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le business de la

  • Les secrets bien gardés des sociétés de gardiennage : Le marché de la sécurité ou le business de la peur





    El Watan, 29 juillet 2010

    Vigilance, Secur Group, Yakadha, Nabaha, Amane Plus, Amnal, Le Patriote, SGS (Société de gardiennage et de surveillance), La Vigilante, Fahd (gardiennage et sécurité), SVS (Société vigilance et service), GSF (Gardiennage et sécurité financière), CGPS (Compagnie de gardiennage, de protection et de sécurité), SAG Es Salem (Société algérienne de gardiennage et de sécurité), etc…Ce sont-là quelques noms et sigles d’une nouvelle catégorie d’entreprises appelées communément « sociétés de gardiennage ». Des entreprises qui animent le « marché de la sécurité » depuis voilà dix-sept ans, ceci à la faveur du décret législatif n°93-16 du 4 décembre 1993 « fixant les conditions d’exercice des activités de gardiennage, de transport de fonds et de produits sensibles ».

    Le contexte de la mise en place de cette loi explique, dans une large mesure, la décision d’ouvrir un secteur aussi sensible au privé. Cela traduisait, en effet, l’urgence de répondre à une forte demande en sécurité comme l’illustre le timing de sa promulgation : décembre 1993. C’étaient les débuts du terrorisme et l’Etat était vite dépassé dans sa mission d’assurer la sécurité des biens et des personnes. C’est ainsi que, dans la foulée du décret de 93 et des textes d’application qui lui ont emboîté le pas, des dizaines de sociétés de gardiennage vont être créées. Selon l’ancien ministre de l’Intérieur, Noureddine Zerhouni, il en a été recensé une cinquantaine en mai 2008.

    « Il existe 52 sociétés de gardiennage qui ont une mission para-policière en Algérie et qui sont sous surveillance permanente des services de la police, de la gendarmerie et du Département de recherche et de sécurité (DRS) » déclarait Zerhouni, rapporte notre confrère Le Jeune Indépendant dans son édition du 17 mai 2008. L’ex-ministre de l’Intérieur s’expliquait ainsi lors d’une séance plénière du Conseil de la nation consacrée aux questions orales et où les activités de ces sociétés, jugées quelque peu « opaques » par nos sénateurs, étaient à l’ordre du jour. Pourquoi Zerhouni ? Eh bien tout simplement parce que les sociétés de gardiennage, outre le registre de commerce, ont impérativement besoin d’un agrément délivré auprès du ministère de l’Intérieur (et guère de la Défense) pour pouvoir travailler. Outre les sociétés de gardiennage, ce marché s’est vu élargi à la sécurité électronique : caméras de vidéosurveillance, systèmes d’alarme, etc. Sans oublier bien entendu le marché du transport de fonds dominé par l’entreprise publique Amnal (lire portrait).
    Une manne aux mains des généraux ?

    Il faut dire que ce « nouveau » métier n’est toujours pas très visible dans l’esprit du public. « Comme dit l’adage : pour vivre heureux, vivons cachés », plaisante à ce propos un officier supérieur à la retraite qui dirige une des sociétés les plus en vue sur le marché, et qui a requis justement l’anonymat. La partie visible de ces sociétés, en l’occurrence c’est surtout l’image de l’agent de sécurité planté à l’entrée d’une quelconque institution, usine ou chantier. Ce qui ajoute sans doute au mystère de ces entreprises, c’est l’idée (entêtante) qu’elles seraient l’apanage des retraités de l’armée et autres corps de sécurité. En gros, que les sociétés de gardiennage seraient la chasse gardée d’anciens militaires convertis en businessmen, et que ce ne sont qu’une autre manne aux mains des généraux. « Les sociétés de gardiennage sont, dans leur majorité, tenues par d’anciens officiers supérieurs à la retraite ou des ex-commissaires divisionnaires et autres officiers de la gendarmerie » affirme un responsable civil siégeant aux commandes d’une entreprise de gardiennage.

