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  • Algérie-Maroc : La Vengeance des amis d’Oufkir

    images4.jpegLe clan d’Oujda au pouvoir à Alger refuse toujours d’ouvrir la frontière terrestre ferméedepuis août 1994, malgré les multiples demandes du gouvernement marocain. Aucune explication de rationalité politique, diplomatique, économique ou sociale ne peut justifier la persistance d’un tel refus. C’est d’autant plus incompréhensible que la majorité des membres du clan d’Oujda sont originaires du Maroc et que la monarchie alaouite a grandement soutenu la guerre de libération nationale et leur accession au pouvoir en 1962.  

    En reconstituant le puzzle historique algéro-marocain, on peut situer la dégradation profonde des relations entre les deux pays frères après le coup d’Etat manqué du 16 août 1972 du général Mohamed Oufkir, ministre de la Défense, qui fut aussitôt exécuté et sa famille placée en détention secrète. Oufkir était le mentor du MALG et de l’armée des frontières, le recruteur de nombreux marocains qui ont rallié le FLN, et l’ami personnel de Abdelhafid Boussouf, Houari Boumediene, Abdelaziz Bouteflika, Kasdi Merbah, Nouredine Zerhouni, et des DAF (déserteurs algériens de l’armée française). 

    C’est après la mort d’Oufkir que les relations entre Boumediene et Hassan II se sont gravement détériorées et que le Front Polisario a été créé en 1973 entraînant une guerre froide avec le Maroc, un schisme entre les deux peuples et les deux économies, de graves perturbations dans les relations maghrébines, africaines, arabes, méditerranéennes et internationales. 

    38 ans après sa mort, le fantôme d’Oufkir continue encore d’alimenter la soif de vengeance de ses amis algériens contre la monarchie marocaine. 

    Mohamed Oufkir, héros de guerre français  

    Mohamed Oufkir est né en 1920 à Ain-Chair, un douar dans la région du Tafilalet, fief des Berbères du Haut Atlas marocain à quelques kilomètres de Bechar. Il est mentionné dans son livret militaire qu’Oufkir « appartient à une influente famille du sud-est marocain qui a rendu des services appréciables à la cause française. » Son père avait été nommé Pacha par Lyautey en 1910. 

    Les références militaires d’Oufkir, reproduites dans le livre de son fils Raouf (1), sont impressionnantes : « Jeune officier plein d’allant et d’énergie, conservant dans toutes les situations le calme le plus parfait… d’une valeur et d’un sang-froid magnifiques. Exemple de baroudeur né… Remarquable entraîneur d’hommes… faisant preuve d’une ardeur et d’un sens tactique, manoeuvrant avec audace… d’un dynamisme et d’un cran exceptionnels. »  

    Héros de la campagne d’Italie, il entra à Rome avec le maréchal Juin en porte-drapeau à la tête du défilé de l’armée coloniale d’Afrique. Puis il s’illustra dans la campagne d’Indochine. Deux fois blessé au combat, promu Chevalier et Officier de la Légion d’Honneur pour faits de guerre, Oufkir a obtenu plusieurs citations et médailles : Croix de guerre, Palmes, Etoile de vermeil, Etoile d’argent, Etoile de bronze, Silver Star de l’armée américaine, etc… 

    Grâce à ses remarquables états de service, Oufkir est considéré comme un « Officier marocain complet, au loyalisme absolu sur lequel on peut compter en toutes circonstances… s’est acquitté parfaitement de toutes les missions qui lui ont été confiées et donne entière satisfaction… Est appelé à faire une brillante carrière. » 

    En 1950, Oufkir est « détaché au cabinet du général commandant supérieur des troupes du Maroc », le général Duval dont le plus sinistre fait d’armes fût le massacre de mai 1945 dans le Constantinois algérien. A ses côtés jusqu’à 1953, Oufkir devient un spécialiste des services de renseignement français en pleine naissance et structuration où sont affectés nombre de ses supérieurs (2). « Il est en contact avec tous les services de sécurité français… Il est plus qu’un honorable correspondant : un agent actif du maintien de l’ordre français au Maroc ». (3) 

    Par la suite, Oufkir « est affecté au cabinet militaire du Résident général de France au Maroc comme aide de camp » de 1953 à 1955. Le capitaine Mohamed Oufkir a été formaté en pur produit du colonialisme qui aura servi aux côtés de cinq résidents généraux, comme correspondant du SDECE et de la DST. 

