Alors que les barreaux s’apprêtent à élire leurs représentants
Malaise chez les avocats
Agressions, pressions, diverses difficultés liées à l’exercice de la profession ; la litanie des plaintes des robes noires est longue. L’entrée en vigueur du nouveau code de procédure civile et administrative le mois d’avril 2009 a accentué, selon les avocats, les difficultés quant à une justice accessible à tous.
Le malaise est perceptible dans les tribunaux. La récente ouverture de l’année judiciaire qui a eu lieu dans toutes les juridictions du pays a été présentée par l’administration judiciaire comme un gage d’une justice indépendante et performante. La réalité du terrain reflète une tout autre situation, constatent, unanimes, les justiciables et les avocats. Le renouvellement de tous les barreaux au niveau national, le mois de décembre prochain, rajoute une dose de doutes et des calculs électoralistes à un cocktail, déjà, détonant qui caractérise les agitations habituelles des prétoires. «Les conditions d’exercice de notre métier deviennent intenables, compliquées par le nouveau code. Mais notre souci majeur c’est d’assurer la défense du justiciable et lui permettre de régler ses litiges dans les tribunaux», tonne Me Nabila Smaïl, avocate, agréée auprès de la Cour suprême, qui commente le code de procédure civile et administrative. «Il est entré en vigueur sans qu’on ait eu le temps de le découvrir et de l’apprécier. Il y a plusieurs remarques à faire, notamment l’article 13 qui stipule que toute personne ne peut se présenter en justice s’il n’a pas la qualité, l’intérêt pour le faire.
En d’autres termes, cela veut dire que vous n’avez pas le droit d’aller en justice pour demander le partage si vous n’avez pas l’acte de propriété, par exemple. Or, tout le monde sait que bon nombre de régions du pays, comme la Kabylie, ont été pénalisées une première fois à l’époque coloniale, car c’est une région non cadastrée, très pauvre en actes, et une deuxième fois, elle a été pénalisée après l’indépendance parce que l’opération cadastrale n’est pas encore terminée à ce jour». En fait, dans les villages de Kabylie, les habitants ne disposent pas d’actes de propriété. Et dès qu’une personne, en qualité d’héritier se présente au tribunal pour demander le partage, on le déboute dans l’affaire au seul motif de ne pas présenter le titre de propriété à la première audience, précise Me Amar Zaïdi, avocat à la Cour. Pourtant, le même code prévoit plusieurs méthodes d’investigation offertes au juge, telles que l’enquête, l’audition de témoins et les diverses expertises. Au seul motif que le titre de propriété n’est pas présenté à la première audience, le dossier est jugé non recevable, et par conséquent le litige non résolu par voie judiciaire. «Les répercussions de cette décision sur le citoyen sont décourageantes. Quand vous faites une action en partage, et je cite cet exemple, car c’est le litige le plus répandu dans beaucoup de régions, notamment en Kabylie, il y a autour de vous jusqu’à 20 héritiers, ayant droits, ayant la qualité, quand vous les citez tous, à 3600 DA le PV de citation, vous multipliez cette somme sur 20 héritiers, vous avez jusqu’à 40 000 DA de frais d’huissier uniquement, et au bout de 2 audiences, vous êtes débouté en la forme, par manque de titre de propriété.
Quelle explication logique l’avocat pourra-t-il, alors, donner à son client ? On répond en me disant de ne pas accepter l’affaire et d’exiger un acte», fulmine encore Me Smaïl.