    D’aucuns jouent à deviner quel général ou baron du régime se dresse derrière quelle société de sécurité. Plusieurs noms circulent, sans qu’il soit toujours facile d’établir avec certitude la filiation de ces boîtes, le jeu des prête-noms et de la gérance par procuration contribuant à alimenter le flou. S’il est vrai que les sociétés de gardiennage sont une activité de « recyclage » pour nombre d’anciens militaires, il faut souligner que cela n’a rien d’une spécificité algérienne. Partout dans le monde, les sociétés privées de sécurité puisent leur personnel en premier lieu dans l’énorme réservoir des hommes en uniforme pour d’évidentes raisons de compétence et de connaissance du terrain. A bien y voir, le timing de la promulgation de la loi de décembre 1993 et l’apparition des premières sociétés de gardiennage donne légitimement à penser que ces sociétés étaient dans « les cartons » et n’attendaient qu’une couverture juridique pour voir le jour. Elles ne pouvaient fort logiquement qu’être le fait de « professionnels » du sécuritaire, des gens qui n’avaient pas besoin d’une étude de marché pour s’y lancer.Une première recherche sur les traces de ces sociétés nous a permis de constater d’emblée qu’elles dépassent largement la petite cinquantaine révélée par Zerhouni. « Il y en a dans les 80 » indique notre officier supérieur de l’ANP. Les plus nanties investissent volontiers dans l’image comme le montre la qualité de leurs sites web. Ceux-ci laissent parfois croire qu’on a affaire à des « Blackwaters » algériennes. Le lecteur peut s’en faire une idée en visitant les sites de sociétés comme Secur Group (http://www.securgroup.org), la CGPS, (http://www.cgpsalgeria.com/, Vigilance (http://www.vigilance-dz.com/ ) ou encore la société SAG Es Salem ( http://www.sagessalem-dz.com/.
    « La sécurité n’est pas un tabou »

    « La sécurité est une activité commerciale comme une autre. Il faut arrêter de considérer le mot ’’sécurité’’ comme un tabou » argue l’ex-militaire ayant investi dans ce filon. Evoquant son expérience personnelle, il raconte : « Le secteur de la sécurité, c’est toute ma vie. J’ai passé dix ans dans la lutte antiterroriste. En prenant ma retraite, je me suis lancé dans ce créneau parce que c’est la seule activité que je connaisse. » Notre interlocuteur plaide vigoureusement en faveur d’une plus grande libéralisation du marché de la sécurité. « Malheureusement, nous rencontrons beaucoup de restrictions. Pourtant, nous faisons un travail colossal. La sécurité a permis de créer des milliers d’emplois. Et d’économiser à l’Etat des milliards en sécurisant tant d’infrastructures » souligne l’ex-officier. « L’Etat doit intervenir pour fixer le cadre juridique, mettre des garde-fous, faire respecter la législation sur le travail, assurer le contrôle des armes, le reste, ce n’est pas son affaire. La lutte antiterroriste, la protection de l’ordre public et la lutte contre la délinquance sont du domaine des services de sécurité. Tout le reste est privatisable. Si l’Etat libéralisait la sécurité, il ferait de grosses économies d’argent. Pourquoi, on ne nous laisse pas exercer la profession de garde-du-corps par exemple ? Au lieu que les étrangers paient pour cette prestation, on mobilise des policiers pour les protéger avec l’argent du contribuable. » Et de poursuivre : « Malheureusement, les bons paient pour les mauvais. Cette activité est noble, il faut arrêter de l’accabler. Elle permet de recycler les anciens membres des services de sécurité qui ont beaucoup donné, de même que les patriotes et les gardes communaux. Il y a quelque 60 000 agents de sécurité. Dire qu’on peut porter ce chiffre à dix fois plus si l’Etat permettait le développement de cette activité. A nous seuls, nous avons créé 2000 emplois en sept ans d’existence. Nous avons perdu trois de nos valeureux agents suite à l’attaque de l’un de nos chantiers en Kabylie. Il ne faut pas mettre toutes les sociétés de gardiennage dans le même sac. »
    Un casse-tête : la circulation des armes

