Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

le remede

  • LE DEVELOPPEMENT : LE REMEDE OU LE MAL ?



    M. Belaïd.

    Aucun algérien (ou presque?) ne peut nier vivre dans un pays « sous-développé » ou, au mieux, « en voie de développement » pour les plus optimistes. Le sentiment de cette évidence est solidement ancré notre imaginaire collectif et confirmé par un vécu humiliant: administration paralysée, industrie inefficace, agriculture ravagée, enseignement à la dérive, disparité criante de niveaux de vie… Et le moyen de sortir de cette infamie s’impose à tous d’une évidence qui transcende les clivages politiques: S’atteler à la roue de la croissance économique et techno-industrielle. En un mot se DEVELOPPER!

    Si tout le monde est d’accord sur ce constat, pourquoi ça ne marche pas? Pour un pays aussi riche, ça ne devrait poser aucun problème ! Alors, sommes-nous maudits? Avons-nous quelque tare génétique ? Est-ce la fatalité ? Sommes-nous dirigés par de plus insensés qu’ailleurs ? Pourtant à l’étranger, les Algériens démontrent des capacités et des succès qui n’ont rien à envier à celles d’autres peuples. Alors pourquoi ce « sous développement » nous colle t-il à la peau à l’instar des autres pays du « tiers-monde » comme on dit? Est-ce climatique, géographique, religieux, politique ?… Peut-être qu’en fin de compte, le problème réside dans le sens du « développement » lui-même : En avons-nous une compréhension suffisante ? Se pourrait-il que nous nous trompions-nous d’objectif ? Existe t-il autre chose que le développement pour bien vivre? Y a-t-il des voies alternatives ?… Oser se poser ces questions est folie, ou sagesse ? Qu’est vraiment le développement ? Une valeur universelle ? Depuis quand existe ce concept ? Quelle est sa finalité, s’il en a une…

    En fait la notion de développement est très récente dans l’histoire. Avant, on parlait de races, certaines dites primitives, d’autres civilisées, ce qui justifia d’ailleurs l’esclavage, la colonisation et les génocides. Le mot « développement », avec l’idée sous-jacente, a été « introduit » pour la 1ère fois le 20 Janvier 1949 par le président états-unien Harry Truman lors de son discours sur « l’état de l’union » préparé par ses conseillers bien avisés. Ce jour là, Truman, afficha solennellement la volonté des USA de venir en aide au MONDE ENTIER pour éradiquer la pauvreté de la surface de la Terre. Grande ambition philanthropique. Voilà pour la comm’! En coulisse, face à la suspicion des industriels US, pas vraiment portés sur la charité, le gouvernement leur fit miroiter de juteux contrats à venir.

    Il faut dire que le monde était mal en point dans les années 40. L’Europe à genoux, brisée par la 2nde guerre mondiale, s’enfonçait dans le marasme de luttes internes, de soulèvements des colonies, et par-dessus tout, de la « menace bolchévique ». Le reste du monde, encore pire. Les USA, dont les entreprises (ITT, IBM, …) ont engrangé de faramineux bénéfices (en mangeant à plusieurs râteliers!) grâce à cette guerre, prirent une sacrée avance militaro-industrielle et agricole sur le reste du monde et entendaient bien la garder… D’ailleurs le transfert des nations unies (SDN) de Genève à New York (ONU) est le sceau du nouveau maître. Tout un symbole. Mais que vaut l’avance industrielle si le monde n’est pas un client solvable?! C’est bien pour relancer la roue de la croissance et donc le « pouvoir d’achat » de l’Europe alliée que le plan Marshall lui a débloqué en 1947 des milliards de dollars d’aide au développement (industrie, agriculture, armée…).
    C’est dans ce contexte de récession mondiale que les stratèges états-uniens ont inventé le mot « développement » ainsi que l’imaginaire qui va avec : Etre développé c’est dorénavant être à même de s’équiper en produits de la technologie US, voilà le fantasme entretenu par le rêve américain.

    Et c’est ainsi que des milliards d’habitants qui n’avaient rien demandé jusqu’alors, se sont vu taxés de sous-développés, sous prétexte qu’ils étaient démunis du confort technologique ; et qui donc avaient besoin d’un coup de pouce pour sortir de leur « misère ». Voilà, c’est dit, y a plus qu’à faire ! Les traditions millénaires, les cultures ancestrales, bof ! ça ne vaut rien. Zéro ! Confort occidental pour tous ! La messe est dite.

    D’ailleurs en moins de dix ans après la guerre, les industries et agricultures des pays de l’Europe de l’ouest repartirent en hausse grâce au plan Marshall et aux ressources de leurs colonies (main d’œuvre corvéable et bon marché pour contrecarrer les revendications des travailleurs européens émancipés par le communisme, matières premières gratuites, …) formant ainsi le club des pays économiquement riches, dits développés, l’OCDE.

