La diplomatie algérienne en panne d’idées
S’il y a un domaine en Algérie que nos responsables recommandent de ne pas critiquer si possible, ou à tout le moins de traiter avec délicatesse, c’est bien la politique étrangère.
C’est à peu près le seul secteur de la vie nationale où le peuple n’a pas voix au chapitre, comme s’il ne devait pas s’occuper des choses qui ne le concernent pas. Ce constat vaut aussi et surtout pour la presse. A la moindre remarque sur les ratés de la diplomatie algérienne, nos honorables responsables du département ripostent par des communiqués étrangement virulents, frisant parfois la bienséance. Pour avoir maintes fois publié des articles qui ne caressent pas dans le sens du poil, notamment sur la gestion algérienne du Printemps arabe, El Watan a eu à subir l’avalanche littéraire du département de Mourad Medelci. Des répliques sèches qui s’apparentent, par leur ton franchement paternaliste, à des tentatives de faire taire ceux qui chantent une musique diplomatique autre que celle dictée par son excellence et son chef d’orchestre, le ministre des Affaires étrangères. Vous pouvez écrire à l’envi que l’Algérie est un pays miné par la corruption, que l’informel est institutionnalisé, que les morts votent et même que la France officielle a complexé nos responsables sur le devoir de mémoire (les déclarations scandaleuses d’Alain Juppé à Oran), mais vous n’avez presque pas le droit de poser un regard critique sur la politique étrangère de l’Algérie et la façon dont elle est menée.
Logiciel diplomatique en panne…
Le fait est que cette question n’a jamais été soumise à débat, y compris au Parlement où la fameuse commission des affaires étrangères se fait entendre uniquement à travers ses missions à l’étranger. Le ministre des Affaires étrangères n’a jamais été interrogé sur la gestion de son secteur ni sur le traitement diplomatique d’une quelconque affaire. S’il est vrai que le Parlement est outrageusement dominé par les partis au pouvoir (FLN, RND, MSP) qui imposent un ton monocorde, il est tout aussi vrai que le Président et son staff ont fait de la politique étrangère du pays un jardin secret où il n’est pas bon de fourrer son nez. On comprend alors mieux ces réactions épidermiques contre certains journalistes qui osent briser ce mur du silence pour ouvrir le débat.
Carriérisme
L’Algérie est loin des pays où la politique étrangère fait l’objet d’une conférence annuelle des ambassadeurs, ouverte aux journalistes, durant laquelle les ordres de mission sont remis à la lumière des enjeux du moment. Elle est aussi loin des pays où un chef de la diplomatie, un ambassadeur ou un consul est viré à la moindre incartade ou simplement parce que son âge avancé ne lui permet plus de rester connecté aux changements du monde, alors que son disque dur est encore branché sur la guerre froide… Cela étant dit, la diplomatie en Algérie est, dans l’imaginaire collectif, un secteur où il fait bon vivre avec des allers-retours (parfois des allers simples) aux quatre coins de la planète avec ce prestige d’y emmener sa famille et de mettre ses enfants dans de grands établissements d’enseignement, loin de l’école de Benbouzid et l’université de Harraoubia.
Le mot d’ordre, dans ce monde étrange, est de savoir se taire pour vivre heureux et mener sa carrière au bout. Même avec ce sentiment du devoir inaccompli pour certains. «Vous savez, dès demain je peux me faire recevoir par le président de ce pays, mais que vais-je lui dire, alors que je n’ai rien reçu d’Alger ?»
Cette confidence d’un brillant ambassadeur algérien encore en poste traduit toute l’impuissance de nos diplomates, pourtant chevronnés à suivre une politique étrangère enracinée dans le passé et qui a bien du mal à actualiser son logiciel. Faut-il souligner, in fine, que l’invisibilité de l’Algérie dans le monde décline fidèlement la nature antidémocratique du pouvoir en place, si prompt à soutenir les dictateurs honnis par leurs peuples. Les Algériens, qui ont manifesté une sympathie non feinte à l’égard des révoltes populaires de leurs voisins tunisiens, libyens, égyptiens et même syriens, ont du mal à décrypter les positions officielles – quand il y en avait – de l’Etat qui furent des chefs-d’œuvre d’imprécision et de confusion. Vue de l’étranger, l’Algérie est un pays fermé, presque autant que la Corée du Nord. La confession du nouvel ambassadeur du Japon, qui a déclaré à El Watan n’avoir pas pu encore récupérer ses bagages à l’aéroport d’Alger à cause de la bureaucratie, devrait être méditée…