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le militaire

  • L’Algérie, un modèle pour les armées arabes

    Les janviéristes algériens sont-ils des héros pour les régimes arabes?

     

    Kamel Daoud

     

    In SlateAfrique

     

    26 juin 012

     

    C’est simple. Les octobristes sont les milliers de jeunes Algériens (moyenne d’âge entre 15 et 25 ans) qui se sont soulevés le 5 octobre 1988 contre le régime algérien. A l’époque, l’armée avait tiré sur eux, les islamistes les ont récupérés. Durant ce mois, des émeutes et des rebellions éclatent dans les principales villes de l’Algérie.

     

    Les jeunes s’attaquent aux symboles du régime, les Souk El-Fellah (grandes surfaces socialistes de grande distribution alimentaires, sur le model URSS), les commissariats et les sièges du parti unique, le FLN. Le régime proclame alors l’état de siège le 6 octobre, tire sur la foule et un général prend les rênes du pays: Khaled Nezzar. Embusqué derrière un président affaibli, presque «dégagé» et qui le sera quelques années plus tard: Chadli Benjedid.

     

    Bilan du «printemps algérien»?

     

    Presque 500 morts, des milliers de torturés, arrêtés et les premiers «disparus». Le traumatisme est lourd: l’armée qui dit avoir libéré le pays des Français, tire sur le peuple qui l’admirait. Les octobristes sont donc ces jeunes d’octobre 88. Aujourd’hui, ils sont vieux, blessés ou consternés. Pour rappel, le régime les a indemnisé, mais sans jamais reconnaitre ses torts: les jeunes d’octobre ou leurs familles sont classés sous la rubrique «accident de travail» par les services sociaux et indemnisés en tant que tel. Les généraux qui ont tiré sur la foule ne seront pas inquiétés ou jugés. Jamais.

     

    Les novembristes? Se sont les plus vieux. Ceux qui ont fait la guerre de libération déclenchée le 1 novembre 1954. Novembre est donc un mois sacré, comme le ramadan. L’un par l’histoire, l’autre par la religion. Novembre représente les vétérans de guerre, les anciens moudjahiddines, les conservateurs, le temple, le capital idéologique du régime, le nationalisme et la caste des plus de 70 ans aux leviers de commande.

     

    Les novembristes ont des rentes immenses, l’un des plus gros budgets de l’Etat à chaque loi de finance, des monopoles commerciaux, des licences d’exploitation. Dans les grandes écoles et pour les concours d’accès universitaires ou d’emploi, la loi leur donne ou donne à leurs descendants la priorité et une «avance» de points.
    Scandale des faux combattants

     

    Lors des grandes compressions et des licenciements de travailleurs par milliers durant la crise des années 1990, les novembristes et leurs enfants étaient les derniers, sinon jamais, licenciés ou obligés à quitter les entreprises publiques moribondes. Combien sont-ils? Grand débat en Algérie: c’est le seul pays où le chiffre des anciens qui ont fait la guerre augmente avec le temps, au lieu de diminuer. D’où ce scandale mou algérien: celui des faux anciens combattant, et qui n’a jamais été suivi d’enquête sérieuse: le régime est assis sur cette branche justement. Un algérien, fonctionnaire de la justice osera en rendre publique les dossiers: Benyoucef Mellouk le payera lourdement par un harcèlement judicaire qui dure depuis 18 ans!

     

    Les janviéristes? Se sont une poignée de généraux et de hauts officiers de l’armée algérienne qui ont « démissionné » Chadli Benjedid en janvier 1992, et décidé de dissoudre le parlement islamiste issu des élections de 1991, et d’interrompre le processus électoral qui a vu les islamistes du FIS (front islamique du Salut ) se faire élire par les Algériens post 0tobre 1988. C’est-à-dire après le printemps algérien de cette époque comme on le dit aujourd’hui.

     

    Qui sont-ils au juste les janviéristes? Les têtes de liste: Khaled Nezzar patron de l’armée quand l’armée a tiré sur les algériens en octobre 1988. Ensuite d’autres: Mohammed Medien, alias Toufik encore au commande du pays aujourd’hui. Larbi Belkheir, alias «le cerveau» selon l’humour algérien, décédé en janvier 2010 après avoir été éloigné comme ambassadeur au Maroc.

     

    Mohammed Lamari, présenté comme le chef de file de l’aile la plus anti-islamiste de l’Algérie. Il sera éloigné lui aussi après l’élection de Bouteflika. Il meurt lui aussi février 2012. On peut aussi joindre à la table du salon Abdelmalek Guenaizia, qui sera nommé vice-ministre de l’armée algérienne, puisque le ministre est un Bouteflika méfiant qui refuse qu’il existe un ministre de la défense justement, capable de le renverser. Et, en dernier, Mohammed Touati. Le cercle a un nom selon la culture politique algérienne : les décideurs. Ceux qui décideront du départ de Chadli, de la décennie noire, de faire la guerre ou pas, de fabriquer un président ou de le renvoyer.

     

    Dans la culture politique algérienne donc, il existe le cercle large des ministres et autres fonctionnaires de l’Etat-écran. Puis le cercle de la Présidence et des siens. Puis le cercle des décideurs: le salon algérois, le clan, les généraux ou pas. Les Décideurs ramènent le Président qu’ils veulent et le placent avant que les algériens ne l’élisent.
    Janviéristes: héros du monde arabe

     

    Pourquoi les janviéristes sont-ils des héros pour les autres régimes arabes? A cause du manuel de la méthode: «Comment faire crasher une démocratisation, chasser un président, discréditer des islamistes, garder le pouvoir et pousser le pays à la guerre». Le titre est long mais le manuel est court.

