Par : Mustapha Hammouche
Le ministre de la Communication, activement aidé par des députés qui nous veulent du bien, pleurent sur notre sort social pendant qu’ils retreignent, à longueur de plénière, nos libertés professionnelles. Ainsi, tout en aménageant une loi de répression de la liberté de la presse, le pouvoir se dit préoccupé par notre condition de travailleurs sous-payés.
Beaucoup d’entre nous s’engouffrent dans cette trappe : nos “indignés” qui, très professionnels, improvisent un sit-in voué à l’échec parce que décidé à la veille de sa tenue ; et notre syndicat qui appelle à faire partager nos amendes par nos patrons. C’est vrai que le journalisme a largement perdu son âme, troquant progressivement ses valeurs morales contre ses vertus alimentaires, se faisant catégorie professionnelle en se délestant de sa fonction sociale ! Le ministre de la Communication, qui, apparemment, n’en demandait pas tant, n’en a plus que pour “le statut du journaliste”. C’est donc dans un monde de silence où ils devront “s’interdire” de parler de défense, de sécurité, de diplomatie, de gestion économique, d’histoire et de valeurs culturelles que les journalistes prospéreront à l’ombre d’un statut qui, enfin, les protégera contre la pingrerie de leurs employeurs. Mais qui les livrera à la répression policière et judiciaire et même sociale, puisque “toute personne morale ou physique” est habilitée à leur faire la mise au point sur tout sujet touchant à “l’intérêt général”.
L’amalgame entre la question du statut politique de la liberté de la presse et celle du statut particulier des métiers de presse a pour but cette espèce de vente concomitante : la légalisation de l’autocensure contre des avantages sociaux. Au demeurant, on ne voit pas comment le pouvoir s’y prendra pour obliger des éditeurs qu’il perfuse à coups de dispense de frais d’impression et d’octroi préférentiel de publicité institutionnelle à un effort en matière de salaires et de conditions de travail.
Le marché seul peut assurer une juste rémunération des employés du secteur. Le système national d’organisation est conçu pour contrarier les effets du marché, c’est-à-dire les effets du libre choix des annonceurs et des lecteurs. Il favorise la médiocrité courtisane aux dépens de la qualité subversive ; dans ce système, les éditeurs n’ont pas besoin de bons journalistes et les journalistes ne peuvent pas exiger d’être bien payés.
Avant-hier et hier, le discours compatissant autour des conditions sociales des journalistes tranchait avec le lynchage verbal de la presse auquel se sont adonné certains députés qui se sont révélés pour ce qu’ils sont : un personnel bien rémunéré de soutien au régime de l’arbitraire.
Dans un système qui fonde la solidarité de ses associés sur ses largesses en matière de privilèges de fonction et sa permissivité en matière de prévarication, la presse est le témoin gênant qu’il faut réduire au silence. Quand on a tant de choses à se reprocher, on n’a pas vocation à cultiver la liberté d’expression.
Ce débat n’aura pas servi la liberté de presse ; il aura juste précisé le genre de presse qui conviendrait au sérail : une presse qui, comme tout le monde, demande des augmentations pour se taire.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr