 Le Monde 10 novembre 2010
Le Monde 10 novembre 2010La justice  peut-elle aider les peuples, notamment  ceux des pays du Sud, à lutter  contre la corruption de leurs dirigeants, qui  contribue à perpétuer  mauvaise gouvernance et pauvreté ? La Cour de cassation a  répondu par  l’affirmative, mardi 9 novembre, dans un arrêt de principe qui ouvre   aux organisations non gouvernementales (ONG) militant pour la  moralisation de la  vie publique un droit – jusque-là inédit en France –  de saisir la  justice.
C’est un  progrès notable sur la voie d’une  mondialisation de l’action en faveur  des droits de l’homme. Cette décision  confère aux ONG internationales  un pouvoir considérable, mais aussi des  responsabilités nouvelles.
La décision  de la plus haute juridiction française  va permettre l’ouverture d’une  enquête visant à établir l’origine des fonds  utilisés par trois chefs  d’Etat africains pour acquérir à Paris un  impressionnant patrimoine  immobilier et une flotte de voitures de luxe. L’ONG  Transparence  International France (TIF), à l’origine de la plainte, soupçonne le   Gabonais Omar Bongo (mort en 2009), le Congolais Denis Sassou Nguesso et   l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang, ainsi que leurs familles, du délit de   » recel  de détournement de fonds publics « , autrement dit d’avoir  utilisé l’argent de  l’Etat pour s’enrichir. Pour TIF, il s’agit  d’obtenir la restitution aux pays  concernés des fonds potentiellement  détournés.
En validant  la plainte, la Cour de cassation  contrarie le pouvoir exécutif : depuis  2007, celui-ci tente, par l’intermédiaire  du parquet, d’empêcher cette  enquête, qui exaspère plusieurs  » amis de la France  « . Omar Bongo  avait ainsi obtenu en 2008 de Nicolas Sarkozy la tête du  secrétaire  d’Etat à la coopération, Jean-Marie Bockel, coupable d’avoir dénoncé   publiquement la captation des richesses de leurs pays par des chefs  d’Etat  africains.
L’arrêt de la  Cour constitue aussi un nouvel  avertissement au gouvernement, qui  entend supprimer le juge d’instruction. Il  réaffirme le rôle central de  ce dernier, sans lequel de telles affaires  sensibles seraient  enterrées. Tel a bien failli être le cas de ce dossier des  »  biens mal  acquis « , qui fut, dans un premier temps, classé  » sans suite  » par  le  parquet. Là encore, la leçon d’indépendance donnée par les hauts  magistrats est  bienvenue en ces temps où, affaire Bettencourt aidant,  l’opinion a des raisons  de douter de la réalité de la séparation des  pouvoirs.
Enfin,  au-delà de son retentissement français et  africain, la décision de la  Cour de cassation esquisse les contours de nouveaux  droits pour la  société civile face à une mondialisation économique et financière   croissante. S’érigeant en porte-parole d’une citoyenneté mondiale, les  ONG  internationales sont amenées à jouer un rôle déterminant de  contrepoids dans les  immenses territoires ouverts à la corruption et  aux détournements de fonds par  la globalisation.
Pour être  légitime, ce pouvoir accru suppose  cependant que les ONG se soumettent  elles-mêmes aux obligations de démocratie et  de transparence qu’elles  entendent faire respecter partout dans le  monde.