    On le devine : ce qui fait la particularité de ces sociétés, c’est l’utilisation des armes à feu. Dans un pays en guerre contre le terrorisme depuis une vingtaine d’années, c’est une arme à double tranchant. D’où l’important arsenal de textes juridiques réglementant l’acquisition des armes au profit des sociétés de gardiennage. Il tombe sous le sens que ce n’est donc pas un segment d’activité comme un autre, et c’est ce qui explique la déclaration de Zerhouni quand il dit que « les sociétés de gardiennage font l’objet d’un contrôle permanent de la part des services de police et du DRS ». On notera qu’à mesure que le pays était « pacifié » et le « risque Algérie » revu à la baisse, la main de l’Etat se faisait plus ferme. C’est ainsi que dans sa réponse aux sénateurs, Zerhouni nous apprend que « 38 sociétés ont déjà été sanctionnées, dont 7 ont été fermées et 31 n’ont pas obtenu le renouvellement de leur permis d’exercice. » Il faut cependant garder à l’esprit que les leviers de la corruption, les jeux de pouvoirs, les conflits d’intérêts et autres trafics d’influence donnent à cette bataille de contrôle l’allure d’un pénible bras de fer. L’un des enjeux de ce rapport de forces est la gestion du dépôt d’armes. Même une balle qui sort de la poudrière doit être identifiée quant à sa traçabilité. La détention, l’importation et le mouvement des armes à feu sont, dès lors, strictement codifiés. Notre ancien militaire à la retraite dira à ce propos : « La procédure d’acquisition des armes à feu est extrêmement compliquée, de même pour les véhicules blindés et le matériel radio. Si pour un simple passeport, vous voyez toute la bureaucratie que vous devez vous farcir, imaginez l’ampleur de la procédure quand il est question d’armes. C’est la croix et la bannière.

    Bien sûr, pour les gens qui ont des accointances au sommet, ils ont toutes les facilités. » Le transfert des armes vers les sites à surveiller, notamment ceux situés dans les zones à risques, est loin d’être une sinécure. Les itinéraires des convois sont étudiés avec soin. La loi a prévu un protocole des plus stricts afin de parer l’éventualité de voir ces lots d’armes interceptés par un groupe terroriste : « Pour leur transport, les armes à feu doivent être rendues inutilisables par le prélèvement de l’une des pièces de sécurité ci-après : culasse, percuteur, barillet ou support de barillet, ressort récupérateur, canon. Les armes proprement dites et les pièces de sécurité prélevées sur elles sont ensuite emballées séparément dans des caisses cadenassées, scellées par les services de sécurité publique territorialement compétents après leur vérification. Les armes proprement dites et les pièces de sécurité doivent être acheminées séparément à vingt-quatre heures d’intervalle au moins. » (arrêté interministériel du 8 août 1999, article 27-bis). Une procédure qui n’est pas toujours respectée. Le quotidien El Khabar nous apprend dans sa livraison du 18 juillet dernier qu’une enquête judiciaire vient d’être diligentée, à la demande du wali d’Alger, à l’endroit d’une société de gardiennage ayant un chantier dans la wilaya de Bouira pour non- respect de la procédure dans le transfert de 12 pièces d’armement entre les wilayas d’Alger et de Bouira.
    « Le jour tu as peur de lui, la nuit tu as peur pour lui »

    Autre hantise des services de sécurité : la fiabilité des agents qui héritent de cet arsenal. Un petit coup d’œil sur les effectifs de ces sociétés révèle que les plus importantes emploient 1000, 1500 à 2000 hommes voire 5000 comme c’est le cas d’Amnal. Une véritable petite armée ! Notre source fait remarquer à ce sujet : « Les sociétés de gardiennage constituent une bonne armée de réserve en cas de guerre ». Ce qui est problématique, en revanche, ce sont les qualifications de ces dizaines de milliers d’agents. D’ailleurs, on ne manque pas de voir des agents arborer des armes de poing avec désinvolture. Certains se sont même rendus coupables d’accidents balistiques graves. Pourtant, la loi est claire : « Ces personnels ne peuvent porter leurs armes qu’à l’intérieur du périmètre susvisé. En dehors, le port d’armes est interdit. » L’obtention du permis de port d’arme n’est certes pas chose aisée. Mais là aussi, selon les jeux de réseaux, les relations dans l’administration, la procédure peut être accélérée, l’enquête d’habilitation bâclée. La loi précise que les postulants au permis de port d’arme doivent présenter, parmi d’autres documents, « des diplômes et/ou attestations justifiant des capacités professionnelles du postulant en matière d’utilisation des armes à feu ». « La plupart du temps, on se contente du fait que le concerné ait passé son service militaire, sans plus » déplore un cadre d’une société publique de gardiennage. Or, les anciens bidasses connaissent tous les limites de la « formation commune de base » dispensée durant le service national. « Il y a des agents ’’f’ennhar t’khef mennou ou fe ellil tkhaf alih’’ (le jour tu as peur de lui, la nuit tu as peur pour lui » ironise ce patron d’une société privée de sécurité, avant d’ajouter : « La fiabilité de l’agent de sécurité et sa loyauté sont la base même de notre métier. » Pour sa part, le DG de la société Amnal, M.Mohand Mounsi, dira : « Le talon d’Achille des sociétés de gardiennage, c’est bien le manque de formation de leur personnel » (lire interview).