     

    Curieusement en effet, la méthode des janviéristes algériens semble être de mode aujourd’hui en Egypte: l’armée lâche Moubarak face à la rue qui se soulève contre lui. Ensuite des islamistes récupèrent la rue égyptienne, se font élire et se présentent comme les architectes de la révolution. Le conseil militaire du général Mohammed Hussein Tantaoui attend un peu, puis commence à récupérer les pans perdus du pouvoir puis se décide de dissoudre le parlement.

     

    En langage algérien: les octobristes sont récupérés par les islamistes pour chasser les novembristes mais ce sont les janviéristes qui gagnent à la fin. L’Egypte commence par s’installer dans le casting algérien comme on aime le croire ici: un président sans pouvoir, l’actuel candidat gagnant des frères musulmans, une armée qui décide de tout par le bais de «décideurs», une révolution devenue un «accident de travail», des islamistes poussés à se radicaliser pour mieux être décimés.
    Et si le Caire prenait le chemin d’Alger?

     

    Le coup d’Etat en cours en Egypte ressemble à s’y méprendre à celui de l’Algérie en 1992 et avec la même couverture internationale de l’Occident qui ne veut pas de barbus intempestifs au cœur du monde arabe. Les janviéristes égyptiens «avancent» aussi avec le soutien tacite des classes économiques libérales et patronales et des élites qui ont peur des islamistes.

     

    En Algérie, à cette époque, le coup d’Etat contre Chadli (Chadli Bendjedid, troisième président de la République égyptienne 1979-1992) s’est accompagné par la création d’un «Comité national pour la sauvegarde de l’Algérie», alias la vitrine civile. Dedans, ont y retrouvait les hommes du régime, ses amoureux du régime, des profiteurs du régime, des idéologues du régime et des partisans sincères du sauvetage de l’Algérie. En face, les islamistes.

     

    La bipolarisation a crée deux familles politiques algériennes: les dialoguistes et les éradicateurs. La guerre civile étant déclenchée dès l’interruption du processus électoral, les islamistes ayant été poussés et ayant choisi la violence, les «dialoguistes» étaient donc ceux qui prônaient le dialogue, les «éradicateurs», ceux qui prônaient la guerre. L’Egypte n’en n’est pas là encore mais en Algérie, on voit déjà l’avenir.

     

    Aujourd’hui donc, les janviéristes algériens semblent inspirer des militaires arabes qui veulent stopper une révolution, stopper les islamistes et faire du « coup d’Etat » utilitaire, consentis et presque souhaité par la moitié de leurs populations. Un coup d’Etat « passe » quand il vise à sauver le pays des islamistes et pas à, prendre le Pouvoir. Les janviéristes algériens avaient presque inventé la formule.
    Et la Syrie?

     

    En Syrie, les janviéristes sont aussi à la mode. La méthode pour gérer une guerre civile est algérienne malgré ce que l’on peut crier, scandalisé. Le mode opératoire est le même: avancer dans le déni absolu (ce n’est pas une révolution mais du terrorisme). Terroriser les populations indécises entre les deux partis («Il n’y pas de nationalisme gris, entre le blanc et le noir», a dit Bachar El Assad durant son dernier discours). Augmenter l’indice de confusion (qui tue qui finalement? La question, dès qu’elle se pose paralyse les initiatives et les pressions internationales).

     

    En Syrie, le régime vise les têtes «laïques» de la révolution et épargne presque les têtes barbues: le but est d’islamiser la révolution et donc de la «qaïdiser» et donc de la criminaliser et de l’isoler. Forcer les élites à choisir leurs camps, celui de la survie ou de l’exil. Faire éclater l’opposition et empêcher toute union. Créer de fausses oppositions islamistes. Punir la passivité des populations autant que les rebelles. Ne jamais reculer sur le front de la diplomatie internationale et gagner du temps et du temps: les guerres longues usent même ceux qui la regardent.

     

    Continuer la fiction institutionnelle comme si de rien n’était: élections, dialogues, «multipartisme» de façade, appel à «sauver le pays» de la menace…etc. Le cas syrien rappelle étrangement à des Algériens leur guerre civile, leur éradicateur et leurs dix ans de morts et de tromperies politiques. La guerre en Syrie rappelle la méthode seulement car le casting n’est pas le même, ni les intentions. Bachar a compris l’essentiel de la méthode des janviéristes algériens: persister et continuer.
    Comment l’histoire de l’Algérie aide à comprendre celle de la région

     

    Les janviéristes algériens sont donc peut-être un modèle panarabe. Ce qu’ils ont fait il y a vingt est à la mode aujourd’hui dans le reste du monde arabe. Et c’est avec amusement que les Algériens regardent aujourd’hui l’élection d’un islamiste président de l’Egypte mais sans aucun pouvoir réel: depuis vingt ans l’Algérie est ainsi. Ses présidents sont là, mais on sait qu’ils n’ont aucun pouvoir. Sauf celui d’apparaitre et de recevoir les hommes forts et faibles du reste du monde ou de faire des discours. Le 29 juin 1992, Mohammed Boudiaf, l’un de ces présidents algériens parachuté, sera même assassiné en live, à Annaba. Le suivant a démissionné, le suivant du suivant (Abdelaziz Bouteflika) parle à peine et regarde partout, avec méfiance.

     

    Une formule désigne le Caire comme «la mère du monde» arabe (Oum Eddounia). Les Algériens disent souvent que l’Algérie est «son père».

     

    Kamel Daoud