Suivi d’un commentaire
- Un manifestant blessé prie, au Caire, le 3 février 2011
La demande pour un départ immédiat du président, Hosni Moubarak, est un "appel au chaos", a déclaré, jeudi 3 février 2011, le vice-président égyptien, Omar Souleimane, appelant les Frères musulmans, principale force de l’opposition, au dialogue, à la veille de nouvelles manifestations.
- Egypte
Des affrontements entre partisans et opposants au président Moubarak ont fait, depuis mercredi 2 février 2011, sur la place Tahrir, dans le centre du Caire, huit morts, selon un nouveau bilan du ministère égyptien de la Santé, cité par l’agence officielle Mena. L’appel au départ du président Moubarak est un "appel au chaos", a déclaré M. Souleimane, lors d’une interview à la télévision nationale, au 10e jour d’une vague de contestation sans précédent à travers le pays, et à la veille de nouvelles manifestations prévues par l’opposition. Les violences sont le résultat "d’un complot" fomenté par des gens en Egypte même ou à l’étranger, a déclaré M. Souleimane, nommé, samedi 30 janvier, au poste de vice-président, une fonction qui avait été abolie sous la présidence de Moubarak, à la tête de l’Etat. "Il est possible qu’il y ait plusieurs desseins étrangers, ou des Frères musulmans (...) ou de certains partis ou d’hommes d’affaires. La plupart de ceux qui sont toujours à la place Tahrir ont des desseins spécifiques", a-t-il ajouté, appelant l’opposition à quitter cette place emblématique qu’elle détient depuis vendredi 29 janvier, à l’issue d’affrontements meurtriers entre opposants et forces de l’ordre. Le vice-président, ancien chef des puissants services de renseignement, a toutefois appelé les Frères musulmans, bête noire du régime, à un dialogue avec le pouvoir. "Nous les avons contactés, ils ont été invités (...). Ils hésitent", a déclaré M. Souleimane. "Je dis qu’ils hésitent, ils ne refusent pas et il est de leur intérêt de (participer au) dialogue, qui est une occasion précieuse pour eux", a-t-il ajouté. Les Frères musulmans, qui participent aux manifestations anti-Moubarak, sont officiellement bannis de la sphère politique et font régulièrement l’objet d’arrestations, mais sont tolérés dans les faits et disposent d’influents réseaux d’aide sociale. Considérés comme la principale force d’opposition en Egypte, ils avaient remporté 20 % des sièges aux élections législatives de 2005. Ils ont boycotté le second tour des dernières législatives de novembre/décembre 2010 en accusant le régime de fraudes et de violences. La confrérie islamiste a annoncé qu’elle refusait que le président, Hosni Moubarak, reste à la tête de l’Etat jusqu’à la fin de son mandat en septembre. Le chef de l’Etat a affirmé qu’il ne comptait pas se représenter pour un sixième mandat. M. Souleimane a assuré, jeudi 3 février, que le fils du président Moubarak, Gamal, n’allait pas être candidat non plus à la présidentielle. Des conditions et des restrictions sur les candidatures à la présidence sont nécessaires pour que tout le monde soit rassuré à propos du futur dirigeant du pays", a précisé M. Souleimane.
Agence France Presse
- Omar Suleiman
Commentaire
Le blabla d’Omar Souleimane se distingue par son hypocrisie.
On mentionnera que cet individu, en tant que responsable des services secrets, était le tortionnaire en chef directement sous les ordres de Hosni Moubarak qui, bien entendu, approuvait ses méthodes. De ce fait, sa prétention de vouloir rassurer "à propos du futur dirigeant du pays" soulève d’évidentes questions quant aux critères envisagés pour sélectionner les candidats à la présidence. D’autant plus qu’Omar Souleimane et Hosni Moubarak, non contents d’être des tortionnaires, ont également favorisé un climat de corruption généralisée et mené une politique délibérée d’injustice sociale, sous prétexte de favoriser la compétitivité de l’économie égyptienne et dans le but d’engraisser l’oligarchie locale sur le dos de la masse de la population. Enfin, l’aspect chaotique de la situation actuelle est délibérément provoqué par eux, puisqu’ils sont derrière les agressions perpétrées par les partisans du régime (essentiellement des policiers et des voyous rémunérés) à l’encontre des manifestants et des journalistes. Autrement dit, là où il y avait des manifestations pacifiques, ils ont créé une logique de guerre civile, après quoi ils viennent se présenter comme des remparts contre le chaos. On relèvera qu’une tactique similaire a été utilisée, en Tunisie, par Zine El Abdine Ben Ali, qui avait lâché contre le peuple des tueurs et des voyous qui assassinaient et pillaient. Cette situation de chaos était ensuite attribuée aux manifestants, en sorte que Zine El Abdine Ben Ali puisse apparaître comme un rempart contre le chaos.
En réalité, quelle est la raison d’être du chaos ? Quand une situation s’oppose à la logique interne de l’intérêt général -le principe d’organisation de la création-, il se crée un problème fondamental. Ce problème fondamental suscite automatiquement des cascades de problèmes secondaires, qui suscitent eux-mêmes d’autres cascades de problèmes secondaires dans une logique de chaos grandissant. La logique interne du phénomène veut que le problème fondamental, à force de multiplier les cascades de problèmes secondaires, anéantisse l’environnement dont il dépend et s’anéantisse avec lui. Il s’agit donc fondamentalement d’un phénomène d’autodestruction.
En l’occurrence, le problème fondamental est le despotisme de Hosni Moubarak, avec tout ce qu’il implique de mépris à l’égard de la population. La répression féroce des opposants et la politique d’injustice sociale délibérément menées sont des problèmes secondaires suscités par le problème fondamental. Il en va de même de la corruption, laquelle était censée assurer au régime le soutien de l’oligarchie qui bénéficiait de cette corruption. Tout cela a eu pour conséquence de discréditer le régime en lui faisant perdre toute légitimité aux yeux de la masse de la population. La logique de chaos était à l’oeuvre, mais elle ne se manifestait pas publiquement, puisque l’opposition était muselée par la terreur ou emprisonnée. Dans ce contexte, la révolution n’est pas le chaos mais, bien au contraire, un phénomène visant à rétablir une société conforme à la logique interne de l’intérêt général. Bien entendu, il y a toujours le risque que cette révolution soit manipulée par des extrémistes ou des opportunistes désireux de substituer au despotisme abattu leur propre despotisme, mais un tel dévoiement s’oppose, lui aussi, à la logique interne de l’intérêt général et crée, lui aussi, une logique de chaos.
On constate qu’en Tunisie le gouvernement provisoire consécutif à la révolution contre Zine El Abdine Ben Ali n’a eu aucune peine à mettre un terme à la logique de chaos, parce qu’il a pris toute une série de décisions fondamentales conformes à la logique interne de l’intérêt général.
Pour résoudre un problème fondamental, la logique interne de l’intérêt général utilise deux méthodes. D’une part, elle déclenche l’autodestruction du problème. D’autre part, elle se sert d’un problème pour résoudre un problème complémentaire, par symbiose.
Frank BRUNNER
- Un partisan du régime capturé par des manifestants, au Caire, le 3 février 2011