    Autre grief fait à ces sociétés : leur collaboration « au rabais » avec les sociétés étrangères. D’ailleurs, il convient de noter que ce secteur d’activité est 100% national et les investisseurs étrangers n’y ouvrent pas droit. « Certaines sociétés font du bradage. Elles soldent leurs agents pour obtenir des marchés » dénonce notre officier de l’ANP. Mais le principal reproche qui est fait à certaines sociétés, dans ce chapitre, a trait au contenu des contrats de sous-traitance passés avec des sociétés étrangères de sécurité. Alors que les entreprises étrangères qui ont des bureaux ou des chantiers en Algérie ne sont pas autorisées à recourir à des sociétés de gardiennage étrangères, certaines de nos entreprises de sécurité servent à leurs homologues occidentales de paravent, et ce sont leurs experts en sécurité qui s’occupent de tout, moyennant des honoraires sonnants et trébuchants en exagérant le « risque Algérie ». Cela leur a valu un sévère rappel à l’ordre de la part du ministère de l’Intérieur comme le rapporte Le Soir d’Algérie du 27 août 2009. En effet, dans une note (N°2935 datée du 12 août 2009) adressée aux sociétés de gardiennage, le secrétaire général du ministère de l’Intérieur, Abdelkader Ouali, avertissait : « Dans le cadre du suivi des activités de ces entreprises, des dépassements ont été constatés en matière de sous-traitance et de partenariat au profit de sociétés étrangères dans le domaine des prestations de sécurité. Ces actes sont considérés comme une violation dangereuse du cadre réglementaire et exposent les contrevenants à de sévères sanctions. » La crainte des autorités algériennes est que la collaboration avec les sociétés de sécurité étrangères serve de couverture à des activités illicites qui pourraient s’apparenter à de l’espionnage.

    Par Mustapha Benfodil
    Elle est numero 1 du transport de fonds en Algérie : Dans l’intimité blindée d’Amnal…

    C’est un peu la Brink’s algérienne. Elle, c’est AMNAL, acronyme de « Amn el Djazaïr », « Sécurité Algérie ». Elle est réputée pour être le numéro 1 du transport de fonds en Algérie. Elle a quasiment la totalité du marché bancaire, banques étrangères incluses.

    L’entreprise nous a aimablement ouvert ses portes en toute simplicité. Le siège de la direction générale, située à Staouéli, est discret. A peine une petite enseigne gravée devant la porte d’entrée en décline l’identité. « Amnal est une entreprise publique créée, en octobre 1993, à l’initiative de six banques publiques et deux compagnies d’assurance. Avec l’insécurité grandissante due au phénomène du terrorisme, ces banques ont voulu créer une filière qui se chargerait de la sécurisation de leur transport de fonds », explique Liès Laïd, directeur central chargé de l’exploitation. Ainsi, contrairement à une idée reçue, Amnal n’est pas une société de gardiennage privée. Les six banques dont il est question ici sont :la BDL, la CNEP, le CPA, la BNA, la BADR et la BEA. Quant aux compagnies d’assurance, il s’agit de la CAAR et de la CAAT. Il faut noter que si le transport de fonds est sa spécialité, Amnal s’est investie également dans deux autres activités liées directement à la sécurité : le gardiennage et la sécurité électronique (les systèmes de vidéosurveillance notamment). L’entreprise emploie plus de 5000 personnes, dont 300 convoyeurs de fonds professionnels, le reste étant affecté aux activités de gardiennage.