    Après la proclamation de l’indépendance en novembre 1955, la France l’impose au roi Mohammed V comme aide de camp, avec tout ce qu’elle compte d’officiers, tirailleurs, spahis, goumiers, et tabors. Avec Oufkir et les OAF (officiers marocains de l’armée française), la France coloniale voulait gérer « l’indépendance dans l’interdépendance », selon la célèbre formule d’Edgar Faure. « Grâce à l’aide matérielle de la France et à l’expérience des officiers ayant servi sous ses drapeaux, l’armée marocaine est mise sur pied en cinq mois. Elle défile devant le Roi dans Rabat en liesse avec Oufkir marchant à sa tête. » (1) 

    La double mission d’Oufkir 

    Après le coup d’Etat manqué de 1972, le roi Hassan II avait déclaré avec malice dans une interview restée fameuse qu’il venait de découvrir le véritable rôle d’Oufkir : « Depuis quelques jours, je me pose la question. On aurait dit que la Résidence nous avait servi Oufkir comme sur un plateau. Le 16 novembre 1955, jour du retour de mon père à Rabat, il se trouva déjà à ses côtés dans le Delahaye noire. Ce n’est que depuis trois jours que je me demande pourquoi il nous fût ainsi « servi » dès le début. » (3) 

    La puissance coloniale avait donné à Oufkir deux missions essentielles. La première a été de construire les structures policières et de renseignement officielles, secrètes et parallèles du Maroc. 

    La deuxième a été de construire les FAR (Forces Armées Royales) tout en détruisant l’ALN marocaine (Armée de Libération Nationale) et saboter l’influence des partis nationalistes, Istiqlal et UNFP. 

    Au sortir du protectorat, le Maroc disposait d’une classe politique nationaliste d’élite forgée à la lutte armée et porteuse de solides capacités intellectuelles et militantes : Mehdi Ben Barka, Allel El Fassi, Bouabid, Ibrahim, fqih Basri, etc … 

    Oufkir est vite devenu l’ennemi intime des nationalistes de la résistance marocaine qu’il combattait férocement « au nom du Roi » … et de la France. Il détestait particulièrement Mehdi Ben Barka qui traitait les médailles militaires sur l’uniforme d’Oufkir de « quincaillerie de mercenaire indigne ». 

    Pour Ben Barka, le passé colonial des chefs de l’armée hypothéquait l’avenir. Il prononça cette lumineuse prophétie : « L’armée marocaine est un obstacle à toute évolution démocratique…et à toute option révolutionnaire… certains éléments dirigeants… ont un passé douteux : ils ont été formés, ils ont servi, ils se sont distingués et ils ont été récompensés et promus dans les guerres coloniales de l’empire français. » (3) Il le paiera de sa vie lorsqu’il fut enlevé par des barbouzes le 29 octobre 1965 à Paris, puis succomba aux tortures pratiquées par Oufkir et son adjoint Ahmed Dlimi. Oufkir fût condamné par la justice française aux travaux forcés à perpétuité, mais il ne sera jamais inquiété. 

    Promu colonel puis général de division, Oufkir se distingua par une cruauté anti-populaire (soulèvement du Rif en 1958, émeutes de Casablanca en 1965, …). La répression et la torture exécutées avec zèle lui valurent le surnom de « Boucher ». Oufkir inaugura les terribles « années de plomb » que connut le Maroc et qu’Hassan II poursuivra avec la police politique créée par Oufkir et les tortionnaires qu’il a formés. Les auditions de la Commission Equité et Réconciliation ont dévoilé l’ampleur de l’horreur subie par les opposants marocains. 

    Après avoir mis en place le système policier et de renseignement, dont le fameux Cab 1, ancêtre de la DST marocaine, Oufkir entra au gouvernement comme ministre de l’intérieur de 1967 à 1971. Une tentative sanglante de putsch, dont Oufkir avait été informé, échoue le 10 juillet 1971 et pousse Hassan II à liquider une bonne partie des OAF, compagnons d’Oufkir, qui dirigeaient les FAR. 