    La décolonisation des années 50 & 60 fit entrer en scène de nouveaux candidats, ceux-là qualifiés d’office de « sous-développés », une empreinte indélébile apposée par les anciens maîtres et adoptée sans complexe par les intéressés. Comment des nations fières, saignées à blanc pendant des décennies, et dont les peuples ont payé un prix exorbitant pour se libérer de colonialismes prédateurs, se retrouvent, une fois libres, gratifiées du sobriquet infâme de « sous-développés », de tiers-monde et autres humiliations. Et pour comble, par ceux-là même qui les ont spoliées? Les choses en auraient été autrement, si, refusant ce qualificatif, ces peuples avaient imposé à l’ONU d’être désignés comme pays « spoliés», ou «créditeurs » exigeant reconnaissance et compensations.
    Sous développé! Un qualificatif dégradant subtilement instillé et accepté par les concernés, infériorisés par la promesse d’avoir droit à la bienfaisance des grands qui leur font miroiter aides au développement, croissance et autres hochets à condition qu’ils suivent la voie qu’ils ont tracée pour eux. Voie, qui en réalité, perpétue la croissance de leurs entreprises par le maintien d’un niveau de vie bas chez les pauvres, réservoir éternel de main d’œuvre et de matières premières bon marché… Car, n’en déplaise aux inconditionnels du développement, la roue économique ne fonctionne que grâce aux grands écarts de niveaux de vie et toujours dans le même sens. Comme pour les vases communicants, il faut une différence de niveaux pour que ça débite ! Sinon ça bloque. Nous avons été trop longtemps exclus de l’histoire du monde, pour tirer avantage de cette compétition inégale avec les armes aiguisées de nos anciens « maîtres ».
    Comment ces « maîtres » ont-ils assuré leur coup ? Tout simplement en encourageant, si ce n’est pas en mettant en place, pendant les heures troubles des luttes d’indépendance, des leaders locaux acquis à leur cause, quitte à zigouiller ceux qui auront l’outrecuidance de refuser les termes de ce marché de dupes. A ce stade, je renvoie le lecteur intéressé à l’histoire de toutes les décolonisations. C’est toujours la même histoire : Assassinat des patriotes et émergence des affairistes… Qu’importe la politique, pourvu que les marchés fonctionnent. A ce stade, il est primordial de bien réaliser que l’occident avait affiné toutes sortes de techniques sophistiquées de guerre financière et commerciale depuis leur révolution industrielle: spéculation boursière, marchés dérivés, paradis fiscaux, trusts, assurances, crises, lobbies, corruption (des enfoirés de longue date, quoi !). Que savaient de tout ça les colonisés de 3ème ou 4ème générations ? Rien de rien! Usés à force de fuir ou affronter les forces armées des occupants pendant que les autres fructifiaient leurs investissements. Puis vint la lutte finale pour l’indépendance qui a fait de nos héros des bêtes politiques mais toujours des enfants en matière d’enjeux économico-financiers, sauf quelques initiés que les « enfoirés » ont plus ou moins formatés pour leur cause. C’est ainsi que le sort de nations, rêvant de justice, en fut jeté…
    Et, tels des athlètes en compétition sans le vouloir, inscrits à des épreuves imposées, ils se lancent tête baissée dans une course d’ « obstacles » trop sophistiqués, créés lors la réunion de Bretton Wood de 1944 à laquelle bien sûr, ils n’étaient pas conviés : FMI, Banque Mondiale, OTAN, aide au développement, PIB et autres attrape-nigauds destinés à ramener dans l’enclos les brebis égarés afin de poursuivre le festin.

    Dans tout ça et contrairement aux autres décolonisés d’Afrique étouffés dans l’œuf par la « Françafric », l’Algérie a miraculeusement manifesté, en tous cas en apparence, dès son indépendance, une volonté d’auto-détermination qui a forcé l’admiration de nombreux peuples…pendant 2 décennies…

    Pendant ce temps la croissance des pays riches, après 30 années « glorieuses », s’essouffle par la saturation de leur marché intérieur : Sous l’impulsion de leur «multinationales», ils créent dans les années 80-90 de redoutables nouveaux outils (GATT, GATTS, OMC…) pour élargir l’éventail de leur pénétration dans le marché biens et des services des pays encore vierges. Des changements structurels sont alors imposés aux débiteurs du FMI et de la Banque Mondiale… en Asie, Afrique, Amérique latine: libéralisation et privatisation, concurrence libre, flexibilisation des lois du travail pendant qu’eux subventionnent leurs industries et leur agriculture pour préserver la paix sociale menacée en occident.

    Beaucoup d’eau, d’encre et de sang ont coulé depuis 1962 et surtout depuis 1992 sous les ponts de l’Algérie et la voilà aujourd’hui transformée, méconnaissable, dans un monde difficile à décrypter, rejoignant la cohorte des pays en quête de la prometteuse roue de la croissance, du développement!… Ouvrant aux multinationales ses ressources naturelles (sol, climat) et ses services (enseignement, santé, eau, communications, ….), et ne récupérant au passage que des miettes au profit une minorité de notables et la destruction de son écosystème physique et culturel… laissant à la traîne la grande majorité de la population.