    Comme les autres sociétés de sécurité, Amnal est donc née dans une conjoncture extrêmement critique. L’entreprise connaîtra très vite une expansion vertigineuse, en ouvrant des directions régionales un peu partout jusqu’à couvrir tout le Nord du pays. Dans le Sud, c’est surtout la région de Hassi Messaoud, avec une antenne à Ouargla, qui est couverte. « Nous ouvrons nos structures en fonction de la densité bancaire dans une région donnée », explique Liès Laïd. Si les sociétés de gardiennage appartiennent pour bon nombre d’entre elles à d’anciens militaires, gendarmes et autres commissaires, Amnal, elle, est dirigée par un staff issu plutôt des milieux financiers. « Je dois être le seul civil dans ce secteur », ironise son DG, Mohand Mounsi, un banquier de carrière, qui était directeur général adjoint de la BDL, avant de rejoindre Amnal. Son bras droit, M. Laïd, est issu du milieu des assurances. Les premières années ont été celles du terrorisme qui battait son plein. Mais paradoxalement, c’est au moment où la situation sécuritaire semblait connaître une certaine amélioration, que surviennent les premières pertes.
    Les convoyeurs de fonds à l’épreuve du terrorisme

    C’est ainsi que le 14 juillet 2003, un véhicule d’Amnal, une 405 blindée, avec trois hommes à bord (un chauffeur, un convoyeur et un aide-convoyeur) sont surpris par une violente attaque terroriste au lieudit Yehlem, près de Aïn El Hammam. Bilan : trois morts, en l’occurrence les trois agents d’Amnal, et une somme de 10 millions de dinars subtilisée par les assaillants. Un an plus tard, le 29 novembre 2004, un autre véhicule d’Amnal est attaqué en Kabylie toujours, cette fois du côté de Bouzeguène. L’attentat se solde par un mort, deux blessés, et 150 000 euros volés. La vidéo de cette dernière attaque circulera longtemps sur Youtube. « Malgré la persistance du risque terroriste, Amnal ne s’est jamais retirée des zones les plus dangereuses et n’a à aucun moment suspendu ses activités, même au plus fort du terrorisme », dira M. Bendris, DAG de l’entreprise. Toutefois, il est utile de signaler que suite aux deux attaques meurtrières essuyées en Kabylie, Amnal a été interdite d’activité dans la wilaya de Tizi Ouzou par le ministère de l’intérieur, interdiction qui court jusqu’à ce jour, comme nous l’explique le DG Mohand Mounsi (lire interview). Ce qui inquiète les services de sécurité, c’est, en l’occurrence, la velléité de voir des fonds atterrir dans les caisses des groupes armés et leur donner ainsi les moyens de se redéployer. Par ailleurs, il faut savoir que malgré les risques encourus, Amnal n’a pas le droit de solliciter des renforts ou une escorte des services de sécurité. « Le défunt Ali Tounsi disait que ce n’est pas la mission de la police, celle-ci devant se cantonner à faire respecter l’ordre public », explique Liès Laïd. Virée au parc de l’entreprise. Celui-ci est aménagé dans le sous-sol d’un immeuble. Un fourgon de réserve, de marque Mercedes, y est parqué. Les autres véhicules sont tous de service. Liès Laïd nous fait visiter le poste de commandement d’Amnal dirigé par un ancien commissaire divisionnaire. Sur un tableau sont affichées les missions du jour. « Il y a les points programmés et les points sur appel », nous explique-t-on. Amnal effectue quelque 600 rotations quotidiennes à travers l’ensemble de ses clients, évalués à 936 agences bancaires (sur un millier d’agences publiques). A Alger seule, plus de 290 rotations sont effectuées quotidiennement. A noter qu’en cas d’attaque ou de vol, les clients d’Amnal sont remboursés dans un délai d’un mois à concurrence de 250 millions de dinars.
    La DGSN à la rescousse pour des sessions de formation

