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les raisons d’une crise

  • Les raisons d’une crise

    MÉDICAMENT

    Réelle, artificielle ou planifiée, la pénurie de médicaments qui persiste depuis près de deux ans met de la pression sur notre système de santé, prenant en otage la santé de la population. De quelque nature qu’elle soit, cette pénurie renseigne sur la défaillance d’un secteur moribond.
    Wassila Zegtitouche - Alger (Le Soir) - Le patient algérien est pris en otage entre grèves successives des personnels médicaux et pénurie de médicaments. Antihypertenseurs, antalgiques, anticancéreux, certains antidépresseurs, et autres médicaments pour cardiopathie… la liste est longue. En tout, plus de 300 produits en rupture de stock dont 160 prescrits pour les maladies chroniques, manquent, au grand dam des patients. Même les pharmacies des hôpitaux enregistrent plusieurs produits manquants. Selon le secrétaire général du Syndicat national des pharmaciens d’officine, Snapo, M. Abed, c’est un problème qui «dure et perdure » depuis octobre 2009. Dénoncé plusieurs fois, en vain ! La situation ne fait qu’empirer, d’après les propos de M. Zemmouchi, vice-président du Snapo. Pourtant, l’importation des médicaments représente 70% du marché contre 30% de production locale. Deux causes avancées pour expliquer la pénurie : les difficultés administratives et le manque d’approvisionnement en matière première. S’ajoute à cela l’interdiction d’importation de quelque 359 médicaments, s’accordent à dire les pharmaciens. Le vice-président du Snapo explique cette pénurie par un manque d’organisation du marché du médicament, notamment sur le plan interne. «Il serait prétentieux de dire que le marché est maîtrisé» affirme-t-il. De l’aveu du Dr Mellah, président de l’Union nationale des opérateurs de la pharmacie, Unop, pour les médicaments importés, la responsabilité incombe au titulaire de la décision d’enregistrement dans le pays. «Il est reconnu de façon internationale que le premier responsable de la qualité et de la disponibilité d’un produit sur un marché est le titulaire de la décision d’enregistrement dans le pays, qui est donc le responsable pharmaceutique du produit» explique-t-il. Il soutient que dans les pays développés, le titulaire de cette autorisation de mise sur le marché doit être unique et basé dans le pays. «Or, en Algérie, notre réglementation permet à une société étrangère d’obtenir une décision d’enregistrement sans avoir de présence locale, en confiant ensuite l’importation du produit à plusieurs importateurs. Ces derniers étant concurrents entre eux, l’information ne circule pas, et donc il suffit que l’un d’entre eux soit défaillant dans ses approvisionnements, pour que le marché entier soit perturbé, et qu’on vive des tensions sur le marché, hautement préjudiciables pour les patients». Quant aux produits de fabrication locale, le Dr Mellah déplore l’environnement, paré d’embûches, d’embûches, des industriels du médicament en Algérie. «Lettre de crédit, bureaucratie, délais de dédouanement excessifs, difficultés à obtenir certaines autorisations… sont autant d’écueils qui peuvent perturber la marche d’un laboratoire pharmaceutique. Ajoutons à cela, une circulation de l’information aléatoire, qui fait que lorsque deux laboratoires fabriquent le même produit, la défaillance de l’un d’entre eux pour une raison ou une autre n’est constatée par le deuxième fabricant qu’une fois la tension sur le marché déclarée. Or, l’environnement dans lequel nous évoluons ne permet pas de réelle réactivité, pour les raisons citées précédemment», note notre interlocuteur.
    La maladie, une ressource lucrative
    Cette pénurie profiterait, selon le SG du Snapo, «aux lobbies du médicament». A ceux qui ne veulent pas que l’Algérie avance, que l’Algérie puisse avoir sa propre production nationale. Des gens qui veulent garder le monopole du médicament, et ce, aux détriments des malades. «Elle profite à tous ceux qui veulent gérer dans la facilité leurs stocks de médicaments et imposer leurs lois sur le marché», souligne de son côté M. Zemmouchi. A noter qu’une pénurie peut avoir un impact à la hausse sur le prix du médicament. La maladie devient ainsi une ressource renouvelable et très lucrative.