    L’arnaque du développement réside dans sa sémantique : Ce que nous imaginons être le développement du bien-être de la communauté humaine est en fait le celui des intérêts d’investisseurs mondialisés dont les entreprises ont atteint des tailles tellement gigantesques, qu’elles doivent sans cesse conquérir d’autres marchés pour perpétuer leur croissance… Et ô coïncidence, le sous-développement est justement défini comme un état de manque à combler, sans faire acte des raisons de cet état, ce qui en dédouane magistralement les responsables. Et personne n’a rien à dire…La croissance est la seule issue !
    « Il n’y a pas d’autre alternative » disait Mme Thatcher en 90 :
    - Privatisation des biens et des services (céder les réalisations publiques, bâties par la collectivité, à quelques oligarques affamés de profits).
    - Exonération des impôts sur les entreprises (tant qu’à faire, ne plus contribuer à l’effort national, si ce n’est pour financer les forces de maintien de l’ordre).
    - Flexibilisation du marché du travail (affaiblissement des organisations des travailleurs, encourager les enchères vers le bas entre ceux qui n’ont que leur travail à vendre…
    - Mais, dans leur grande mansuétude, partager, mutualiser les nuisances et les pertes (pollution, destruction des écosystèmes, nuisances à la santé de tous …).

    Il faut garder à l’esprit que, contrairement au schéma économique dans lequel nous avons baigné pendant des années, les géants industriels occidentaux sont propriétés de personnes, de familles, de banquiers d’affaires qui, de longue date, ont bâti des empires et se sont agrandis au point d’être plus puissants que certains pays : Que bâtissons-nous en face d’eux si ce n’est des canaux d’écoulement de leur excédants toujours croissantes. Que font les « grands » industriels algériens, souvent héritiers des sociétés nationales dévastées, sinon s’en servir comme client-dépotoir pour les produits des multinationales. Que vendent-ils à l’occident? Rien!? Ou plutôt si! Des marchés juteux et des rétro-commissions! Oui! Il suffit d’observer ce que vomissent les bateaux à longueur d’année dans nos ports (30 Mds de $ de marchandise à la consommation).

    Le summum de l’arnaque réside dans l’ « unité de mesure » du développement : le PNB! (ou le PIB) : Cet étalon biaisé qui ne laisse qu’une seule grille de lecture possible : la valeur monétaire des choses et des institutions. Aider son prochain, partager, rendre service, tout un ensemble de valeurs qui font de nous des êtres sociaux, sont dévalorisées… les services gratuits et solidaires (santé, enseignement, …,) ne valent rien en unité PNB. Zéro ! Exemples pêle-mêle : Essor de l’industrie pharmaceutique grâce à l’abandon de la prévention sanitaire. Envol du chiffre d’affaires des cabinets d’avocats par l’augmentation (occidentalisée) des divorces. Floraison des écoles privées par la destruction systématique de l’école publique…

    Comment avons-nous gobé ça ? Deux redoutables industries sont mises à l’œuvre pour rendre possible cette machination mondiale : l’industrie de l’information (les médias) et l’industrie militaire (US). La première tisse autour de nous une grille de lecture unique (économique) et nous place des ornières génération après génération, lobotomisés à coups de « rêve américain ». Merci la télé… La seconde vient en dernier ressort menacer et « convaincre » les récalcitrants à coups de GI’s : « Mc Donald’s ne fleurit pas sans Mc Donnell, ni la Silicon Valley sans l’US Navy» (www.accuracy.org).

    En cette année du cinquantenaire de sa libération( ?) l’Algérie est le théâtre d’une bataille politique interne trouble, féroce avec des risques de déflagration, mais, en deuxième rideau, la vraie bataille qui se joue est celle (étroitement liée bien sûr) de notre souveraineté économique, morale et notre protection contre d’un système de prédation qui provoque déjà de profonds dégâts dans notre tissu social: pertes de nos valeurs, égoïsme généralisé, renoncement, dégradations de notre environnement, pauvreté, insécurité, prostitution, drogues, maladies, …Le loup est déjà dans la bergerie.
    Qui aura alors la clairvoyance et le courage de protéger notre patrie de cette boulimie débridée d’importations du surplus matériel et moral occidental, et reconstruire notre société par la base : indépendance alimentaire, développement d’industries locales de subsistance, formation et emploi des algériens au lieu de les remplacer de la main d’œuvre étrangère, régulation des importations, planification,… y aller doucement mais sûrement, au lieu de cette fuite en avant suicidaire…, adhésion des citoyens aux orientations politiques mais aussi économiques (utopie?)… Le gouvernement exhibe ces jours-ci une mystérieuse menace d’ingérence extérieure en cas d’abstention au scrutin législatif, mais se garde d’en expliquer la nature, estimant sans doute que le peuple algérien est trop bête pour comprendre. Comme si l’Algérie a été un jour épargnée par l’ingérence extérieure !