"Justice" aux ordres
Décidément quelque chose ne tourne pas rond dans notre pays. Il y a des rouages qui agissent et échappent à tout contrôle. Il y a des dépassements qui ne le sont plus. Puisqu’ils relèvent de pratiques indignes d’une République qui se veut respectueuse des droits de l’homme.
Mais que de poudre aux yeux ! Que de mensonges ! On croyait les années de plomb derrière nous, on espérait que ce que nous avions vécu, connu comme tortures, dépassements et disparitions pendant les dix ans de l’imprononçable guerre civile relevaient du passé. Mais non, le passé est toujours notre présent et l’avenir semble plus que jamais lointain.
Une série de faits, d’inqualifiables dépassements nous interpellent. Si tant est si bien que l’on désespère de voir un jour la justice se défaire de ses nombreux tuteurs. Jugez-en.
Un ancien agent du DRS, installé depuis quelques années en France qui disparait dès qu’il rentre en Algérie puis on le découvre emprisonné à Blida. Par qui et pourquoi ? Mystère ! Noureddine Belmouhoub, défenseur des droits de l’Homme algérien, porte-parole du Comité de défense des ex-internés des camps de sûreté (CDICS), a été enlevé en plein cœur d’Alger par trois hommes dimanche 23 octobre et embarqué dans une voiture banalisée. Il a été ensuite libéré dans la matinée du mercredi 26 octobre sans que la justice ne réagisse ni qu’aucune enquête ne soit évoquée. "Je vois mal le policier du coin ou l’officier du DRS venir me séquestrer pour le plaisir. Il y a une responsabilité qui vient de plus haut", a-t-il affirmé dans un entretien à El Watan. La déclaration est lourde de sens. Elle nous rappelle que le pays de justice pour lequel se sont battus nos aînés les moudjahidine et les défenseurs des droits de l’homme relève d’un vœu pieux.
Un maire, Mouhib Khatir, arrêté par des agents en civil comme un vulgaire voyou, maintenu en prison pour des motifs qui ne tiennent pas debout. comme souvent des notabilités aux pouvoirs démesurés mettent la pression sur la justice pour punir Mouhib Khatir d’avoir oser se dresser contre elles. Le courageux maire de Zéralda poursuit sa grève de la faim, seul dans sa cellule contre un système judiciaire inféodé aux puissances de l’argent et du pouvoir. Mohamed Baba Nejar, ce jeune Mozabite emprisonné à Khenchela, loin de son M’zab natal, est en train de faire lui aussi une grève de la faim. Selon le docteur Kamreddine Fakhar, il est déjà à son 26e jour de privation de toute nourriture. Sa revendication ? Un procès juste. Ce que la justice de notre pays ne semble pas capable de lui assurer comme d’ailleurs les autres cas évoqués précédemment. Il y a donc au moins deux hommes qui luttent derrière leur cellule pour que justice leur soit rendus. Mais le sommet de l’injustice demeure sans aucun doute le cas de Kamel Medjnoun, disparu puis emprisonné depuis 10 ans sans procès jusqu’à récemment. L’accusation jamais prouvée : participation à l’assassinat du célèbre chanteur d’expression kabyle Matoub Lounès. Des hommes quelque part haut placés ont volé à ce jeune homme dix ans de sa vie. Sa liberté. Au mépris de toutes les lois censées régir notre pays.
Comme dans tous les cas d'insupportables dépassements, au ministère de la Justice c’est motus bouche cousue. On ne dit rien, le ministre de la justice Tayeb Belaïz et son armée de juges continuent de discourir. On courbe l’échine en attendant que le vent passe. Sans doute que notre ministre chargé de faire régner la justice oublie que dans les pays qui se respectent et ont une haute idée de leurs citoyens quand de tels dépassements sont commis le ministre agit ou se démet. Dans le cas Belmouhoub, le ministre de l’intérieur devra s’expliquer sur ces barbouzes qui agissent en plein cœur d’Alger. Ces "polices parallèles" qui font penser aux heures sombres des dictatures d’Amérique latine.
Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la justice de notre pays. Rien donc ne sert de faire assaut de promesses ; personne n’est dupe. L’impunité est la règle et la justice une exception. Autrement, comment peut-on se taire, détourner sa tête, faire comme si, quand on sait que des Algériens sont maintenus en prison pour des motifs aussi inconséquents que ceux avancés pour mettre au silence Nourddine Mouhoub, Mouhib Khatir, Mohamed Baba Nejar ou alors Kamel Medjnoune. Se taire aujourd’hui c’est tenir la chandelle aux auteurs de ces injustices.
Il est évident que ces pratiques déplacent l’espoir de l’Algérien de voir un jour le pays se débarrasser des remugles du parti unique et de ses rejetons en puissance.
Contrairement à toutes les déclarations des relais du pouvoir, comme celles Farouk Ksentini ou d’autres clients bien en vue du régime, ces injustices dénotent l’ambiguïté du discours officiel. Elles prouvent qu’il y a très loin entre les déclarations officielles et la réalité crue et verticale que subissent nombre de citoyens algériens.
Sofiane Ayache