L’Algérie a donc ses réseaux de trafic de drogue et la drogue y est officiellement “présente partout”, selon l’Office de lutte contre la toxicomanie. C’est déjà un progrès que, sur certains fléaux, certaines institutions se soient départies de la fausse pudeur qui nous empêchait de nous regarder dans la réalité de notre détérioration sociale. On se souvient des ripostes effarouchées contre une avocate qui, l’an dernier, avançait le chiffre de huit mille maisons closes à Alger. On se souvient aussi de médecins nous rassurant, en dépit de leur fonction préventive, sur les risque de MST parce que “les mœurs de notre société nous préservent de ce fléau”.
C’était au temps où nous tirions un certain orgueil, et quelque arrogance, de notre “spécificité” culturelle : la prostitution, le sida, la drogue, enfin… l’enfer, c’est les autres. Aujourd’hui, l’information sécuritaire sur la lutte contre le trafic de drogue masque la communication sur l’épidémie toxicologique : un grave problème de sécurité et de santé publique est réduit à matraquage médiatique de bilan sur les “quintaux” et les “tonnes” de cannabis saisis et sur les “barons”. Comme les “émirs”, en matière de terrorisme, les barons qu’on croit en nombre semblent pulluler lorsqu’on considère le rythme auquel ils sont neutralisés.
De même que la prostitution, clandestine mais organisée et lucrative, prospère dans les alcôves feutrés et les hôtels standing, pendant qu’on pourchasse les couples dans les jardins publics et dans les sous-bois. Depuis longtemps cramponnée à l’illusion de sa pudicité et sa salubrité “traditionnelles”, la société ne voulait pas se regarder “évoluer” et le pouvoir ajoutait dans cet aveuglement hypocrite en servant au peuple un discours sur les “constantes nationales” qui facilite la fuite en avant. Toutes les dérives, du terrorisme à la toxicomanie, sont “étrangères à nos valeurs”. Mais les valeurs qui changent.
Puis, l’islamisme est tombé à point nommé pour faciliter la tâche d’un pouvoir qui ne demande qu’à se mettre, à moindre frais avec la norme sociale. Et la norme sociale, selon l’islam politique, est de soigner les apparences pour mieux dissimuler le fondement mafieux des castes politiques et cléricales. Un kamis ou un hidjab et des salamalecs normalisés : tels sont les signes d’adhésion à la norme sociale, les signes apparents de la piété. Alors, sus aux buveurs de bière et “dé-jeûneurs” de Ramadhan, transgressions détectables à l’odeur et à vue d’œil !
La société, ainsi dispensée de réprouver ce qui ne contredit pas les apparences, s’attaque, par commandos interposés aux bars et aux “casseurs” de jeûne, soutenue en cela par la force publique et l’appareil judiciaire. L’état ne se rend pas compte que la même société ne lui est d’aucun secours quand il s’agit de traquer la corruption, la drogue ou les prostitutions clandestines. Ces fléaux, invisibles et inodores, ne perturbent pas l’ordre public des pieux voisins que nous sommes devenus. Vains efforts alors que ceux d’un monsieur Sayah, par exemple : la cité des fidèles a remplacé la cité des citoyens et dicte la loi de ses mentors.
L’état est condamné à accompagner la décadence civique qu’il a, par calcul idéologique, suscitée, et qu’il a ensuite, par faiblesse, accompagnée, et qui a fini par le dépasser.
M. H.
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