    Ne doutant pas de l’implication d’Oufkir, qui se trouvait à ses côtés au palais de Skhirat, le roi lui conserve sa confiance et le nomme sur le champ Commandant en chef de l’armée et ministre de la défense. A ce poste, Oufkir acquiert une nouvelle dimension qui impressionne ses amis du renseignement qui le voient désormais en futur chef d’Etat : Richard Helms directeur de la CIA, Alexandre de Marenches patron du SDECE, le MI 5 britannique, les services espagnols et le Mossad israélien avec lequel Oufkir a développé des relations indépendantes de celles de Hassan II. Un agent secret espagnol témoigne : « J’ai appris à quel point Oufkir était lié aux divers services secrets occidentaux : CIA, SDECE ou renseignements espagnols. Mais il ne se comportait ni comme un informateur, ni comme un honorable correspondant. Non, il discutait à égalité et on le respectait. » (4) 

    Un an après sa promotion, obtenant l’appui de plusieurs officiers marocains et le feu vert du SDECE, la CIA, le Mossad et Boumediene, Oufkir organise maladroitement un putsch qui échoue lamentablement le 16 août 1972. L’avion royal mitraillé en plein vol réussit à se poser et renforce aux yeux du peuple la baraka d’Hassan II. Oufkir fut immédiatement exécuté et ses complices arrêtés. 

    Hassan II renforça ses pouvoirs en exerçant lui-même les fonctions de ministre de la défense et de Chef d’état-major des FAR, postes qui ne seront plus jamais délégués par le roi du Maroc à ce jour. Le roi purgera de manière radicale son armée et sa police de ce qui restait des OAF et organisera les conditions d’une loyauté absolue des nouveaux gradés qu’il placera sous la surveillance renforcée des SSS (Services Spéciaux de Sa Majesté) dirigés par Moulay Hafid Alaoui et de la Gendarmerie Royale dirigée par Housni Benslimane. 

    Oufkir et ses amis Boumediene et Bouteflika 

    Avant leur arrestation, la veuve et les six enfants d’Oufkir eurent quelques jours de répit pour recevoir les condoléances. Raouf révèle comment lui et sa mère brûlèrent les dossiers renfermant « une masse de renseignements ultrasensibles » qu’Oufkir conservait chez lui. « Elle et moi sommes persuadés que mon père a emporté les secrets les plus cruciaux du Maroc dans sa tombe. » (1) 

    Ils reçurent une visite spéciale qui en dit long sur les relations qu’entretenait Oufkir avec le régime algérien. Son fils Raouf raconte : « Moulay Ali, le factotum de mon père… me chuchote : 

    - Saïd est là. Il veut te parler, ça urge ! Il doit repartir au plus vite ! Malgré la fatigue, les émotions accumulées, cette nouvelle ne me laisse pas indifférent. Que peut bien faire Saïd ici ? Ce petit homme frêle, basané, au regard perçant, est un orphelin adopté par mon grand-père paternel, le Pacha. Il a étudié et sur les conseils de mon père, s’est engagé dans la guerre d’Algérie aux côtés du FLN. Il est aujourd’hui un proche du président Boumediene. C’est à ce titre que sa présence m’intrigue. Moulay Ali m’entraîne vers la salle des machines de la piscine. Saïd, les yeux humides me serre dans ses bras. Ses condoléances sont sincères. Il se sent toujours de la famille bien qu’il vive dans sa seconde patrie l’Algérie. 

    - Je suis porteur d’un message du président Boumediene pour ta mère. Il serait préférable que je la voie discrètement. » (1) 

    Le message transmis à Fatéma Oufkir est sans ambiguïté sur les liens intimes qui unissaient Oufkir à Boumediene : « Madame, je suis venu vous transmettre les sincères condoléances du président Boumediene. Il vous assure de son amitié, de son soutien. Ses liens avec votre mari débordaient le cadre politique. Sa démarche est strictement personnelle, affective. Le président vous fait dire que l’Algérie vous est ouverte, que si vous le souhaitez une maison et tous les moyens nécessaires seront mis à votre disposition. » (1) 

    Fatéma eut le tort de refuser, n’imaginant pas un seul instant la terrible vengeance royale qui allait s’abattre sur elle et ses enfants. 

    Oufkir avait été le maître d’œuvre du rapprochement entre Hassan II et Boumediene après l’épisode de la Guerre des Sables en 1963. La signature de plusieurs traités augurait d’un avenir radieux de paix et de prospérité entre les deux pays. Comme le Traité d’Ifrane, du 15 janvier 1969, qui devait sceller « Une paix permanente, une amitié solide et un voisinage fructueux, découlant naturellement de la fraternité séculaire liant les deux peuples frères, … et viseront à l’édification d’un avenir commun et prospère. », la Déclaration commune de Tlemcen du 27 mai 1970, ou le Communiqué Commun de Rabat du 6 juin 1972. 