    Convaincue que la qualité de sa prestation dépend, dans une large mesure, de la qualité de ses véhicules, Amnal consent un investissement lourd pour la modernisation de son parc. Finies les anciennes 504 « sous sérum » (dixit Laïd) qui étaient pour les convoyeurs de fonds de véritables cercueils roulants. 500 millions de dinars ont été ainsi injectés pour l’acquisition d’une nouvelle gamme de véhicules de très haute technologie, pour un chiffre d’affaires de plus de 2 milliards de dinars, indique le directeur général. L’entreprise s’est alors offert « 32 fourgons Mercedes, suivis de 18 autres de marque Renault Mascott de conception Amnal » se félicite le directeur de l’exploitation. « Notre logistique n’a rien à envier à celle de la Brink’s », commente M. Laïd. Pour les néophytes, la Brink’s fait ici référence au géant américain du convoyage de fonds, qui existe depuis 1859 à l’initiative d’un transporteur ingénieux de Chicago du nom de Perry Brink, qui inventera carrément le métier de transport de fonds. La Brink’s, faut-il le souligner, est très intéressée par le marché algérien, après avoir raflé le marché marocain. « Mais les autorités algériennes lui ont signifié un niet catégorique », assure-t-on chez Amnal. L’on apprend dans la foulée que « Khalifa s’apprêtait à acquérir pas moins de 200 fourgons blindés pour faire du transport de fonds, mais sa chute brutale en a décidé autrement ». Vu le caractère sensible de son activité, Amnal, comme toutes les entreprises « civiles » intervenant dans le secteur de la sécurité, se verra confrontée à un problème de taille : celui du recrutement, les effectifs disponibles étant peu et mal formés. « Après les attaques terroristes que nous avons subies, nous avons formé trois sessions à l’Ecole de police de Soumaâ en collaboration avec la DGSN », confie Liès Laïd. « Nous avons formé 220 agents de convoyage et avons prodigué une formation également aux chauffeurs en les entraînant aux techniques de conduite d’un véhicule blindé, en leur apprenant comment éviter un barrage suspect dressé sur la route » ajoute le directeur de l’exploitation. M. Mounsi nous a affirmé que cette collaboration avec la DGSN va se poursuivre pour la formation d’instructeurs qui vont, à leur tour, encadrer la deuxième génération de convoyeurs de fonds.

    Par Mustapha Benfodil
    Ce que dit la loi

    Le premier texte de loi autorisant la création de sociétés de gardiennage remonte à 1993. Il s’agit du décret législatif n°93-16 du 4 décembre 1993 « fixant les conditions d’exercice d’activités de gardiennage, de transport de fonds et produits sensibles ».

    Ce décret, signé de Ali Kafi, définit ainsi cette nouvelle catégorie d’entreprises qui allait investir en force le marché de la sécurité. « Il est entendu au sens du présent décret législatif, par gardiennage, toute prestation de service permanente ou occasionnelle visant à assurer la protection d’un bien ou la sécurité dans un ensemble préalablement identifié et délimité. » (art.2) Dans l’article 4, il est précisé que les sociétés de gardiennage et de transport de fonds ne sauraient être des sociétés par actions, cela afin que tous les propriétaires de la société soient identifiés. L’article 8 souligne que les activités indiquées sont réservées exclusivement aux personnes de « nationalité algérienne ». On notera au passage que l’autorisation d’exercer est délivrée par le ministère de l’Intérieur sous forme d’agrément renouvelable tous les trois ans. Le décret de 1993 a été suivi par un autre décret en 1994. Il s’agit du décret exécutif n° 94-65 du 19 mars 1994 déterminant les modalités de délivrance de l’autorisation d’exercice et de dotation en armes des sociétés de gardiennage et de transports de fonds et produits sensibles. « Ce texte distingue trois catégories de sociétés : A, B et C. L’autorisation de type A concerne les sociétés faisant exclusivement du gardiennage. L’autorisation de type B vise les sociétés faisant exclusivement du transport de fonds. Quant à la catégorie C, elle concerne les sociétés qui font à la fois du gardiennage et du transport de fonds (article 2).

    Outre ces deux textes fondamentaux, plusieurs arrêtés ont été promulgués pour réglementer, notamment, l’épineuse question de la détention des armes à feu. Ainsi, le décret exécutif n° 95-396 du 30 novembre 1995 relatif aux « modalités d’importation des armes à feu pour le compte des sociétés de gardiennage et de transport de fonds » indique que « l’importation des armes et de leurs munitions est confiée aux services du ministère de la Défense. » L’arrêté interministériel du 31 janvier 1996 souligne que « l’examen des demandes d’autorisation d’acquisition incombe à un comité interministériel » où siègent particulièrement des représentants de l’Intérieur et de la Défense. De son côté, l’arrêté interministériel du 8 août 1999 oblige les sociétés de gardiennage de catégorie A et C à informer les services de la Sûreté nationale et de la Gendarmerie nationale de la wilaya (…) des établissements, installations, ouvrages et moyens dont elles assurent le gardiennage, en spécifiant l’effectif des personnels employés à cette fin ainsi que les armes et les moyens de transmission qu’ils détiennent, le cas échéant. (art.23) L’arrêté codifie rigoureusement le transport des armes à feux comme l’indique l’article 27 : « Le transport des armes à feu d’un point à un autre par les sociétés, dans le cadre de l’exercice de leurs activités, est soumis à une autorisation préalable du wali du lieu de départ du transport, délivrée sur demande écrite de la société. Le wali peut, s’il l’estime nécessaire, requérir les services de sécurité publique pour en assurer l’escorte. »

    Par Mustapha Benfodil
    Un ancien agent de sécurité à Hassi Messaoud témoigne : « On nous traitait comme du bétail ! »

    Les sociétés de gardiennage à Hassi Messaoud dayrine rayhoum, elles font la loi ! » martèle Hocine.

    Cet ancien agent de sécurité dans le Sud sait de quoi il parle, lui qui a passé 5 ans comme agent de prévention et de sécurité avant de passer superviseur dans une société privée de gardiennage, qui avait des marchés auprès de certaines multinationales dans la « principauté pétrolière » de Hassi-Messaoud. « 90% des travailleurs qui étaient avec moi dans cette société n’étaient pas assurés », affirme Hocine. « Nous étions exploités 12 heures par jour pour un salaire de misère. Alors que l’agent de sécurité était facturé à une société étrangère 120 000 DA par " tête " - puisque nous étions traités comme du bétail -,l’entreprise de gardiennage nous versait des clopinettes. Nous étions payés 15 000 DA sans prime aucune. Nous devions payer de notre poche la restauration, l’hébergement, tout. Le salaire nous était remis dans des enveloppes », témoigne Hocine, avant d’ajouter : « Au début, je n’avais même pas de fiche de paie. Et pour ce qui est du contrat, nous n’avions que des contrats bidon de courte durée. »

    Notre ex-agent de gardiennage précisera que la société dans laquelle il travaillait était dirigée par un commissaire divisionnaire qui était associé à un ancien wali. « Notre société escortait les expatriés vers les chantiers. Le plus humiliant, c’était quand on montait la garde la nuit pendant qu’ils faisaient la fête dans le faste de leur résidence alors que nous, nous végétions dans des conditions misérables. On dormait dans une baraque pourrie qu’on avait louée avec nos maigres sous, entassés comme des moutons. » Quid de la formation ? Hocine est catégorique : « Quelle formation ? Je n’ai même pas passé mon service militaire. J’ai appris sur le tas à utiliser mon arme, un pistolet Makarov, avec l’aide d’un collègue. » Et de faire remarquer que « les recrutements se faisaient n’importe comment. Parfois, ils prenaient le premier venu, dans la rue, lui faisaient endosser la tenue et la cause était entendue. C’est pour qu’ils n’ouvrent pas leur gueule. Tout cela parce que nous n’avions pas de syndicat. Même l’inspection du travail fermait les yeux sur ces dépassements. C’est pourtant de l’esclavage. Ces esclavagistes écopaient d’une petite amende et l’affaire était classée. Et c’est comme ça que Hassi Messaoud est devenue une zone de non-droit. »
    Y a-t-il un attaché de presse au ministère de l’Intérieur ?

    Nous avons tenté, à maintes reprises, d’avoir l’avis du ministère de tutelle sur l’ensemble de ce dossier, ce fut peine perdue.

    Depuis le départ de Abdelhak Bouattoura comme attaché de presse, le département de l’intérieur est, semble-t-il, sans service de communication. C’est, entre autres, l’un des chantiers qui attend le nouveau ministre de l’intérieur Daho Ould Kablia : une communication plus fluide.
    Par Mustapha Benfodil
    Mohand Mounsi. Directeur Général d’Amnal : « Nous sommes interdits d’activité dans la wilaya de Tizi Ouzou »

    - Comment se présente la santé financière de l’entreprise Amnal aujourd’hui ? Peut-on connaître votre chiffre d’affaires ?

    Amnal a réalisé un chiffre d’affaires de 2,1 milliards de DA. Mais le chiffre d’affaires ne veut rien dire en soi. Il est jugé à l’aune de la rentabilité qu’il génère.

    - D’aucuns considèrent qu’Amnal détient le monopole du transport de fonds en Algérie. Vous êtes d’accord avec cela ?

