La Répression monétaire de l'Afrique
Eminent économiste africain du Cameroun, Tchundjang Pouémi décédé le 27 décembre 1984 avait mené une réflexion pénétrante et innovante sur la répression monétaire en Afrique, hissant le débat sur les cimes des questions théoriques fondamentales, autant que sur celles plus appliquées de domination, cernant avec à-propos la vassalisation tendancielle de l’Afrique par un FMI fabricant industrieux de misère. Son désormais classique
Monnaie, Servitude et Liberté [Editions MENAIBUC, 2ème édition, 2000] est un passage obligé dans la compréhension des asservissements par la monnaie, une critique du terrorisme monétariste obtus du FMI.
Instant Misery Fund, cette inscription, en 1979 figure sur une pancarte exhibée par des manifestants qui protestent devant le siège du FMI contre un crédit accordé au gouvernement du Général Somoza président du Nicaragua. De là Tchundjang Pouémi tire cette expression tellement appropriée au rôle macabre du FMI dans le monde pauvre, le Fonds de Misère Instantanée dont les interventions monopolistiques s’éternisent et se multiplient, laissant derrière elles une misère à chaque fois démultipliée. En fait il y a un rapport direct entre les stratégies d’intervention du FMI, son unique et standard modèle passe-partout pour être exact, et la génération d’une gamme complexe de situations de pauvreté pour le plus grand nombre.
Cependant le FMI représente d’abord une violence symbolique et une anomalie démocratique par ses effets de domination, de vassalisation exercés sur des gouvernements, des systèmes de légitimation à l’évidence pas toujours parfaits, mais pour d’aucuns plus ou moins représentatifs de collectivités indirectement humiliées …avant le désastre de l’après plan. L’inquisition menée avec morgue, arrogance et sur une allure martiale par le quartet ou le quintet d’experts du siège qui daignent se déplacer annuellement pour inspecter les comptes des Etats, en impose aux gouvernements, rabaissant l’autorité des pays, les insérant dans des codes de notations internes scolaires et infantilisants, terrorisant des titulaires de mandats administratifs et électoraux.
Une asymétrie de cette nature, se justifiant de l’argutie selon laquelle le FMI intervient à la demande des Etats -qui n’ont pas toujours le choix, contraints par les partenaires bilatéraux occidentaux- est malséante et inappropriée. De plus, le catalogue de mesures édictées par l’institution de Bretton woods implique de facto une remise des clés de la nation, de sa souveraineté économique aux firmes étrangères, occidentales, ce qui est à la fois inadmissible et très probablement anti-constitutionnel. Le président de la république étant souvent constitutionnellement garant du bien-être économique collectif…Etrange que les constitutionnalistes africains se soient laissés caporaliser sur un terrain qui leur offrait du grain à moudre et des batailles populaires à mener…
C’est bien entendu par son monétarisme étroit et incohérent que le FMI fabrique la pauvreté à la chaîne et de façon systématique. Précisons que son approche économique, dominée par les phénomènes monétaires et la nécessité de lutter contre l’inflation en priorité, en tant que les prix sont des signaux guidant les calculs des agents, conséquence de quoi la masse monétaire en circulation -crédits- devrait être limitée et très contrôlée, cette approche conduirait logiquement à bannir les systèmes de changes fixes -administrés et non issus du marché-, comme les francs CFA ou la zone euro par exemple. Le FMI s’en accommode pourtant, à l’opposé de la lettre monétariste. Bricolage…
Tout déséquilibre économique en appelle à une réponse FMiste unique, du Brésil en Afrique du Sud en passant par l’Inde, le Laos ou le Cap vert. Réduire la masse monétaire en rationnant le crédit, dévaluer les monnaies pour faire redémarrer les exportations, réduire les dépenses publiques, privatiser l’économie, libéraliser tous les secteurs, favoriser la préhension des secteurs lucratifs par les firmes occidentales…
Les prescriptions du FMI sont malheureusement à l’inverse des priorités évidentes de pays en développement frappés par la pauvreté de masse, des niveaux d’éducation et de santé publique très insuffisants. Car elles impliquent, décryptées, la réduction de la masse salariale le plus souvent par des licenciements de la fonction publique, la limitation des subventions aux secteurs agricoles, le primat de l’inflation sur la création de richesse, proposition délirante en contexte de sous-activité et de sous-emploi. Il vaudra toujours mieux d’avoir davantage d’inflation et des revenus viables plutôt que pas d’inflation et pas de revenus. De plus le préjugé sur la perte de compétitivité internationale liée à l’inflation est valable pour les exportateurs de produits manufacturés, pas dans les filières des matières premières où les prix locaux n’ont aucune incidence sur les cours mondiaux…Trivial.
Le FMI pêche bien encore par ses analyses autant que par ses préférences prétendument anti-inflationnistes. Selon sa science de bureau, une dévaluation stimule les exportations. Cela paraît vrai, mais peut s’avérer entièrement faux. Si d’ailleurs il suffisait de dévaluer pour résoudre les problèmes de balances commerciales cela se saurait. Le rapport dévaluation-exportations ne fonctionne pas à l’identique dans toutes les économies, lorsque les cours sont mondiaux le paysan batanga d’Afrique centrale ou l’agriculteur colombien subissent le prix et leur inflation locale n’affecte pas leurs performances à l’export. Le franc CFA dévalué ou réévalué n’a aucune incidence sur la demande mondiale de pétrole exprimée en dollars ou sur la demande de cacao exprimée en livres sterling.
A la hausse ou à la baisse, les monnaies africaines ne changeront rien aux marchés des produits de base qui dépendront toujours dans leur dynamique, de la demande occidentale, c’est à dire des besoins de la croissance de ces pays occidentaux. Hors ces considérations, les dévaluations africaines amenuisent les niveaux de vie locaux, accentuent la pauvreté de ceux qui ne peuvent répercuter le renchérissement du coût de la vie et des prix des biens importés sans incidence durable sur le solde extérieur.
Quant au déficit public qu’il faudrait naturellement contenir, tous les déficits ne se valent pas : il vaudrait mieux accepter un éventuel déficit sur les secteurs de capital humain, formateur des facteurs de production, de main d’œuvre qualifiée plutôt que d’empêcher la construction de routes, écoles ou hôpitaux…
Enfin l’analyse fondamentalement fausse du bricolage monétariste FMiste consiste à considérer que toute inflation provient d’un excès de circulation de la masse monétaire dans l’économie. S’il est vrai que l’inflation est au moins en partie un phénomène monétaire, il ne s’agit pas de prendre l’effet -hausse des prix- pour la cause -monnaie. En effet l’inflation peut résulter d’une mauvaise allocation de la masse monétaire, notamment par les financements irrationnels à l’instar des crédits politiques.
La croissance de la masse monétaire en circulation génère de l’inflation si fondamentalement l’économie est en plein-emploi, c’est à dire si des crédits supplémentaires ne peuvent augmenter le niveau de production arrivé à son maximum. Or faire une telle hypothèse implicite dans les économies africaines ressemblerait à une pathologie doctrinaire proche de l’autisme de anti-inflation.
Incapable ni de redresser les économies du Tiers-monde, ni de les conduire à une quelconque prospérité, il serait tant que le FMI abdique de ses missions africaines, que les Africains gèrent eux-mêmes leurs relations monétaires dans le cadre de structures collectives ou individuelles responsables et avisées.
© ZE Belinga