    Le sommet de la fraternité algéro-marocaine a été l’Accord Frontalier du 15 juin 1972 de Rabat, par lequel Hassan II reconnaissait avec précision le tracé frontalier et mettait définitivement fin au contentieux territorial hérité du colonialisme. Oufkir était l’homme fort au sein de la Commission Nationale des Frontières puis à la tête de la Commission Mixte pour le Bornage et avait tout fait pour satisfaire son ami Boumediene, comme l’écrit l’ex-Gouverneur Mohamed Maazouzi : « L’enjeu d’Oufkir était la liquidation des dossiers frontaliers pour s’assurer la protection algérienne à la veille de son coup d’Etat. » (5) 

    Ce témoignage crucial est confirmé par un autre : « En réalité, Boumediene rencontra personnellement le général Oufkir, ministre marocain de la Défense qui l’assura de sa totale approbation du traité. » (6) 

    Les chefs de la Sécurité Militaire, Kasdi Merbah et Nourredine Zerhouni, et le MAE de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, négociateur en chef et signataire des traités étaient évidemment les messagers et les confidents de ces relations d’amitié avec Oufkir. 

    Connaissant parfaitement les relations étroites qu’entretenait Oufkir avec Boumediene et les principaux dirigeants du régime algérien, « Hassan II comprend vite que les nombreux voyages que fait son ministre à Alger n’ont pas pour seul objet le règlement du problème du Sahara Occidental. » (1) Ayant saisi l’ampleur de la haute trahison de son ministre de la défense, il ferma provisoirement la frontière avec l’Algérie. Puis, aveuglé par la colère, il plaça toute la famille d’Oufkir en détention secrète le 24 décembre 1972, y compris le petit Abdelatif âgé seulement de trois ans. Ils n’en sortiront que 19 ans plus tard. 

    L’exécution d’Oufkir puis la disparition de sa famille provoqua une soif de vengeance du clan d’Oujda et de tous les amis d’Oufkir qui aboutit à la dégradation brutale des relations avec la monarchie et la création du Front Polisario en mai 1973. La promesse de Boumediene d’aider le Maroc à récupérer le Sahara Occidental, en échange du traité frontalier, fut enterrée dans la tombe d’Oufkir. 

    Un climat de haine s’installa aussitôt entre les deux dirigeants qui le firent payer très chèrement à leurs peuples. A titre d’exemple, on peut citer du côté marocain le Dahir du 2 mars 1973 qui décrète la « marocanisation des biens appartenant à des étrangers ». Des immeubles, des commerces et des terres appartenant essentiellement à des algériens mais aussi des français sont nationalisés.

    Et du côté algérien, Boumediene ordonna l’expulsion arbitraire de milliers de familles marocaines et la spoliation de leurs biens en 1975. Hassan II lance la Marche Verte, l’armée algérienne soutient militairement le Polisario et le 7 mars 1976, les relations diplomatiques sont rompues et la frontière fermée.

    Elle ne sera rouverte que 12 ans plus tard en 1988 avec le rétablissement des liaisons aériennes et la suppression des visas. Pas pour longtemps, le coup d’Etat des DAF contre Chadli en janvier 92 et la crise algérienne vont durcir les relations avec le Maroc pour aboutir à une nouvelle fermeture de la frontière en août 94 et le rétablissement des visas. 

    Oufkir et ses amis de la Sécurité Militaire 

    De la même façon qu’Oufkir a construit la police politique et les services secrets marocains, on sait aujourd’hui qu’il a joué un rôle primordial dans la création des services secrets algériens. Dès l’installation d’Abdelhafid Boussouf au Maroc, Oufkir l’encadre, l’assiste et lui procure toute la logistique nécessaire sur ordre du roi Mohamed V qui a tout fait pour encourager la révolution algérienne.

    Rien de ce que pouvait faire Boussouf et le FLN au Maroc ne pouvait échapper au système de renseignement d’Oufkir. Au contraire, Boussouf a bénéficié de tout le savoir-faire d’Oufkir pour créer le MALG (Ministère de l’Armement et des Liaisons Générales) en lançant la formation de la première promotion d’agents secrets sous l’appellation Larbi Ben M’hidi. 

