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les familles désemparées

  • Les familles désemparées face à la dictature

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    H’ram aâlihoum… Pourquoi enfoncent-ils nos enfants davantage ?» Mahdia, 57 ans, est désemparée. Elle est la mère de l’un des 1100 jeunes gens qui ont été appréhendés par les forces de l’ordre durant les émeutes qui ont secoué le pays.

    Les yeux bouffis et cernés, le visage pâle, elle fait les cent pas dans le salon de son logement. Depuis une vingtaine d’années, cette famille de neuf enfants vit dans une cave située dans un quartier de Belcourt. Le sort de son fils ? «Je m’en remets à Dieu… C’est tout ce qu’il me reste à faire», s’apitoie-t-elle. «Avec quoi voulez-vous que j’engage un avocat ? Il se défendra tout seul, lors de son procès prévu dimanche», dit-elle, pensive. Puis elle interroge : «Cela risque de le pénaliser ?»
    A côté des émeutiers qui sont pris en charge par des avocats de renom, des centaines d’autres se retrouvent seuls face au broyeur judiciaire. Et ce, même s’ils sont innocents. «Mes fils font de petits boulots pour se débrouiller. Mais ce ne sont pas des délinquants !», s’indigne Mahdia. Deux de ses fils ont été arrêtés dans la soirée de vendredi dernier. Alqors que l’un d’eux, âgé de 20 ans, a été remis en liberté dimanche, son aîné croupit à El Harrach. «Mon pauvre enfant, il est malade, vous savez. Dépressif à 24 ans. Il est même suivi par un psychiatre», relate, dans un récit saccadé, Mahdia.


    Son autre fils, un large pansement recouvrant l’arrière de son crâne, l’interrompt et raconte, fébrile, la soirée de leur arrestation : «Nous étions dehors et en voyant qu’il y avait du grabuge pas très loin, nous nous sommes réfugiés dans un taxiphone.»  Il poursuit : «Des éléments de la brigade antiémeute ont forcé la porte du local. Nous étions une dizaine. Pourtant, mon frère et moi sommes les seuls à avoir été arrêtés.» Prenant une profonde inspiration, le jeune homme continue péniblement : «Traînés à l’extérieur, les agents nous ont roué de coups, avant de nous embarquer dans leur fourgon.»
    Mahdia, la tête entre les mains, s’écrie: «Mon fils a eu le nez cassé. Nous l’avons vu mardi.» Sa voix se brisant dans un sanglot, le cadet explique : «Il avait le visage tuméfié et le nez encore en sang. Il en crachait même. Il nous a affirmé qu’aucun soin médical ne lui a été administré.» Donc aucun certificat médical ou autre document attestant d’un quelconque mauvais traitement. «Ils nous ont demandé un tas de papiers, même des actes originaux que l’on doit établir à Barika !», s’exclame un autre frère. Et ce n’est que mardi, après plusieurs allers et retours, que les parents du jeune homme ont pu lui rendre visite. «Ils ne m’ont même pas laissé lui apporter d’effets personnels, d’habits propres», s’indigne la mère. 

    Entendus par le procureur de la République dimanche dernier, les deux frères, pourtant arrêtés dans les mêmes conditions, n’ont pas connu le même sort. «Il nous a dit : vous êtes frères, alors je vais en libérer un», affirme-t-il. Et de nombreux jeunes, arrêtés au cours de ces événements, ne savent pas à quoi ils doivent leur liberté. «J’ai été relâché hier, mais on ne m’a rien expliqué. Et c’est le cas d’autres garçons que je connais et qui se sont retrouvés dans la même situation», souffle un habitant de Bab El Oued. Il est pourtant âgé de 19 ans et n’est, de ce fait, plus mineur. Un cocard sur le visage, le blanc de l’œil injecté de sang, le jeune homme jure ses grands dieux qu’il n’a rien fait. «Je crois que je me trouvais au mauvais endroit au mauvais moment», estime-t-il.


    Ce qui semble être le cas du fils d’Oum Elkheir, 52 ans.
    Agé de 22 ans, son enfant était juste sorti quelques minutes dans sa rue de Belcourt. «Je le regardais par la fenêtre. Je lui ai crié de remonter, mais il ne m’a pas écouté», dit-elle en essuyant ses larmes. Décrit par l’ensemble des habitants du quartier comme un garçon des plus calmes et des plus tranquilles, «de peur, il n’a même pas pu se défendre lorsque les policiers l’ont agrippé», poursuit la mère de 6 enfants. «C’est juste qu’il avait sur son téléphone la vidéo d’une scène d’émeute», assure-t-elle.
    La famille n’a pas encore pu parler au jeune homme, incarcéré à la prison d’El Harrach. «Je suis allée le voir samedi au commissariat. Mais impossible de l’approcher», s’indigne-t-elle. Tout comme Mahdia, elle aussi n’a d’autre solution que d’attendre, dans son appartement vétuste, le retour de son fils. En ayant comme unique recours de s’en remettre à Dieu…                

    Ghania Lassal