Par : Mustapha Hammouche
L’Algérien vit dans la peur, du moins dès qu’il quitte sa zone sécurisée, c’est-à-dire sa maison, son lieu de travail ou leur proche périphérie. Il a du mal à s’en éloigner et quand il doit s’en éloigner, il s’assure préalablement de la sûreté des voies qu’il doit emprunter.
L’automobiliste conçoit, désormais, son véhicule autant comme un abri personnel mobile que comme un moyen de déplacement. Ce qui explique l’engouement féminin jamais égalé pour la voiture.
L’Algérien se fixe, à lui et à sa famille, ses propres horaires de “couvre-feu” et ses “zones interdites”, selon la terminologie léguée par l’épreuve coloniale. Il les délimite dans le temps et dans l’espace en fonction de sa perception de l’évolution horaire et de la géographie et de l’insécurité. Il répond ainsi à la structuration de la vie quotidienne telle qu’elle découle de l’organisation sécuritaire de l’Etat. Il emprunte les itinéraires qui passent par les avenues et les sièges d’institutions bénéficiant de surveillance aux heures où cette surveillance est en cours.
Ces stratégies individuelles finissent par converger ; confluent souvent en même temps aux mêmes endroits. Jusqu’à provoquer des situations ahurissantes du genre de celle qu’on observe rue Didouche Mourad à Alger, chaque soir de Ramadhan : ils affluent en grand nombre qu’ils forment une chaîne de véhicules qui roulent pare-choc contre pare-choc à une vitesse de limaces dans un flot si lent qu’il s’immobilise plus souvent qu’il avance. Et cet étrange manège se réédite chaque nuit. Sur les côtés, des piétons, par groupes se suivent et se croisent dans la même densité que les véhiculent qui occupent la chaussée. Des parents traînent leurs suites familiales ; des couples font semblant de se balader, des bandes de garçons et de jeunes arpentent les trottoirs avec l’insouciance et la gaîté qui sied au bon promeneur ; des badauds tiennent leur quart habituel aux angles de rues et aux entrées d’immeubles ; des escouades de gamins s’agitent au milieu de tous ces passants qui circulent sur un trottoir dallé et dont la crasse est levée par la pisse des climatiseurs avant d’être malaxée par les semelles de marcheurs.
Il paraît que les boutiques d’habits, achalandées en prévision de l’Aïd, attirent les gens sortis faire leurs emplettes en prévision de la fête. Mais la convergence de ces masses de flâneurs en quelques espaces identifiés ne s’explique probablement pas par la seule densité de magasins ; ils semblent aussi poussés par un instinct de conservation : le nombre rassure.
Récemment, le ministre de l’Intérieur évoquant la question terroriste, a affirmé que les villes sont aujourd’hui hors de portée de la nuisance des groupes armés. Contrairement aux villages et la campagne, donc. Dans son mouvement de repli sécuritaire, l’Etat a dessiné une carte sécurité que le citoyen à intégrée. En commençant par s’assurer la protection du personnel politique, des institutions, puis du personnel de sécurité, il a délimité des priorités sécuritaires. Ces priorités se sont étendues à des espaces sociaux dans un ordre que le citoyen a intégré. Et le même schéma qui préserve de la menace terroriste en fonction de la situation géographique s’applique à la carte de la menace délinquante.
Et enfin aux mouvements quotidiens, à moyen et à long terme, des populations.