    Un colonel de la Sécurité Militaire, Ali Hamlat, lève « le voile sur cette première promotion des cadres de la Wilaya V, dont les membres ont, effectivement, constitué, pour la plupart, l’ossature du MALG ». A la question « Sur le plan social, quelle était l’origine des membres de cette promotion Larbi Ben M’hidi ? », Hamlat répond sans hésitation : « Tous étaient issus, en règle générale, de familles de réfugiés, de fonctionnaires au service du gouvernement marocain ou, accessoirement, de commerçants et d’agriculteurs établis au Maroc de longue date ». Selon lui : « Le recensement effectué par l’Association des anciens du Malg a permis de situer à soixante-douze le nombre de stagiaires de cette promotion. » Leur directeur de stage Khelifa Laroussi, adjoint de Boussouf, leur avait décrété : « Vous êtes les futurs ministres de l’Algérie indépendante ! » (7) 

    En lisant l’interview, on devine l’ombre omniprésente d’Oufkir : « La conception stratégique et futuriste de l’opération de formation, le professionnalisme de son organisation et son déroulement, « l’intuition psychologique » de Boussouf, la « profusion de moyens dont il a pu disposer au Maroc »…. D’où donc Boussouf tenait-il ce professionnalisme et cette redoutable efficacité ? Et ses choix judicieux de collaborateurs professionnels, tous DAF, comme le « technocrate » Laroussi Khalifa, l’officier de transmission Omar Tellidji et le baroudeur Abdallah Arbaoui. Etait-il donc un « prophète » ou un génie de la formation et de l’organisation militaire ? Ou plutôt a-t-il été lui-même formé, encadré et coaché et par qui ? Pourquoi Boussouf a-t-il recruté ses stagiaires et agents uniquement au Maroc et n’a-t-il pas fait venir des volontaires de toutes les régions d’Algérie ? » (8) 

    Oufkir est lié de près aux choix et recrutements des agents de Boussouf, ainsi qu’à la formation et à l’encadrement d’hommes tels que Boumediene, Bouteflika, Merbah, Zerhouni, etc… Un grand nombre de ces recrues sont les enfants de militaires compagnons d’arme d’Oufkir ou ses collègues à la Résidence, comme le père d’Ali Tounsi, actuel DGSN, qui avait le grade de capitaine dans l’armée française. Est-ce qu’Oufkir avait noyauté dès cette époque les services secrets algériens sur ordre du SDECE ? L’histoire le dira. De même qu’on saura peut-être un jour quel rôle il a joué dans l’arraisonnement de l’avion transportant les cinq chefs historiques du FLN. 

    Comme pour le Maroc, la génération des résistants nationalistes du FLN a été marginalisée, opprimée, emprisonnée ou assassinée avant et après l’indépendance. La villa de Tétouan où a été assassiné Abane Ramdane appartenait aux services de police d’Oufkir. On comprend pourquoi la disparition brutale d’Oufkir a été un choc pour les chefs de la Sécurité Militaire algérienne, dont la plupart lui doivent leur carrière. Ils se vengeront contre la monarchie alaouite derrière le Front Polisario. 

    Oufkir et ses amis algériens de l’armée française 

    Alors qu’au Maroc, l’affectation des militaires marocains à la monarchie s’est faite naturellement et en masse dès la fin du protectorat, il n’en a pas été de même pour l’Algérie. 

    L’ex-premier ministre de Chadli Bendjedid (1984-1988), Abdelhamid Brahimi, confirme par un témoignage écrit ce que la rumeur publique connaissait depuis l’indépendance. La France « a organisé l’infiltration de l’ALN en noyautant les vagues successives de « déserteurs » de l’armée française en 1958, 1959 et 1961 par des hommes sûrs et acquis à sa cause pour leur permettre d’acquérir la légitimité révolutionnaire et la qualité de moudjahidine lorsque l’Algérie aura accédé à l’indépendance, en vue de contrôler au plus haut niveau la future armée algérienne. » (9) 

    Parmi tous les noms cités par Brahimi, on peut relever ceux qui ont « déserté » en 1957 Mohamed Zerguini, Mohamed Boutella, Abdelkader Chabou, Slimane Hoffman, Mouloud Idir. 

    Ceux qui les avaient rejoints en 1958 et 1959 Larbi Belkheir, Khaled Nezzar, Abdelmalek Guennaïzia, Abdelmadjid Allahoum, Abdennour Bekka, Mostefa Cheloufi, Lahbib Khelil, Abdelhamid Latreche, Selim Saadi, Rachid Mediouni. Enfin parmi les déserteurs de 1961, Brahimi cite Mohamed Lamari et Mohamed Touati. 

