Le sida recule dans le monde, mais continue sa progression en Algérie. 600 nouveaux cas ont été enregistrés depuis le début de l’année, montrant une nette propagation du VIH dans la société. Tabous à la peau dure, ruptures de stocks de médicaments récurrentes, échec dans la promotion du dépistage, absence de coordination des actions et baisse des ressources… El Watan Week-end fait le point sur les problématiques du VIH/sida en Algérie, à quelques jours du 1er décembre, Journée internationale de lutte contre le sida.
Dans les jardins de l’hôpital El Kettar, à Alger, des silhouettes vont et viennent dans une déconcertante banalité. 800 malades atteints de sida sont actuellement traités dans le service infectieux. La détresse qu’enserrent ces lieux n’est perceptible qu’une fois à l’intérieur. A l’entrée de la pharmacie de l’hôpital, Djamel reprend son souffle et s’avoue dépité : «Je viens d’Oran, où une rupture de stock persiste depuis un an, avec l’espoir d’avoir des médicaments, mais la pharmacie refuse de me les donner, ils disent qu’il faut être originaire d’Alger.» Djamel est infecté par le VIH depuis six ans et se traite pour survivre. Il y parvient bien. «Grâce à la trithérapie, la vie continue pour moi», confie-t-il. Face à cette pénurie, il compte se procurer le traitement de France, à raison de 150 000 DA.
Il en a les moyens. On ne peut pas en dire autant pour d’autres. Mais les personnes vivant avec le VIH en Algérie composent comme elles peuvent et s’arment de courage pour résister au renoncement. Où en est-on, justement en Algérie ? Si la propagation de la maladie a ralenti dans le monde, (selon les dernières estimations de l’Onusida), en Algérie, le VIH se propage et les cas de sida ne cessent d’augmenter. Les chiffres sont éloquents même s’ils ne sont pas révélateurs de la véritable prévalence de la maladie sur le terrain. 600 nouveaux cas ont été décelés depuis le début de l’année (estimations du 30 septembre), portant le nombre de cas cumulés depuis 1985 à 1118 cas de sida et 4745 séropositifs, soit un total de 5863 personnes concernées. Les estimations non officielles parlent de près de 30 000 cas. L’Algérie est un pays à faible prévalence (nombre de personnes touchées dans la population) avec un taux allant de 0,1 à 0,2%. Mais les pays reconnus pour leur forte prévalence ont tous commencé avec des taux aussi faibles avant de se voir propulsés au plus haut point de ce fléau sanitaire. L’Algérie n’est donc pas à l’abri d’une propagation encore plus alarmante du virus, sachant tous les tabous qui bloquent les initiatives de prévention et de lutte.
Principal problème : le dépistage
Prostituées, homosexuels, usagers de drogues injectables sont les principales catégories de la société touchées par les affres du sida. Mais les autres tranches de la population ne sont pas en reste. La contamination est facile et toutes les personnes touchées ou susceptibles de l’être n’ont pas le réflexe de faire les tests de dépistage. «Les gens ont peur de faire le pas et sont très mal informés. Beaucoup de personnes vivent avec le VIH sans le savoir et participent donc à sa propagation. Le dépistage est notre grand frein», confirme Othmane Bourouba, président de l’association Aids Algérie. Et pourtant, 75 centres de dépistage sont disponibles sur le territoire national. Mais les tabous qui entourent cette maladie les rendent presque inexistants. Dans une société où le sexe est tabou, et où on feint de ne pas savoir que l’homosexualité existe, il est difficile de sensibiliser. La peur du regard de l’autre, des jugements et les stigmatisations contraignent au silence. Un silence dans lequel le VIH étend ses ramifications désastreuses. L’Etat en est conscient et a d’ailleurs adopté un plan national stratégique de lutte contre le VIH/sida 2008-2010 (PNS) visant justement au renforcement de la prévention et de la promotion du dépistage volontaire. Mais la réalité du terrain résiste à ses stratégies qui restent conceptuelles.
Joindre l’acte à la parole
Le PNS semble parfait sur le plan théorique, mais il n’empêche pas pour autant «le nombre de cas d’augmenter», témoigne le docteur Akinouche, médecin au service infectieux d’El Kettar. L’application du PNS pose problème. Le comité national de lutte contre le sida attend depuis cinq ans d’être restructuré et la bonne volonté de l’Etat peine à avoir un impact sur la réalité. Un rapport avec le retrait du fonds mondial de lutte contre le sida d’Algérie décidé en 2008 ? Une évidence pour la présidente de l’Association de soutien pour les personnes vivant avec le VIH, Hayet : «Le PNS est très bien fait et c’est notre principale référence, mais le problème de financement ralentit nos activités. L’Etat est concentré sur les traitements, alors que la prévention et le dépistage sont primordiaux pour ralentir la propagation. Le retrait du Fonds mondial qui était notre bailleur de fonds en est la cause.» «Un retrait pas si négatif que ça», selon Dr Scandar Soufi, président de l’association AnisS : «Ce retrait nous extirpe de la culture de l’assistanat, on doit à présent bouger et créer nos propres dynamiques.» Pour cela, il faut, évidemment, joindre l’acte à la parole. L’objectif capital étant d’arrêter de considérer cette maladie comme une tare et de détruire tous les tabous qui l’entourent. «Il y a des avancées sur le terrain et le mouvement associatif travaille dur, mais il est vrai que les tabous ralentissent la lutte et affectent la vie des malades», soutient Ahcène Boufenissa, président de l’association solidarité AIDS. Le témoignage de Salim soutient cette idée. Séropositif depuis six ans, il résume non sans émotion : «Je combats très bien la maladie avec mes traitements, mais je ne sais pas avec quoi combattre les jugements blessants et méprisants des autres.»