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du commandeur

  • Le 5 Juillet en portrait du commandeur

    CARACALLA A SURCHARGÉ LE RÈGNE DE BOUTEFLIKA

     

    Par : Sara Kharfi

    Le spectacle, qui s’ouvre sur un poème dédié aux martyrs, nous place par la suite dans une salle de cours, dans une faculté où les étudiants, libres et heureux, jouissent pleinement de leurs droits. L’enseignant (Belkacem Zitout) entre dans la salle de cours et leur dispense une leçon d’histoire. Il leur rappelle les sacrifices des martyrs et moudjahidine pour que vive l’Algérie libre et indépendante.

    “Les Héros du destin”, dans le spectacle d’Abdel-Halim Caracalla, se comptent sur les doigts d’une seule main. Ils sont représentés par les dirigeants du pays. Le peuple, ce personnage désincarné n’est rien d’autre qu’une entité abstraite qui sort dans les rues pour saluer les accomplissements de ceux qui ont déjà tout pensé pour lui. Une grande masse ! Les anniversaires se fêtent, et certains plus que d’autres. Ceux-là, en raison de leur charge historique et symbolique, imposent des choix cérémoniels. Ils exigent de montrer le caractère exceptionnel des dates qu’on honore et ne sont, par leur subjectivité ou qualité, rarement exempts de critiques.  Dans le cas de la soirée organisée, mercredi soir au Casif de Sidi-Fredj, pour saluer officiellement la journée du retour officiel de l’Algérie au monde après la douloureuse parenthèse coloniale, ces critiques ont été déclinées sous forme de question : “Fête-t-on le Président ou les cinquante ans d’Indépendance du pays ?” Produit par les ministères de la Culture et des Moudjahidine et l’ONCI, ce spectacle intitulé “Les Héros du destin”, montré mercredi soir devant le chef de l’État, a été conçu en totalité par le Libanais Abdel-Halim Caracalla.
    Les quelque 800 personnes qui ont pris part à ce projet (40 comédiens, 40 chanteurs, 70 danseurs de ballet, 100 troupes folkloriques, 250 danseurs de hip-hop, 300 techniciens) devaient, pour la circonstance, restituer sous forme de fresque chorégraphique le combat des Algériens pendant la Révolution ainsi que les cinquante ans d’une Indépendance au cours de laquelle ils ont (re)construit leur État et leur pays.  
    D’une durée d’une heure quarante minutes, le spectacle, qui s’ouvre sur un poème dédié aux martyrs, nous place par la suite dans une salle de cours, dans une faculté où les étudiants, libres et heureux, jouissent pleinement de leurs droits. L’enseignant (Belkacem Zitout) entre dans la salle de cours et leur dispense une leçon d’histoire. Il leur rappelle les sacrifices des martyrs et moudjahidine pour que vive l’Algérie libre et indépendante. Puis le temps remonte. Le décor change. Nous sommes dans l’année 1962, et l’OAS sème la terreur dans les rues d’Alger. Trois officiers méditent sur leur devenir car sachant pertinemment que l’Algérie, et suite à la signature des accords d’Évian, leur échappera… leur échappe déjà ! Le jour de l’Indépendance finit par arriver et la joie et l’exaltation du peuple algérien sont représentées sur scène par des danses, des chants ainsi que des images d’archives. Abdel-Halim Caracalla nous présente, de manière très scolaire, les présidents de l’Algérie indépendante (Ahmed Ben Bella, Houari Boumediene, Rabah Bitat (président par intérim), Chadli Bendjedid, Ali Kafi, Mohamed Boudiaf, Liamine Zeroual, Abdelaziz Bouteflika à qui une grande partie du spectacle a été consacrée).  Caracalla oublie d’évoquer l’assassinat de Boudiaf, consacre une poignée de secondes à Ahmed Ben Bella, s’attarde sur l’ère Boumediene (révolution agraire, accès gratuit à la santé et à l’enseignement, barrage vert, la construction du monument au Martyr) — le seul qui sera incarné sur scène — et consacre la deuxième partie de son spectacle à l’actuel chef de l’État qu’il présente comme “un sauveur” et “un guide éclairé”.

    Et le peuple dans tout ça !
    La douloureuse période de la décennie noire (la meilleure partie du spectacle) est représentée par des danseurs vêtus de capes. L’accent est mis sur la paranoïa qui s’installe, et la fracture sociale que cette difficile période a engendrée. Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, vient à la rescousse du pays lui permettant de retrouver sa stabilité, grâce à la Charte pour la paix et la réconciliation nationale.  La dernière partie du spectacle s’est articulée autour de danses folkloriques, une manière de rallonger le spectacle qui n’avait pas beaucoup de consistance, ni sur le plan thématique, ni sur le plan visuel. Le décor était parfois contraignant pour les comédiens-danseurs, limitant ainsi leurs déplacements sur scène.  Les tenues que portaient les participants à ce spectacle n’avaient rien d’algérien, et encore moins la musique, même si l’on a reconnu de célèbres morceaux, comme “Ya Mohamed mabrouk aâlik” de Abderrahmane Aziz, “Ayemma aâzizen ouretsrou” de Farid Ali, la musique de “Rym el aâchoua” (sur laquelle de nouvelles paroles ont été greffées), ou encore “Qum Tara”.  On entend également un petit extrait de “Ilyadat el-djazaïr” du poète de la Révolution Moufdi Zakaria. Des artistes comme Mohamed Lamine, Massi et une pléiade de chanteurs issus de “Alhane wa chabab” ont animé ce show.
    Au final, il semble qu’Abdel-Halim Caracalla ait souhaité raconter les cinquante dernières années de l’Algérie indépendante, mais la manière dont il l’a fait, le temps court, s’est révélée expéditive et trop scolaire.  Sans surprises, sans nuances, “les Héros du destin” sont en fin de compte, les chefs d’État et leurs accomplissements. Caracalla, qui semble ignorer beaucoup de choses de notre histoire nationale, a omis bien des  personnalités qui ont également bâti l’Algérie et qui auraient dû figurer dans son spectacle. Du moins, d’après la façon dont il l’a conçu.  Le peuple, quant à lui, est un personnage désincarné. Il est une masse, une foule indistincte qui ne fait que défiler dans les rues et saluer ce qu’on a fait et pensé pour elle. Il n’y a, dans le spectacle, ni artistes, ni intellectuels qui ont fait également cette Algérie indépendante. Les spectateurs invités ont affiché une certaine “déception” quant à ce spectacle qui a oublié les évènements les plus marquants de l’Algérie indépendante, comme “les évènements du 5 Octobre 1988”. D’autres encore, notamment des confrères se sont demandés pourquoi il a fallu “faire appel à un chorégraphe libanais qui a écrit en un temps record un spectacle qui laisse planer beaucoup d’ombres”. En cinquante années d’Indépendance, n’avons-nous pas formé de chorégraphes ?
    Des personnes sont allées encore plus loin en commentant : “Le spectacle est signé d’un Libanais, le Casif a été agrandi sous la direction d’Italiens, et le feu d’artifice est l’œuvre de Chinois ! Où sont les Algériens ?” ; et d’autres se sont demandés “pourquoi Caracalla a réduit les cinquante dernières années à une seule personne ?” Suite à cette représentation qui a laissé comme un goût d’inachevé, M. Bouteflika a reçu un cadeau de la part du chorégraphe : une cape tissée au Liban. Il s’est, ensuite, dirigé avec le Premier ministre, les membres du gouvernement et les invités au port de Sidi-Fredj pour écouter l’hymne national algérien, interprété par la Garde républicaine, et admirer le magnifique feu d’artifice.