    Amnal ne détient pas le monopole du transport de fonds. Nous avons une activité majoritaire dans ce créneau, c’est vrai. Mais on n’a aucun monopole. Peut-être que nous, on a progressé, et que la concurrence a stagné…Amnal a commencé par faire le transport de fonds à Alger. Ensuite on est partis à Oran, puis Tizi Ouzou, Constantine, et maintenant, on couvre pratiquement tout le nord du pays, de Tlemcen jusqu’à Annaba et l’ensemble des Hauts-Plateaux. Il manque le Grand Sud, mais nous sommes présents à Ouargla qui est la zone la plus sensible, la plus riche aussi. Nous sommes sur Ouragla, Ghardaïa, Hassi Messaoud jusqu’à Touggourt. Amnal emploie 5500 personnes réparties sur trois activités : l’activité gardiennage, l’activité transports de fonds et l’activité sécurité électronique. L’essentiel du personnel est concentré dans l’activité gardiennage. Aujourd’hui, Amnal représente 10% du marché du gardiennage. Nous sommes présents dans 936 agences bancaires.

    - Comment évaluez-vous l’impact du terrorisme sur votre entreprise ?

    L’impact a été énorme, dans la mesure où il nous oblige à faire plus d’investissements. Il nous oblige à mettre plus de monde, plus de moyens. Nous avons subi six attentats à Tizi Ouzou, nous avons perdu quatre employés. La direction régionale de Tizi Ouzou a failli disparaître. Elle emploie quelque 350 personnes et il y a eu 150 emplois qui ont été supprimés à cause de cette situation. A l’heure actuelle, nous n’avons gardé que la structure administrative à Tizi Ouzou.

    - Justement, Amnal a été priée de ne plus intervenir en Kabylie. Cette interdiction n’a pas été levée ?

    Actuellement, nous ne travaillons plus à Tizi Ouzou. L’arrêté (du ministère de l’Intérieur) nous interdit toujours de travailler dans la wilaya de Tizi Ouzou. Du reste, je n’ai jamais demandé à reprendre là-bas.

    - Le terrorisme vous a obligés, disiez-vous, à investir davantage dans les moyens logistiques…

    Effectivement. Comme dit l’adage, « à quelque chose malheur est bon ». Le terrorisme nous a obligés à moderniser notre parc. Nous avions d’anciens véhicules, des 504 et des 405, qui étaient davantage faits pour la ville, et pour des périodes de paix, avec des blindages légers qui n’étaient pas conçus pour résister à des attaques lourdes. Aujourd’hui, le parc de l’entreprise est pratiquement neuf. Pour cela, nous avons investi 500 millions de DA. Nous avons acquis 32, ensuite 18 véhicules blindés. Nous avons également rénové 26 véhicules légers. Donc nous avons un parc assez important. C’est un investissement lourd, difficile à amortir. Chaque véhicule est une usine.

    - Un mot sur votre politique de recrutement. Quel profil ciblez-vous en priorité ?

    D’abord, nous recrutons des gens qui sont jeunes, qui ont entre 25 et 35 ans, avec un minimum de niveau scolaire. Ensuite, il y a l’avantage des personnes issues des différents corps de sécurité. Vous savez, il y a beaucoup de gens qui étaient employés sous contrat avec les services de police, de la gendarmerie ou de l’armée. C’est une aubaine pour Amnal parce que c’est un personnel qui est déjà formé.

    - D’aucuns estiment que le talon d’Achille de cette activité, c’est la formation. Qu’en pensez-vous ?

    C’est un anachronisme : il y a un secteur de la sécurité qui existe en Algérie, mais l’Etat n’a jamais pris le soin de créer des structures de formation pour ce secteur. Mais en ce qui nous concerne, nous avons formé notre personnel. Maintenant, nous nous attelons à former 20 instructeurs qui vont à leur tour former des personnels sur le site. Mais c’est un gros problème. Si le secteur veut se développer, il faut impérativement qu’il soit accompagné par des structures de formation professionnelle.

    - C’est un appel que vous lancez au ministère de l’Intérieur ?

    Non, pas au ministère de l’Intérieur mais au ministère de la Formation professionnelle. Le métier de la sécurité est nouveau en Algérie, c’est un métier qui existe pratiquement depuis 1993 et il n’y a toujours pas de structures de formation pour l’accompagner. C’est aberrant. ss

    Par Mustapha Benfodil