Par : Mustapha Hammouche
Maître Nasr-eddine Lezzar a signalé, dans une récente contribution à El Watan (du 23 janvier dernier), la défection des avocats algériens dans la défense des émeutiers arrêtés suite aux révoltes du début de l’année.
L’auteur relève qu’au-delà des attitudes individuelles, le bâtonnier Bachir Menad, considérant, par son propos rapporté par El Khabar, que “défendre les émeutiers à titre bénévole est un acte politique”, assumait, à l’occasion, une position de corporation. Les avocats algériens n’ont donc pas à défendre des cas qui les “compromettraient” politiquement. “Nous n’adopterons pas une affaire de destruction de biens publics et privés”, engageant, par le “nous” du bâtonnier national, la corporation dans une position politique qui réduit, au moins pour l’occasion, l’émeute à une œuvre de seuls “casseurs”. Qu’en pense la corporation ? Qui ne dit mot consent.
Quelques jours plus tôt, le 27 décembre, à Tunis, avant même que le soulèvement ne touche la capitale tunisienne, et bien avant le sauve-qui-peut de Ben Ali, les avocats tunisiens avaient initié une grève générale et une manifestation pour soutenir le mouvement de ceux que le président tunisien appelait alors des “terroristes”. L’engagement des avocats tunisiens est conforme à la tradition militante de la profession dans ce pays : pionniers dans la défense de la cause de l’Indépendance nationale, leur ordre a été longtemps la seule institution à s’imposer des élections affranchies de l’interventionnisme du pouvoir et de ses membres. Fervents défenseurs de l’indépendance de la justice, ils n’ont déserté aucun procès politique.
Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui, les avocats algériens désertent cette tradition qui, chez nous plus qu’ailleurs, a fait de la défense du justiciable l’antichambre naturelle de la défense des droits et libertés et de leurs militants ? Pauvre argument que celui qui sert à revendiquer un métier désincarné, “apolitique”, pour se désolidariser des souffrances de sa communauté et rester insensible aux frémissements de sa société, sous prétexte que l’expression de cette souffrance et de cette révolte est chahutée par des actes inciviques et violents ! Où donc nos robes noires trouvent-elles la ressource — morale — pour défendre l’assassin ou le pilleur de biens publics en col blanc ? On ne peut que douter de la sincérité même d’une telle “stratégie de la défense” quand on se rappelle, avec Lezzar, qu’en 2006, la même corporation ne s’était pas retenue de se hâter de soutenir, par la voix du secrétaire général de l’Union nationale des barreaux, la politique de réconciliation nationale : “Nous sommes prêts à prendre en charge les dossiers des victimes de la tragédie nationale” (Le Quotidien d’Oran du 29/03/2006). Jamais aucune cause politique, en Algérie, n’a été privée de la disponibilité de principe des avocats algériens, les apôtres du terrorisme islamiste compris. Aujourd’hui, ils semblent avoir le monopole du “politiquement défendable”. C’est dire combien ce processus de régression doit à l’ère de la réconciliation nationale et à ses soutiens.
Heureusement que les Chezelles, Dreyfus, Stibbe, Poppie, Garrigues ont su voir la cause du FLN avant de juger de ses moyens ! Ce n’est pas en se faisant “apolitique” qu’on méritera l’héritage d’Ould Aoudia, Aït Ahcène, Boumendjel, Abdesmed et autres Oussedik !