    Pharmaciens et patients désemparés
    Les ruptures de stock sont de véritables casse-tête pour les pharmaciens. En effet, lorsque le médicament indiqué sur une prescription est introuvable, les pharmaciens souvent bien intentionnés, se rabattent sur des médicaments génériques moins coûteux, qui s’avèrent souvent moins efficaces. Et encore faut-il trouver ces génériques. Un manque y est enregistré. «Des produits destinés aux maladies chroniques, notamment le diabète, les cardiopathies et l’hypertension, font défaut, comme, la pilule et certains antalgiques. Cela fait plus de sept mois que cela dure», nous confie H. Mohamed, cogérant d’une pharmacie à la rue Belouizdad. Selon notre interlocuteur, une rareté dans certains génériques est aussi enregistrée. Le Modiuritic en comprimés prescrit pour les maladies cardiovasculaires n’est pas disponible, de même que le générique tel que le Déril, révèle le pharmacien. En outre, Glucophage et son générique ainsi que l’insuline, médicaments destinés aux diabétiques, se font rares. Les parkinsoniens souffrent du manque de Levomed et du Modopar. Des antibiotiques tels que l’Oxacilline en sirop sont indisponibles. «Étant pharmacien, je peux vous dire que je vis cette pénurie de plein fouet. Il est bien sûr évident que ces ruptures engendrent une surcharge de travail pour les pharmaciens, qui font des efforts afin de satisfaire des patients souvent en manque de compréhension», certifie un autre pharmacien. Et d’ajouter «il semble que le phénomène de pénurie soit de plus en plus répandu ». Ce sont des patients désemparés que nous avons rencontrés dans les pharmacies d’Alger. «Ma gynécologue m’a prescrit du Lutényl. J’ai ratissé un grand nombre de pharmacies sans en trouver. Je suis obligée d’aller revoir mon médecin pour une nouvelle prescription», nous confie Amina. Furieux, Mohamed, un quinquagénaire, brandissant une ordonnance à la main : «Il est déplorable de laisser les patients sans médicaments. Trouver du Glucophage ou son générique relève du parcours du combattant. On nous parle de facture d’importation qui ne cesse de s’alourdir, mais beaucoup de produits médicamenteux manquent». Et ce sont des milliers de patients dans la même situation.
    Les solutions ?
    La majorité des opérateurs et des pharmaciens rencontrés s’accordent à dire que la solution réside en la promotion de l’investissement national. Les lois existent mais ce sont leurs applications qui sont défaillantes. Qu’il y ait une réelle volonté politique, affirment le Snapo et l’Unop, est indispensable. Pour ce dernier, il est primordial de mettre un frein à la bureaucratie, d’encourager les investisseurs algériens en leur facilitant la tâche. De son côté, le Snapo propose depuis longtemps, la création d’une centrale d’achat du médicament. Celle-ci, en cas de pénurie, se chargerait de s’approvisionner s’approvisionner en quantités «transitoires » de médicaments pour juguler les pénuries, d’après M. Zemmouchi. «La meilleure solution est d’encourager notre industrie nationale et d’augmenter ses parts de marché, en améliorant l’environnement dans lequel elle évolue» indique le Dr Mellah. Ainsi, selon lui, une remise à niveau de la réglementation est indispensable pour qu’elle intègre la notion de responsabilité pharmaceutique avec toutes les obligations que cela imposera au titulaire de la décision d’enregistrement qui doit être basé en Algérie. L’importation doit être réservée à des établissements pharmaceutiques comme cela se fait partout dans le monde, explique notre interlocuteur. Ce dernier affirme que «le ministre de la Santé nous a assuré lors de notre rencontre du 14 juillet, que tous ces dossiers seront abordés lors de rencontres thématiques concernant chaque problématique, en vue d’atteindre une couverture de 70% et de sécuriser le marché au bénéfice des patients, dont la satisfaction demeure notre première priorité». Néanmoins, la situation ne pourrait s’améliorer que d’ici 3 ou 4 mois, estime M. Zemmouchi, soit le temps de régler le problème d’approvisionnement. En attendant, ce sont les malades qui payent les frais de la pénurie, prenant leur mal en patience.
    W. Z.