Nedjma est derrière la vitre, à regarder dehors. La pluie et le froid se relayent. En bas, les passants à la mine renfrognée pressent le pas pour se terrer chez eux. Il ne se passe rien. Les klaxons de voiture se déchaînent pour assurer un vacarme névrotique. Il n'y a toujours pas de feux tricolores à Alger, ce qui aurait pu arrêter les klaxons qui s'énervent après le policier qui gère la circulation. Chacun veut passer le premier, et vite. Nedjma s'est retirée de la vitre. Du coin de l'œil, elle regarde le JT de l'ENTV montrant le Premier ministre Sellal inaugurer une cité et un robinet d'arrêt quelque part dans le pays.
Elle se demande vaguement si CNN montrait Obama faire la même chose, ce que serait la réaction des téléspectateurs américains. Non, Sellal n'est pas président. Peut-être qu'il le sera, personne n'en sait rien, les candidats vivent dans la clandestinité comme s'il était honteux de postuler. Et le Président, le vrai ? Toujours absent, comme si rien ne comptait pour lui. On disait qu'il allait faire un discours à la nation. Mais pour dire quoi ? Et quelle nation ? Rien. Malgré l'ère et l'air des changements qui s'imposent, l'actualité est réduite à quelques disputes entre membres de partis. L'Algérie en est encore aux années 1970, Pink Floyd en moins, à lire l'avenir des complots dans les lignes de la main de l'étranger et importer du blé pour manger. Nedjma s'est remise derrière la vitre.
En bas, un cancéreux arrivé au stade terminal est tombé en marchant. Il est mort faute de soins. Les passants accélèrent, enjambant le cadavre déjà froid. Le policier de la circulation arrive, engendrant de nouveaux klaxons furieux. Alger est triste et grincheuse. Mais qu'est-ce qui l'a rendue ainsi ? D'un geste brusque et furieux, Nedjma a cassé la vitre avec son petit poing. De l'air. Du sang coule, tombant à petites gouttes vers le bas, dans la rue, se mêlant à la pluie. Un passant a levé la tête, touché à son pull vert par une goutte rouge : «Chienne.»