Par : Mustapha Hammouche
Le régime de la Corée du Nord a écœuré le monde par la manière dont il a exploité la mort de son dictateur. Expliquer la chute de
neige par le chagrin du ciel et faire pleurer les oiseaux parce qu’il ne suffit pas que la mort du despote attriste son seul peuple ! Il fallait
que l’univers se montrât inconsolable de cette irremplaçable perte. D’ailleurs automatiquement remplacé par un fils grassouillet à l’allure d’attardé.
Et c’est avec cette succession que les militaires nord-coréens ont fait sourire la quasi-totalité de la planète en baptisant le nouveau maître Pyongyang “le génie des génies en stratégie militaire”.
Fils du “cher dirigeant”, lui-même fils du “Grand Leader” (appelé aussi “professeur du monde entier” !), Kim Jong-Un, troisième du nom, perpétue la tradition dynastique coréenne unique dans une république communiste.
Pourtant à y réfléchir, le régime des Kim n’a pas le monopole de la transmission héréditaire. Les dirigeants des États dits arabes, en plus d’avoir tous versé dans la pratique absolutiste du pouvoir, se sont distingués par leur conception patrimoniale des pays dont ils s’emparent. Ils sont naturellement tenté de léguer leur pouvoir à un proche. Même là où les peuples arabes ont échappé à la restauration du royaume ou de l’émirat, les despotes parvenus par l’intrigue, les jeux d’alliances tribales, le putsch ou la volonté des puissances tutrices, se sont laissé séduire par le plaisir de remettre le butin à leurs descendants. L’Égypte, qui a déposé la monarchie héréditaire pour ériger la République élective, vient de connaître une révolution populaire en grande partie suscitée par le dessein de Moubarak de transmettre son autorité à son fils Gamal. En Syrie, Bachar al-Assad défend à coup de bombardement une présidence de la… République qu’il a reçue en legs de papa. Ainsi, tous les chefs d’État arabes, qu’ils relèvent d’un système monarchique ou de quelque artifice crypto-républicain, démocratique bien entendu, pensent, à un moment de leur règne, à régler la question de la succession en choisissant un dauphin dans la filiation ou la fratrie.
Si les militaires nord-coréens ont inventé un mode d’alternance “républicaine” dont ils n’ont plus le monopole, ils ne sont pas les seuls à présenter la figure de leur autoritarisme comme le plus grand esprit de son époque. Toutes les dictatures imposent cette image d’intelligence providentielle et de clairvoyance infaillible de nouveau maître. Et la meilleure manière de l’imposer, c’est de la rendre indiscutable. De faire de la contestation du chef un acte de subversion et de son image un tabou. Au contraire, même dans la contestation, il faut en appeler au chef suprême, l’entourage n’étant jamais à la hauteur de son chef.
Le peuple n’étant jamais collectivement déficient pour croire à l’infaillibilité, il faudrait que la retenue imposée par la terreur ou la cupidité apparaisse comme une adhésion spontanée.
Certes, il n’y a plus qu’en Corée du Nord qu’on impose la crainte qu’on fait passer pour une admiration nationale du chef. Ailleurs aussi on assiste à des démonstrations d’émotion qui exprime le même rapport, apparemment irrationnel, à l’arbitraire. Il n’y a là qu’une différence de degrés entre les rituels de ces dictatures caricaturales et les pratiques de nos dictatures ordinaires.