Les "progrès" américains en Afghanistan revendiqués dans le rapport remis jeudi au président Barack Obama suscitent un certain scepticisme, tant chez les analystes qui suivent la situation sur place que pour l'homme de la rue.
"Selon moi, la stratégie américaine est un échec, parce que la sécurité empire de jour en jour", explique Mohammad Azim, 32 ans, agriculteur de la province de Dai Kundi, à environ 300 km au sud-ouest de Kaboul, où il est venu visiter un parent à l'hôpital.
"Les talibans ne sont pas sous pression dans les zones rurales", assure de son côté Abdullah, 22 ans, chauffeur de taxi malgré son diplôme d'ingénieur.
Habitant du Wardak (centre), province à forte présence talibane, limitrophe de celle de Kaboul, Mohammad Rahim, 27 ans, agriculteur lui aussi, constate que "les talibans ne sont pas affaiblis, mais se sont au contraire renforcés".
Venu lui aussi du Wardak où il est commerçant, Janat Gul, 65 ans, confirme: "Aujourd'hui, les Américains peuvent sembler victorieux, mais demain d'autres rejoindront les talibans".
Pour eux, c'est bien la stratégie américaine qui est en cause: "la raison (du renforcement des talibans) est la cruauté avec laquelle les Américains mènent leurs opérations au milieu de la nuit", selon Rahim, "celui dont la maison a été investie et fouillée sans raison, va faire évacuer sa famille de la zone et rejoindre les talibans".
"La question afghane ne se résoudra pas par la force, sinon les Russes occuperaient encore le pays", souligne de son côté Gul, en référence à l'invasion soviétique (1979-1989).
Pour Abdullah, les problèmes qui minent l'Afghanistan sont surtout "l'illétrisme, le manque de travail et la corruption de l'armée".
Les chercheurs internationaux de l'Afghan Analysts Network, une organisation basée à Kaboul, partagent largement ces analyses.
Le rapport américain "est extraordinairement optimiste", affirme Kate Clark, chercheuse à l'AAN, qui estime son évaluation de la situation "irréaliste".
Le rapport, indique-t-elle, "passe" sur de nombreux points, notamment "la progression de l'insurrection vers le nord et les communautés non-pachtounes", ethnie dont sont traditionnellement originaires les insurgés talibans.
"L'idée américaine que des progrès sont en cours est profondément inquiétante, parce qu'il est impossible d'imaginer comment la stratégie actuelle peut mener à la paix ou à la stabilité à long terme", poursuit la chercheuse.
Pour Omar Sharifi, un analyste politique afghan, la stratégie américaine est surtout incompréhensible pour la population: "plusieurs années à ne rien faire ou si peu contre la montée des talibans a troublé beaucoup de gens. Cela prendra du temps pour que la majorité des gens soit convaincue par l'opération militaire américaine ou comprenne si elle fonctionne".
Reste que, malgré les critiques, l'idée d'un retrait américain mi-2011 divise. Pour Mohammad Rahim, "si les Américains partent, il y aura la paix dans notre zone. Les gens ont connu la tristesse du conflit interne, cette fois ils ne se battront plus entre eux", veut-il croire, rappelant la guerre civile des années 90 qui avait succédé au retrait soviétique.
Malgré ses réserves, Mohammad Azim, lui, "ne souhaite pas un retrait des troupes américaines", qui, craint-il, aboutirait à un renforcement des talibans.
"L'idée de pouvoir être abandonné à nouveau hante réellement les gens", estime l'analyste Omar Sharifi qui craint que l'Afghanistan n'entre alors dans une "phase sanglante".
Pour Janat Gul, le commerçant du Wardak, la solution passe par "des pourparlers de paix avec les talibans, sinon, le conflit continuera de la même façon, avec ou sans retrait américain".