    Brahimi précise que tous ces déserteurs ne rejoignaient pas l’ALN dans les maquis pour combattre l’oppresseur colonial, mais le FLN à Tunis ou à Oujda. 

    Formé par le FLN dans des Académies militaires arabes comme Hocine Benmallem, Abderrezak Bouhara, Larbi Si Lahcene, Kamel Ouartsi,… Brahimi raconte cette anecdote à propos de Slimane Hoffman qui leur tint ce discours très explicite sur le contenu de leur mission : « Nous, ex-officiers de l’armée française et vous, officiers sortis des académies militaires arabes, sommes les mieux placés et les mieux préparés pour nous imposer et disposer du commandement de l’armée algérienne après l’indépendance, compte tenu de notre professionnalisme, notre expérience et notre compétence. Nous devons nous entendre dès à présent sur la répartition des rôles et des tâches pour accéder au commandement de la future armée. » (9) 

    Jusqu’à ce jour, on ne sait absolument rien des états de services des DAF qui dirigent l’armée algérienne et personne ne peut accéder à leurs livrets militaires. Au S.H.A.T. (Service Historique de l’Armée de Terre au Château de Vincennes), « Les documents ne sont communicables que 120 ans après la naissance de l’intéressé ». 

    Les DAF se reconnaissaient en Mohamed Oufkir, qui avait passé 17 ans sous les drapeaux français, et avaient tous une conception républicaine de l’Etat qui ne pouvait s’accommoder d’un régime monarchique et du baisemain. Ceux qui ont côtoyé Oufkir entre 1962 et 1972 échangeaient leurs « souvenirs militaires » dans de longues soirées arrosées.

    Il est clair que la composante du pouvoir algérien depuis 1962 à ce jour, symbolisé par « l’armée républicaine et révolutionnaire » n’a jamais eu de sympathie pour le régime monarchique. Le coup d’Etat raté d’Oufkir a sans contexte contribué à détériorer les relations entre les deux pays. Mais du côté algérien, la page n’a toujours pas été tournée malgré la disparition d’Hassan II qui a définitivement consolidé la monarchie que les opposants marocains ne cherchent plus à renverser. 

    La rancoeur continue à habiter les amis d’Oufkir. Dès qu’un membre du gouvernement marocain demande l’ouverture des frontières, Noureddine Zerhouni est toujours le premier à répondre non. Lors d’une visite à Tlemcen, à une question d’un journaliste, il avait fait cette déclaration indigne à la télévision : « Pourquoi voulez-vous qu’en ouvrant la frontière, l’Algérie fasse profiter le Maroc d’un apport touristique de 2 milliards de dollars ? » 

    Les amis d’Oufkir, encore au pouvoir 48 ans après l’indépendance, ont privatisé le pays et l’entraînent dans une inexorable décadence. Il est plus que temps de renouveler les élites dirigeantes de l’Etat, mettre un terme à ce discours de haine et de vengeance, et laisser les deux peuples vivre librement leur fraternité et leur bon voisinage. 

    Saâd Lounès

    (1) Raouf Oufkir – Les Invités, 20 ans dans les prisons du Roi – Flammarion – Paris – 2003 

    (2)  Historique des services de renseignement français

    http://saadlounes.unblog.fr/files/2009/07/historiquedesservicesderenseignementfranais.pdf   

    (3) Gilles Perrault – Notre ami Le Roi – Gallimard – Paris – 1990 

    (4) Gonzalez Mata – Le Cygne, Mémoires d’un agent secret – Grasset – 1976 

    (5) Mohamed Maazouzi – Un demi-siècle pour l’intégrité territoriale – Rabat – 2004 

    (6) Ania Francos et J.P. Sérini – Un Algérien nommé Boumediene – Paris– 1976 

    (7) http://saadlounes.unblog.fr/naissance-des-services-secrets-algeriens-au-maroc/ 

    (8) http://saadlounes.unblog.fr/lalgerie-gouvernee-par-des-marocains/ 

    (9) Abdelhamid Brahimi – Aux origines de la tragédie algérienne (1958-2000) – Témoignage sur Hizb França –Ed Hoggar – Genève - 2000 

    Télécharger le livre sur le lien ci-dessous :

     

    http://www.hoggar.org/books/HizbFransa/HizbFransa-fr.pdf