Depuis la subite détérioration de l’état de santé de Abdelaziz Bouteflika, plusieurs personnalités politiques exigent l’application de l’article 88 de la Constitution. Bien que répondant à tous les cas de figure, cette disposition est quasiment impossible à mettre en vigueur dans la situation actuelle.
Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - Le débat sur la capacité du président de la République à achever son troisième mandat s’est imposé ces dernières semaines. Pour le Rassemblement pour la culture et la démocratie, le Mouvement de la société pour la paix ou encore le Front national algérien, l’application de l’article 88 de la Constitution est aujourd’hui une nécessité. Que prévoit cette disposition ? L’article 88 comprend une série de mesures concrètes qui permettent de constater la vacance du poste de chef de l’Etat, d’assurer la gestion de la transition et des mécanismes de transfert du pouvoir. Il prend en compte trois cas : la maladie grave, la démission et le décès. Voyons d’abord les situations les plus «simples», le décès et la démission. «En cas de démission ou de décès du président de la République, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la présidence de la République», précise l’alinéa 4. Le processus n’est pas précisé dans la Constitution, mais en vertu du principe de séparation des pouvoirs, le personnage chargé de déclarer la mort du président de la République au Conseil de la nation doit nécessairement être membre du pouvoir exécutif. Le Premier ministre, de par sa fonction de chef de l’Exécutif, semble être le personnage le plus indiqué pour cette mission. En cas de démission, il revient au président de la République d’annoncer lui-même sa décision au Conseil constitutionnel afin que ce dernier engage la procédure de constat de vacance. C’est un acte volontaire. Puis, c’est au tour du Parlement de gérer la période de transition et d’organiser un scrutin présidentiel. «Le Conseil constitutionnel communique immédiatement l’acte de déclaration de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit. Le président du Conseil de la nation assume la charge de chef de l’Etat pour une durée maximale de soixante (60) jours, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées.» Notons que depuis l’indépendance, les présidents algériens ont quitté le pouvoir suite à un décès, un coup d’Etat ou à une démission. Jamais pour cause de maladie. Il faut dire que dans cette situation précise, la procédure est difficilement applicable. Voici ce que stipule l’alinéa premier de l’article 88 : «Lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement.» La première étape consiste donc à prévenir le Conseil constitutionnel. Le président peut s’en charger personnellement en adressant une correspondance au Conseil constitutionnel afin d’annoncer que son état de santé ne lui permet pas d’assurer ses fonctions. S’il est dans l’impossibilité de le faire lui-même, il revient au Premier ministre de saisir le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel, dont les membres représentent les trois pouvoirs, devra ensuite «vérifier la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés». Il est évident que cet aspect est du ressort de médecins spécialistes. Mais voilà, dans l’Algérie d’aujourd’hui, ce scénario relève de la science-fiction. Le président Abdelaziz Bouteflika n’est pas homme à reconnaître son incapacité à gouverner ou à remettre son dossier médical à Abdelmalek Sellal afin qu’il le transmette à une institution républicaine. Et le pire est à venir. Car après le Conseil constitutionnel, c’est au tour du Parlement de se réunir pour déclarer «l’état d’empêchement». La procédure est la suivante : «Le Parlement siégeant en chambres réunies déclare l’état d’empêchement du président de la République, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et charge de l’intérim du chef de l’Etat, pour une période maximale de 45 jours, le président du Conseil de la nation, qui exerce ses prérogatives dans le respect des dispositions de l’article 90 de la Constitution.» Imaginez 606 parlementaires (462 députés et 144 sénateurs) réunis en séance plénière sous la coupole du Palais des Nations au Club-des-Pins, afin de débattre de la maladie du président de la République et déclarer l’état d’empêchement. Pour Abdelaziz Bouteflika, le choix de cette voie s’apparenterait à une abdication. En fait, la pièce maîtresse de ce processus réside dans le dossier médical du président. Ce document est entre les mains de médecins militaires français. Autant de facteurs qui compliquent l’application des dispositions de l’article 88 de la Constitution.
T. H.