Par : Mustapha Hammouche
“Ne m'appelez plus la Grande muette” ! Vendredi, un communiqué du MDN rappelait que le monde a, depuis la Seconde Guerre mondiale, “subi de profondes mutations” et les militaires ont recouvré “leur droit de vote et d'expression”, rendant cette appellation inadéquate.
Il est vrai qu'on observe un usage facile et récurrent de pseudonymes de corporations dans la presse écrite francophone. Dans les titres arabophones, la traduction littérale est d'un effet encore plus déplorable. Une carence lexicale, qui trouve son origine dans la politique scolaire, doublée d'une paresse intellectuelle qui guette les professionnels de l'écriture au quotidien, explique peut-être l'abus de ces espèces de surnoms pour institutions ou catégories socioprofessionnelles. Les “soldats du feu”, les “robes noires”, les “blouses blanches”, les “cols blancs” sont autant d'expressions quotidiennement convoquées pour se substituer à la répétition. L'abus est dans la préférence observée du substitut à la dénomination originelle plutôt que dans ce qui n'est pas tout à fait un choix intentionnel de termes.
Il s'agit donc là, au pire, de la manifestation d'une imperfection professionnelle. Le communiqué du ministère de la Défense nationale motive son initiative par le fait que la désignation de “Grande muette” ne tienne pas compte des efforts de “médiatisation de l'ensemble de ses activités, la publication de communiqués et de mises au point” de “la diffusion de reportages sur les différentes composantes et activités de l'ANP” et de “l'organisation de portes ouvertes et de journées d'information où le citoyen algérien peut s'enquérir de près des structures relevant de l'ANP”. On pourrait croire qu'il y a là un simple souci de communication et d'image de l'institution. Mais en adressant son message “notamment pour ceux ayant du respect et de la considération envers cette institution républicaine”, il laisse entendre que l'usage de l'expression pourrait avoir quelque intention outrageuse. Or, la locution, elle-même, qui n'a pas été inventée et qui a gagné le statut de terme générique nommant les armées en général, soutient un vrai débat : celui du rôle politique de l'armée.
Depuis que De Gaulle a, par l'ordonnance d'août 1945, redonné la parole à l'armée, mettant fin à la pertinence de la formule de “Grande muette”, la question a évolué : du droit à l'expression des militaires à celle du droit à l'expression politique de l'armée.
Ce même vendredi, à Oran, le Président proclamait “le pays en danger” et comparaît la situation à celle de Novembre 1954. Sauf qu'il ne nous dit pas précisément qui, de son point de vue, est l'assaillant et qui est le libérateur. Curieux argument de campagne, puisque ce genre de situations appelle, plutôt que des élections, des initiatives de type salut national !
Toujours ce vendredi, Ali Benhadj et des compagnons se réclamant de l'ex-FIS donnaient de la voix du côté de Kouba. Comme pour nous rappeler que l'Algérie a toujours été mise en danger par ses dirigeants. Et ne fait que continuer de l'être.
En ce vendredi de communication subliminale, on ne discerne qu'un fait : le silence du peuple, ce grand sourd, que toutes les forces font taire depuis cinquante ans et qu'aujourd'hui tout le monde veut, plus que jamais, faire parler.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr