique, étaient fausses.
L’hebdomadaire Jeune Afrique, qui n’a pas cessé de faire du marketing pour la gestion de l’actuel locataire du Palais d’El Mouradia, avait même écrit ceci : «Réélu avec près de 85% des suffrages, Abdelaziz Bouteflika est toujours, et plus que jamais, le grand patron. Face à lui ? Rien (…) La presse mise au pas, l’armée reléguée dans ses casernes. Désormais, l’Assemblée populaire nationale (APN) et le Sénat ‘roulent’ comme un seul homme pour ‘Boutef’.» Pour l’ancien porte-parole de la délégation algérienne à Evian, le blocage ne viendrait pas de «généraux» accrochés à leurs privilèges.
Cette analyse est simpliste, selon lui. «Un retrait de l’armée de la décision politique provoquerait une vacuité du pouvoir, que la société civile encore fragile et que les partis divisés sur des questions de fond n’arriveraient pas à combler», a-t-il noté, soulignant le risque d’anarchie. «Le dilemme est clair. La présence de l’armée au cœur du pouvoir n’est pas faite pour favoriser l’ancrage démocratique. D’autre part, son retrait pur et simple n’est pas de nature à favoriser automatiquement une alternative démocratique», a-t-il relevé. Aussi, suggère-t-il une «transition». Comment ? «Simultanément, les forces démocratiques doivent s’organiser afin de se constituer en force sociopolitique consistante, et que l’armée, de son côté, effectue graduellement son retrait de façon planifiée», a-t-il proposé.
«Le temps presse !»
Rencontré hier à la libraire du Tiers-Monde à Alger, à la faveur de la séance dédicace de son livre, Redha Malek a déclaré que cette transition ne sera possible que si la société bouge. «C’est la seule condition pour que les militaires commencent à se retirer petit à petit, surtout qu’ils l’ont dit à plusieurs reprises. Il faut un peu de temps. Mais le temps presse. Cette transition est possible et elle aura lieu», nous a-t-il expliqué. Il ne pense pas être «dur» avec les partis qualifiés pourtant d’être des «appareils du pouvoir» pour le cas du FLN et du RND. «Je n’attaque personne. Je donne des faits», a-t-il lancé. Les dirigeants du pays doivent, selon lui, prendre leurs responsabilités. «Dans quelques années, nous serons quarante millions d’habitants. On ne peut plus diriger quarante millions d’Algériens avec des méthodes vétustes !», a appuyé cet ancien ministre des Affaires étrangères. D’après lui, il y a un lien de continuité entre la guerre de Libération nationale et le développement de l’Algérie.
«L’identité algérienne est estampillée par sa Révolution. L’Algérie s’est faite et se fera elle-même. Cela restera valable pendant des siècles. Nous n’avons pas oublié Jughurta, il n’y pas de raison pour qu’on oublie les Zighout, Boudiaf et Ben M’hidi», a-t-il annoncé.
Une explication donnée après une question sur la déclaration de Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, relative aux relations algéro-françaises qui seraient plus simples après le départ de la génération d’indépendance. L’ancien ambassadeur d’Algérie en France, en ex-URSS et aux Etats-Unis a noté que son nouveau livre ne peut pas être assimilé à des mémoires. «Il s’agit de textes écrits à chaud, au cœur de l’événement. En les reproduisant aujourd’hui, on reproduit en quelque sorte l’atmosphère dans laquelle nous avions travaillé. C’est même plus que des mémoires en réalité, c’est une démonstration par a+b de ce que nous avions fait. On ne raconte pas des histoires. On donne des pièces de l’époque, des réflexions», a-t-il souligné. Pour lui, certains textes, qui remontent aux années 1950, ne sont pas encore connus des jeunes, d’autres sont des inédits.
Il a cité le dialogue avec l’internationaliste et compagnon de la libération français, Claude Bourdet, publié à la page 637 de l’ouvrage sous le titre : Occident et rationalité. «C’est un entretien que j’ai eu avec lui bien avant sa mort et qui aborde beaucoup de problèmes qui nous concernent», a-t-il précisé. Décédé en 1996, Claude Bourdet est connu surtout pour être un polémiste et un adversaire de «tous les totalitarismes». Il a, entre autres, publié A qui appartient Paris et L’Europe truquée ; supra-nationaliste. Redha Malek écrira-t-il ses mémoires ? «Peut-être ! Mais là, j’en ai profité pour mettre des notes, pour rappeler certaines choses concrètes», a-t-il répondu. Pour lui, l’inconsistance des institutions, le déclin du sentiment national et la perte du sens civique ne permettent pas une «interprétation sereine» du passé. «Les malheurs indicibles du présent sont automatiquement imputés à la Révolution transformée en boîte de Pandore historique», a-t-il regretté dans la préface du livre. Rédha Malek est auteur d’autres ouvrages tels que L’Algérie à Evian et Tradition et Révolution.
Fayçal Métaoui - EW