· Oumma.com Le 18 janvier, 2013
Interrogé par Oumma, Lahouari Addi, un des meilleurs spécialistes de l’Algérie, décrypte les rapports de force qui ont précipité l’assaut algérien contre les preneurs d’otages du complexe gazier de Tiguentourine, désormais connus sous leur nom de guerre « les signataires par le sang ».
Dénouer l’écheveau de l’offensive française au Mali et de la réaction algérienne face à la prise d’otages dans le complexe gazier de Tiguentourine n’est pas aisé, d’autant plus que la confusion médiatique perdure et que les informations véhiculées en boucle n’expliquent rien et sont sujettes à caution.
Démêler le vrai du faux requiert l’éclairage d’un expert, tel que celui du sociologue de renom Lahouari Addi, auteur prolifique de nombreux ouvrages et articles sur l’Algérie, le Maghreb et le Monde arabe, qui enseigne à l’Institut de sciences politiques de Lyon.
Qui sont véritablement les ravisseurs du complexe gazier Tiguentourine, In Amenas ?
On ne le sait pas avec exactitude, d’autant plus que les autorités algériennes font silence radio. Il y a forcément anguille sous roche, en d’autres termes ce qui paraît vraisemblable, c’est l’infiltration par le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), le service de renseignements algérien, de ce groupuscule dénommé « les signataires par le sang », dont il y a fort à parier que le leader Mokhtar Belmokhtar, surnommé « le Borgne », ou encore « Mister Marlboro » pour ses supposés trafics de cigarettes, entretient des relations avec des officiers algériens.
C’est à l’opinion publique algérienne, mais également à la communauté internationale de faire pression pour savoir ce qu’il en est, d’exiger que le gouvernement algérien fasse toute la lumière à ce sujet et que les militaires mettent de l’ordre dans leur maison.
Mokhtar Belmokhtar, chef du groupe jihadiste auteur de la prise d’otages sur le site gazier d’In Amenas
Ce groupe prétend venir du Mali, une affirmation démentie par le ministre de l’Intérieur algérien. Qu’en pensez-vous ?
Une chose est certaine : l’immense étendue du Sahara, qui est sous étroite surveillance, rend impossible tout déplacement sans se faire immédiatement repérer et identifier par des avions ou des satellites. Je pense que le DRS a voulu faire un coup à blanc et que cela lui a échappé. Les officiers du DRS se sont surestimés et leur opération a été un fiasco.
Qui, selon vous, a donné l’ordre d’attaquer le complexe gazier et les preneurs d’otages ?
L’Etat major algérien qui a toujours été dur avec les terroristes islamistes. Quant au président Bouteflika, un président symbole ou encore vitrine, la preuve est faite qu’il n’exerce aucun pouvoir de décision, à tel point qu’il n’a publié ni communiqué officiel, ni prononcé aucune allocution, alors que l’Algérie est au cœur d’une grave crise internationale.
Un exemple frappant : les médias français ont relayé le fait que le président Hollande a cherché à joindre hier son homologue algérien, mais en vain. Faut-il comprendre que Bouteflika n’a rien à lui dire, ou que la situation lui échappe totalement ? Ou peut-être, veut-il ainsi signifier à la communauté internationale qu’il n’a aucune autorité sur ses généraux et qu’il demande de l’aide.
Autre fait notable : les journalistes étrangers sont interdits sur le territoire algérien, la chaîne Al Jazeera est logée à la même enseigne, c’est la Corée du Nord !
Ces dysfonctionnements, qui minent en profondeur la gestion de l’Etat, en disent long sur les rivalités et les désaccords qui opposent les différents centres de pouvoir. Il me semble qu’il y a des généraux qui veulent que l’armée préserve son statut d’institution. Il est probable que dans quelques semaines le DRS sera complètement réorganisé pour avoir été incapable de gérer cette situation, où l’Algérie est la risée du monde.
Est-ce que la présidentielle de 2014, et l’éventuelle candidature de Bouteflika qui viserait un 4ème mandat, est un paramètre non négligeable dans ce rebondissement algérien en marge de l’offensive française au Mali ?
Non, absolument pas. Derrière l’assaut algérien contre les « signataires par le sang », il n’y a pas d’arrière-pensée politicienne qui se projette aussi loin dans le temps. La présidentielle, et la rumeur, car ce n’est qu’une rumeur, de la candidature de Bouteflika à sa réélection, n’a joué aucun rôle là-dedans.
Pourquoi l’Algérie, si soucieuse de son indépendance, a autorisé le survol de son territoire par l’aviation française ?
Que pouvait-elle faire d’autre ? Tout refus de sa part aurait été interprété comme la marque de son soutien à l’AQMI, et n’aurait pas manqué d’alimenter la rumeur à ce sujet. Certes, l’Algérie était opposée à l’intervention française au Mali, mais cette opposition a aussi des limites.
Quelles sont les conséquences de l’intervention française au Mali pour l’Algérie ?
Comme je le mentionnais précédemment, l’Algérie était hostile à cette offensive française. En intervenant militairement, la France a fait échouer les plans des militaires algériens au Mali, considéré comme l’arrière-cour de l’Algérie, et comme un formidable levier pour faire pression sur l’Europe.
Le DRS a infiltré nombre d’organisations situées dans le nord du Mali, mais sans les contrôler complètement. Les militaires algériens ne souhaitaient pas qu’ils aillent vers le sud. Les islamistes se sont radicalisés et ont décidé de marcher sur Bamako, ce qui a précipité l’intervention de la France.
A la lumière des réactions internationales, dont la Grande-Bretagne et le Japon qui déplorent de ne pas avoir été informés en amont de l’assaut algérien, il y a, à mes yeux, un grand perdant dans cette affaire : c’est le DRS, qui a prouvé qu’il était incapable d’assurer la défense des précieux puits pétroliers. Je suis convaincu que cela va exacerber les dissensions et les luttes internes pour le pouvoir, et conduire à une restructuration du service de renseignement algérien.
Propos recueillis par la rédaction.