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de l'etat-drs

  • Au coeur de l'Etat-DRS avec Mohamed Sifaoui

     

     

    Par | T
    Mohamed Sifaoui

    Mohamed Sifaoui publiera le 19 janvier prochain son livre : "Histoire secrète de l’Algérie indépendante : l’État-DRS" chez Nouveau Monde éditions. Nous l’avons rencontré pour les lecteurs du Matindz. Objectif ? En savoir un peu plus sur cet autre ouvrage consacré au régime algérien.

    Le Matindz : Moins d’une année après votre livre "Bouteflika, ses parrains et ses larbins", vous publiez, le 19 janvier prochain aux éditions Nouveau Monde, un livre enquête sur le DRS, les services de renseignement algériens. Comment avez-vous pu enquêter sur une telle structure alors que nous savons qu’il s’agit de l’un des services les plus opaques au monde ? 

    Mohamed Sifaoui : En vérité, mon enquête n’a pas porté spécifiquement sur le DRS. Il y a de cela quatre ans, lorsque j’ai commencé à comprendre qu’Abdelaziz Bouteflika allait, avec le soutien du général Mohamed Mediène et les hauts officiers de l’armée, briguer un troisième mandat, malgré ses échecs et l’état de déliquescence du pays, j’ai décidé d’abord d’exprimer clairement ma position devant un pouvoir qui continue de s’approprier les rênes du pays de manière antidémocratique, donc illégitime et ensuite de faire mon travail de journaliste et d’informer les Algériens et l’opinion internationale sur la réalité de ce régime qui, depuis l’indépendance, n’a eu de cesse d’avoir recours au bricolage et à la manipulation pour pérenniser un système à la fois archaïque, incompétent, mais, également, de plus en plus, corrompu qui est incontestablement, par son incapacité à construite un État moderne, générateur d’islamisme, d’intolérance et de terrorisme. J’ai donc décidé de rencontrer et d’interviewer, de manière formelle ou informelle, des responsables et des cadres algériens, civils et militaires, des observateurs étrangers et des diplomates, enfin tous ceux qui étaient susceptibles de m’apporter des éléments d’un puzzle qu’il me fallait essayer de reconstituer. J’ai engagé ce travail, à vrai dire, avec un regard neuf. Il fallait revisiter également les travaux des historiens sérieux et faire parler tous ceux qui avaient des éléments à communiquer sur différents segments de l’histoire algérienne ou plus particulièrement sur l’histoire du pouvoir algérien.

    Au cours de cette longue investigation, j’ai pu rencontrer quelques officiers du DRS, certains à la retraite et d’autres en activité. Ils m’ont parlé sous couvert de l’anonymat. Ce qui m’a frappé, c’est que de plus en plus de cadres des services, connus pourtant pour leur mutisme et leur discrétion, se sont progressivement mis, depuis 2008, à exprimer un certain mécontentement. J’ai senti, chez plusieurs d’entre eux, parfois de la déception et d’autre fois de l’amertume au regard des choix qui ont été ceux de la haute hiérarchie et qui, à l’évidence, sont loin de faire l’unanimité. Leurs témoignages sont importants et je les juge très crédibles, car contrairement à certains officiers ayant fait, notamment durant les années 1990, de pseudo "révélations fracassantes", ceux que j’ai interviewés n’ont d’une part, aucune sympathie pour l’islam politique et ne pourrons donc être traités d’islamistes, d’autre part, ils n’ont pas déserté à la suite d’une sanction, d’une frustration ou d’un différend avec un supérieur, comme ce fut le cas avec certains "dissidents" s’étant déjà exprimés et ne sont pas dans une démarche d’aigris avec une logique de "tous pourris". Ils m’ont d’ailleurs livré de graves informations que j’ai pu souvent recouper tantôt auprès de sources algériennes tantôt grâce à l’aide de quelques sources occidentales. 

    Justement que vous ont-ils révélé ? 

    Disons d’abord que le livre revient sur l’omniprésence des services dans la chose politique depuis leur création par Abdelhafid Boussouf en 1956. J’ai essayé de comprendre les différentes périodes : avant l’indépendance et ensuite la Sécurité militaire sous Ben Bella, Boumediène, Chadli enfin jusqu’à aujourd’hui. Les choses les plus intéressantes concernent, par exemple, les détails que j’ai pu recueillir à propos de trois crimes politiques : ceux ayant visé Khider, Krim et Mecili. J’ose espérer que ces nouveaux éléments complèteront ce que les Algériens savent déjà. Ensuite des faits beaucoup plus récents notamment à propos de l’assassinat de Mohamed Boudiaf et de la mort des moines de Tibhirine. Enfin, à propos du parcours et de la personnalité du général Mohamed Mediène alias Toufik, j’ai appris également beaucoup de choses. 

    Ne craignez-vous pas qu’on vous accuse d’alimenter la thèse du "qui tue qui ?"

    Pour fuir ses responsabilités, le pouvoir algérien et, singulièrement le DRS, dispose, en effet, de relais pour diaboliser tous ceux qui mettent le doigt sur les affaires qui le gênent. Oui je sais qu’on va m’accuser, peut-être y compris d’avoir assassiné Kennedy, je n’ignore pas non plus qu’on va mettre à contribution certains torchons, notamment un s’exprimant en langue arabe, pour crier au complot etc. J’ai fait souvent l’objet d’attaques de la part des islamistes quand je réalisais mes enquêtes pour montrer le caractère nihiliste des tenants de l’islam politique, je suis par conséquent habitué aux attaques. Quand on fait de l’investigation, on se fait forcément des ennemis puisqu’on touche à des sujets très sensibles, mais il fait assumer. Je pense que les lecteurs et les Algériens ne sont pas dupes.

    Je pense par ailleurs que le rôle d’un journaliste algérien aujourd’hui n’est pas de se soucier des conséquences d’un travail effectué, dans mon cas, quoi qu’on puisse en dire et en penser, avec sérieux et conscience, mais de penser avant tout à l’impérieuse nécessité de faire prendre conscience à une population trahie que ce régime qui n’a cessé de violer tout un pays va mener l’Algérie à la catastrophe. À la veille d’échéances importantes et dans un contexte compliqué, les citoyens doivent disposer d’un maximum d’informations. À eux ensuite de décider s’ils doivent continuer à applaudir ce système où le combattre de manière démocratique. 

    Je vais encore aller plus loin, et je l’ai précisé en introduction de mon livre, je délivre des informations qui contredisent y compris des thèses que j’ai moi-même défendu par le passé, car ne possédant pas les informations que je détiens aujourd’hui. C’est l’une des raisons qui m’a poussé d’ailleurs à adresser une lettre ouverte au général à la retraite Khaled Nezzar pour lui dire tout simplement : Monsieur, vous êtes un menteur ! 

    Je l’avais rencontré en 2002 et il m’avait alors juré la main sur le cœur, presque la larme à l’œil que les généraux étaient tous innocents. J’ai eu la naïveté de le croire. Ce fut une faute, probablement. Aujourd’hui, au regard des éléments que j’ai pu recueillir, je ne suis pas certain que certains généraux trouvent facilement le sommeil, je pense notamment à Khaled Nezzar, à Mohamed Mediène, à Kamel Abderrahmane, à Bachir Tartag et enfin à Djebbar M’henna, pour ne citer qu’eux. Les deux autres vers lesquels plusieurs témoins ont pointé l’index sont aujourd’hui décédés. Il s’agit de Smaïl Lamari et de Larbi Belkheïr. Pêle-mêle, ce sont, j’en suis aujourd’hui convaincu, les officiers qui, à des degrés divers, sont largement responsables de la situation. Par leur choix, par un cynisme parfois meurtrier, par leur volonté de sauver un système moribond et par leur incompétence, ils ont fait prendre au pays trois décennies de retard. Il ne s’agit pas de dédouaner les terroristes ou de nier la dangerosité des défenseurs de l’État théocratique, mais il va sans dire que les islamistes n’auraient jamais essaimé à ce point en Algérie si ce pouvoir, ou certains responsables ayant servi ce pouvoir, n’avaient pas, à travers des choix surréalistes, joué avec le feu et ce, depuis l’indépendance du pays. Ce régime est lui-même générateur d’islamisme. Il en a fait même un allié stratégique. D’autre part, les thèses du "qui tue qui ?" et les principes défendus par le groupe dit de Sant’Egidio au milieu des années 1990 sont aujourd’hui ceux du régime. Celui qui défend le "qui tue qui ?", c’est celui qui indirectement vous dit aujourd’hui Mezrag, Hattab, Belhadjar et les autres assassins n’ont tué personne. Alors je pose la question : Qui a tué près de 200 000 Algériens ? Et pourquoi ceux qui ont ôté des vies ne sont-ils pas, outre les seconds couteaux, jugés et condamnés ? Ceux qui défendent le "qui tue qui ?" sont ceux qui ont décidé d’amnistier des terroristes et d’adopter un discours négationniste au mépris des victimes. Et j’ajouterai que le principal partisan de cette thèse est aujourd’hui un allié discret, mais un allié quand même du régime.  

    Lire la suite de l'entretien ici : http://www.freealgerie.com/debat-du-jour/229-au-coeur-de-letat-drs-avec-mohamed-sifaoui.html