Par : Mustapha Hammouche
Notre confrère la Tribune a fait part de l’initiative d’un citoyen qui souhaite rétrocéder une concession agricole de quatorze hectares à l’État, à condition que le terrain soit ensuite rétrocédé à l’AADL pour y construire quatre mille logements à des souscripteurs du programme 2001, mais qui n’ont pas bénéficié de l’affectation promise par l’organisme en question.
Il est bien précisé que c’est “un bien de l’État que l’homme en question veut remettre à l’État, mais pas dans n’importe quelle condition”.
Il n’y a pas de doute que ce monsieur et son père soient animés d’un réel sentiment de solidarité. Il n’y a pas de doute, non plus, que les laissés-pour-compte des programmes AADL méritent d’être soutenus et aidés dans la recherche des moyens de faire valoir leur droit.
Il n’y a pas de doute, en fin, qu’il serait plus approprié que ce soit eux qui bénéficient d’une éventuelle opportunité immobilière que “les affairistes et les spéculateurs” qui, apparemment, la convoitent.
Mais la démarche des généreux concessionnaires, pour louable qu’elle soit dans son esprit, illustre ce qu’on peut appeler la culture patrimoniale en Algérie. Cette propension à vouloir décider de l’usage et de la destination des biens publics dont la concession ou la gestion nous échoit. C’est la pratique, dans le pouvoir, de cette prérogative, informelle mais répandue, de répartition qui est à l’origine de la banalisation de ce sentiment de propriété sur les patrimoines publics qui nous sont confiés à un titre ou à un autre.
C’est visiblement sûr de la majesté de leur geste que le fils “donateur” du terrain veut y associer le président de la république “pour que les choses soient faites selon la volonté du père”.
Il est surtout convaincu que l’État lui-même devrait apprécier sa proposition comme une contribution au bonheur populaire et l’œuvre de justice nationale.
Rien de plus normal, dans un contexte où le citoyen entend tous les jours des responsables montrer leur disponibilité sélective en ces termes : “Voici mes coordonnées ; si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi.” Ce n’est plus les institutions qui règlent les problèmes, mais les hommes qui les occupent et ceux qui peuvent les approcher. Parfois pour le bien, et parfois pour le pire, chacun fait ce qu’il veut avec la part d’État qu’il détient. Selon ce pouvoir, on est “doula” ou on n’est pas.
Dans le même temps, il n’est point fait cas du fait que la bienveillante initiative doit détourner un terrain agricole de sa vocation vers la promotion immobilière. Il n’y a qu’un pays comme le nôtre qui puisse produire des agriculteurs qui, sans état d’âme, sacrifient un jardin pour l’amour du béton. Le destin tragique du domaine Bouchaoui éclaire sur l’adaptation mentale qui a rendu possible le bétonnage suicidaire des meilleures terres du pays. Après ma maison, mon immeuble, mon hangar ou mon usine, le déluge ! Au demeurant, c’est bien parce qu’on a macadamisé anarchiquement et cimenté ses alentours que la moindre abondance de pluie a des effets de déluge sur notre capitale.
Son usage étant plutôt régi par le rapport de force de volontés individuelles que par la loi, il est normal que le patrimoine national soit ainsi maltraité et gaspillé.
M. H.
musthammouche@yahoo.