Si la sortie publique du chef de l’Etat ce vendredi est en soi un événement, il faut dire qu’elle a laissé nombre de nos concitoyens sur leur faim. Et pour cause : Abdelaziz Bouteflika a enfilé les déclarations d’intention comme on enfile des perles sans apporter de réponses claires sur certains sujets-clés, sans avancer d’agenda, sans trancher dans le vif sur certains dossiers particulièrement préoccupants.
Pourtant, c’est ce qui était le plus attendu de lui dans ce contexte de crise : présenter un projet neuf, autrement plus ambitieux, avec, à la clé, une batterie de mesures et de décisions audacieuses, à la mesure des aspirations de changement exprimées par les Algériens.
Le président de la République, force est de le constater, s’est longuement appesanti sur la réforme de la loi électorale et de la loi sur les partis, ainsi que sur l’amendement de la Constitution comme éléments structurants de son projet de «renforcement du processus démocratique» dans notre pays. Mais pour le court terme, Bouteflika est resté muet. A titre d’exemple, il n’a affiché aucune disposition à consolider le «pluralisme politique» en élargissant le club des partis autorisés. On sait que nombre de formations partisanes languissent désespérément d’obtenir leur agrément.
Qu’on songe au parti Wafa d’Ahmed Taleb Ibrahimi, au Front démocratique de Sid Ahmed Ghozali, au Parti de la liberté et de la justice ou encore au Parti pour la laïcité et la démocratie, pour ne citer que ceux-là. Qu’est-ce qui empêche le chef de l’Etat d’annoncer plus de souplesse dans ce sens, avec instruction expresse au ministère de l’Intérieur de montrer moins de fermeté à l’égard des demandes d’agrément qui lui parviennent, et auxquelles le département d’Ould Kablia oppose un niet presque mécanique. Idem pour les syndicats autonomes et les organisations citoyennes, tout particulièrement celles qui ont le «malheur» de ne pas montrer de signes d’allégeance aux réseaux du pouvoir. Les mêmes réserves valent également pour l’exercice des libertés publiques, notamment le droit de manifester. Si Bouteflika s’est félicité de la levée de l’état d’urgence, il feint d’oublier que sur le terrain, toute manifestation publique est formellement interdite, tout spécialement dans la capitale. En témoigne le nombre impressionnant de policiers déployé au moindre trublion qui ose pointer son nez, faisant d’Alger une ville sous état de siège.
Autre dossier cher au Président : la révision de la Constitution. Dans son discours à la nation, Abdelaziz Bouteflika a fait état de sa résolution d’en confier la tâche à une commission spéciale chargée de lui faire des propositions. Exclue donc l’élection d’une Constituante…Tout le monde sait que l’actuel locataire d’El Mouradia doit son troisième mandat à un amendement de l’article 74 de la Constitution dite de «Zeroual» qui limitait alors les mandats à deux. Sur ce point précis, le chef de l’Etat se devait d’apporter une clarification forte quant à ses intentions pour la prochaine présidentielle. L’un des mérites du «printemps démocratique arabe» est d’avoir mis un terme au syndrome de la «présidence à vie» qui hante tous nos potentats. Si bien que même les ex-présidents tunisien et égyptien avaient annoncé, dans une ultime tentative de sauver leur trône, leur engagement à ne pas briguer un énième mandat et leur détermination à consacrer le principe de la limitation des mandats par voie constitutionnelle. Eh bien, Bouteflika n’a pas pipé mot là-dessus alors qu’il n’y a pas si longtemps, ses aficionados, Belkhadem en tête, avaient commencé déjà à «chauffer le bendir» pour préparer l’opinion à un quatrième mandat.
Aucun geste fort, aucune décision spectaculaire
Autre élément pertinent de son discours : le président de la République a abondamment évoqué le travail parlementaire et législatif en indiquant qu’il comptait «demander au Parlement de réviser l’ensemble de l’arsenal législatif sur lequel reposent les règles de l’exercice démocratique». L’on notera au passage que Bouteflika n’est nullement disposé à dissoudre l’APN et organiser des législatives anticipées comme l’a exigé une partie de l’opposition. Pas plus qu’il n’a montré la moindre velléité de virer tout ou une partie du gouvernement Ouyahia. En gros, aucun signe spectaculaire. Aucun geste fort. Les Algériens auront eu droit vendredi soir à un joli cours de droit constitutionnel assorti d’un chapelet de réformes institutionnelles dans les limbes. Sans plus. Comme le faisait remarquer Abdelhamid Mehri, «l’élément le plus saillant de ce discours a été de réduire les réformes principalement à la révision des textes».
Dans la rubrique «médias», Bouteflika a fait preuve du même conservatisme opiniâtre en réaffirmant son intention de garder le monopole de l’Etat sur l’audiovisuel. Il aura ainsi raté l’occasion de signer le passage du bouquet DZ vers l’ère de l’image. Enfin, le chef de l’Etat semble amoindrir la portée des mouvements sociaux qui secouent le pays. Les réponses, sur ce chapitre, sont restées les mêmes. Bouteflika s’est évertué à rappeler (et vanter) les différents dispositifs de ses programmes sociaux sans un seul mot pour les centaines de mouvements de protestation qui agitent la scène sociale, donnant l’impression de couler des jours heureux sur une île paisible pendant que le bateau Algérie prend eau de toutes parts.