Et, c’est à ce niveau que réside tout le problème. De la sorte, on amène l’avocat à refuser aux citoyens ses droits constitutionnels, notamment celui d’aller en justice pour régler un conflit. L’avocate relève que la justice, au lieu de résoudre les différends entre héritiers, les laisse en suspens, car les autorités françaises ont refusé un titre et que les autorités algériennes ont mis du retard pour régulariser les situations. Le nouveau code, dans son très controversé article 8, a mis du plomb dans les procédures pour aller en justice, au lieu de les alléger. L’article fait obligation à tout citoyen de présenter toutes les pièces du dossier en langue arabe. «Ce problème de la traduction est à l’origine de nombreuses contraintes. Comment exiger la traduction des textes produits par les services de la République ? On ne peut traduire que des textes émanant de pays étrangers. Mais on est contraint, avec ce code, de traduire tous les règlements intérieurs, de longs mais habituels textes. Depuis 1962, on a fonctionné normalement et nos magistrats ont la formation requise pour comprendre un texte, un contrat bancaire ou une convention collective», explique Me Zaïdi. Depuis la mise en application de cette mesure, les bureaux des traducteurs assermentés, en petits nombres dans les grandes villes et inexistants dans les villes de l’intérieur, ploient sous le nombre des documents à traduire. «Chez moi, mon agenda est plein. Il arrive que je demande à un client de revenir dans deux ou trois mois, selon la charge de travail», confie un traducteur. Les retards se répercutent non seulement sur le justiciable, mais aussi sur le travail de l’avocat. «L’arabisation des textes pose un sérieux problème de temps.
Car le juge accorde une semaine de délai pour déposer le dossier de fond et permettre à la défense de répliquer. Dans le même sillage, on exige du citoyen de parler en arabe, même s’il ne le parle pas. Comment imposer une telle condition alors que les tribunaux ne disposent pas d’interprètes ? Et ce sont les avocats qui jouent ce rôle pour aider la justice à fonctionner. J’estime qu’on fait tout pour fermer les portes des tribunaux devant le citoyen», tempête, encore Me Zaïdi. L’article 23 pose également énormément de problèmes et empêche l’avocat d’exercer son métier dans la dignité depuis que l’administration a chargé le greffier de communiquer les pièces aux parties «au cours ou en dehors de l’audience», stipule cet article. Mais tout se passe en réalité en dehors de l’audience, a indiqué Me Smaïl, qui ajoute : «Le greffier répertorie les dossiers, tient les statistiques, assure l’audience, et à présent on lui demande de recevoir les dossiers des avocats, de les formaliser dans des imprimés, tout cela en plus d’autres tâches administratives. Il y a volonté manifeste de mettre des obstacles à la défense». En dépit de protestations sporadiques, les avocats n’ont pas dénoncé ce qu’ils qualifient d’entraves à l’exercice de leur profession dans un cadre organisé. Les bâtonnats ne semblent pas porter la voix de ceux qu’ils représentent. «Normalement, chaque juridiction devrait dégager un représentant de celle-ci. Il faut qu’il soit accessible aux avocats qu’il représente, il doit remettre les requêtes au bâtonnier qui est habilité à les transmettre aux chefs de cours et les procureurs généraux. Mais, ce n’est pas ce qui se passe en pratique», résume Me Zaïdi. Notre interlocuteur rappelle qu’une AG a été tenue au Mazafran en 2008, une autre à Mostaganem en 2009, durant lesquelles les avocats se sont plaint des mauvaises conditions de travail. «Pour un oui ou pour un non, on peut nous poursuivre en justice. Nous ressentons une velléité d’avilir l’avocat. L’accès à la Cour suprême nous est difficile et toutes nos requêtes sont restées lettre morte, on a l’impression que nos représentants ont peur de saisir le ministre sur nos problèmes qui sont en fait ceux des justiciables», déplore encore l’avocat. Bon nombre de ses confrères ont fait remarquer que la justice focalise son attention sur les chiffres. La dernière rentrée judiciaire, qui s’est déroulée dans toutes les juridictions, n’a pas dérogé à la règle, occultant le nombre d’affaires qui montent à la Cour suprême, le nombre élevé de recours, les innombrables lettres adressées au président de la République par des citoyens insatisfaits et désabusés. Ceci tient, selon les avocats, à une seule raison : l’empressement à liquider les affaires.