La chronique farésienne : éducation, discours, meurtre et, impunité : l'amour de la xénophobie
Si, comme le fait remarquer, dans une chronique, opportunément, Esther Benbassa "il n'y a pas d'antonyme au mot impunité", il existe un frein, un arrêt nécessaire à cette impunité meurtrière et jalouse en ses manifestations.
En suivant le titre d'un excellent livre d'Amin Maalouf, Les identités meurtrières, on pourrait aussi bien parler aujourd'hui des "Impunités meurtrières", de la responsabilité du discours dans l'éducation des générations, de la loi éthique, des représentations de la présence de l'autre, le semblable, le prochain, du meurtre dans l'histoire et de son impunité ravageante.
L'anthropologie, l'histoire, contemporaines - les œuvres de Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss, Luc de Heush, Louis Dumont, Pierre Clastres, Robert Jaulin, Jackie Assayag, Michel Wievorka, Christopher Taymor, Nathan Wechtel, Léon Poliakov, George L. Mosse... , sont là pour en témoigner - la psychanalyse - Freud, dans "Malaise dans la civilisation", indique bien la violence et présence du meurtre, les tentatives d'effacements, sidérations, désarrois, que celles-ci provoquent, - ont insisté sur les effets et conséquences symboliques, imaginaires, transgénérationelles, des discours idéologiques aux traces, racines, symptômes, engouements cruels, encore mythol ogiquement, pathologiquement, sacrificiels, comme si l'humanité avait beaucoup de difficultés à sortir du piège, de la marque et dette de sang, non plus de celles des dits "sauvages" mais bien de celles des contemporains que nous sommes; et, il s'agit bien, ici, dans les meurtres commis par Anders Behring Brewin, de ce que : tout discours peut être pris dans cette trame - l'histoire du nazisme, entre autres, encore présente, des fascismes, le montre bien -, que ce soit le discours à caractère philosophique, théologique, esthétique, dogmatique, thérapeutique, médical, pseudo-scientifique, architectural, et, en très bonne place, efficacité, le discours halluciné, délirant, paranoïde, lorsqu'il devient outrageusement sécuritaire et falsificateur, idéologique, et, politique, du style, assez courant, banal, déformant, aujourd'hui, "Les racines de l'Europe sont chrétiennes ...", certes, ce qui permet d'effacer, à nouveau, que le Christ est né en un autre lieu que l'Europe, qu'il est sémite, et, pas encore devenu chrétien, juif, pas né à Berlin, Montreux, Genève, Paris, Grenoble, Aix En Provence, Lyon, ou, aux Etats-Unis.
Freud, Lacan, par exemple, et, quelques autres avant eux, littéraires, moralistes, romanciers, femmes et hommes de théâtre, de Marguerite Yourcenar, Artaud, à Eschylle, ont bien mis en scène la toute puissance meurtrière de l'illusion rédemptrice et vengeresse. Ce que dit, écrit, le "tueur d'Oslo", de l'ile de Utoya, Anders Behring Brewick, dont on commence à connaitre les copieux échantillons éloquents de croyance et de perspective assez catastrophique, justement, plein d'enseignement, est de cet ordre : il croit, il a cru, au discours rédempteur du fondamentalisme; discours qui peut s'emparer, se loger, intimement, dans n'importe quelle croyance, dans n'importe quel discours et, a fortiori, principalement, dans le discours idéologique au prétexte religieux, qui, à chaque fois, lie son acte, ses actes meurtriers à une anomalie catastrophique de l'identité présente de soi, envahie, souillée par l'autre, souillure très vite étendue à l'ensemble de l'histoire et du temps, comme si le présent appartenait à un passé immédiat, à un futur intolérable, et, demanderait, exigerait d'être « redressé » - les fameux redressements révolutionnaires, type maoîste « révolution culturelle », boumedienniste, à moindre frais - surtout si cela doit se faire d'une manière « cruelle et nécessaire » sur le corps de son semblable le plus commun, le plus proche.
Si le meurtre qui vient d'avoir lieu, a été commis, sur la "scène" du monde, cette fois, n'existe pas pour celui qui l'a accompli, c'est qu'il s'agit bien d'un acte sacrificiel inavouable, non dit, exercé à l'insu des personnes qui le subissent, pour leur gouverne, histoire, éveil, futurs.
La culpabilité peut, alors, être hors-champ, exclue, comme dans toute relation sacrificielle fondée sur le déni du meurtre.
Reste l'acte fondamentaliste qui témoigne, à son tour, d'un amour absolu de l'histoire, pas de n'importe quelle histoire, mais, bien celle d'une histoire en quête de purification toujours à renouveler, éternellement temporelle, toujours souillée par la trace d'une mère, d'un père, qui auraient été, seraient considérés, tous deux, contrairement à l'acte, souillés, étrangers.
Croyance, foi, acte, déni, finissent par se rencontrer et être confortés par ce qui, depuis une trentaine d'années, c'est à dire, une génération nouvelle, celle d' Anders Behring Brewick, est dit, prononcé, prôné, promu, par des discours politiques, parfois religieux, complètement meurtriers et irresponsables à propos des immigrés, étrangers, dits sans-papiers, roms, musulmans, inexistants, relégués, africains... toutes celles, ceux qui auraient quelques grains d'ailleurs, de provenances, de cultures, de sentiments, de pensée à supposer, de peaux, différentes de celles et ceux qui seraient les élu/e/s de ce qui s'est déjà appelé historiquement, "la pureza de sangre", la pureté de sang, amour xénophobe de soi intolérant au visage, comme l'exprime si bien Emmanuel Lévinas, au corps, à l'être, existence semblable, proche, dite, autre.
Si, comme le fait remarquer, dans une chronique, opportunément, Esther Benbassa : "Il n'y a pas d'antonyme au mot impunité", il existe un frein, un arrêt nécessaire à cette impunité meurtrière et jalouse en ses manifestations. Une éthique, en ce sens, nordique, dite par les paroles du maire d'Oslo, "Aucun cri de haine , aucun appel au lynchage, aucun dérapage. Les gens ont transformé la douleur en pouvoir, la colère en volonté de ne pas laisser un tueur détruire notre société. Nous allons faire en sorte de donner sens à notre malheur. Les norvégiens sont comme ça ils ont toujours dans l'idée de construire un monde meilleur", kierkegaardienne, en quelque sorte, qui relèverait, non pas de la falsification, satisfaction d'un meurtre accompli, mais, de la connaissance, de l'histoire instruite de la reconnaissance démocratique, du droit, et non de la vengeance, de la dette, certes, spirituelle, envers le judaïsme, tout comme la chrétienneté l'a récemment fait, l'islam, et, parce qu'il existe de semblables valeurs dans d'autres cultures que les cultures religieuses et monothéistes, valeurs de solidarité, de construction de l'humain, de la cité, l'ensemble du monde.
L'amour de la xénophobie serait alors un autre masque de la haine et de ce que Freud a appelé, si justement, dans "Malaise dans la civilisation", avec beaucoup d'humour et, sans précipitation, tout en tenant compte de notre meurtrière modernité, "le narcissisme des petites différences."
Nabile Farès, écrivain, psychanalyste