PÔLE BIOTECHNOLOGIQUE DE SIDI ABDALLAH
L’option stratégique pour le médicament
Boston a mis 100 ans pour devenir ce qu’il est maintenant, l’Irlande a mis 50 ans et Singapour 30 ans. L’Algérie, choisie pour abriter le 4e pôle régional d’industrie pharmaceutique innovante, s’est fixé une échéance pour 2020, soit huit ans. Elle aura bénéficié de toutes ces expériences et gagné du temps.
Un pôle industriel d’excellence ou «cluster (grappe, ndlr)» pour reprendre le vocable utilisé dans la synthèse des résultats de l’étude du cabinet anglais Deloitte — étude commandée en vue de développer une feuille de route stratégique pour l’industrie pharmaceutique innovante en Algérie — est une «concentration géographique d’entreprises interconnectées où s’accumulent des savoir-faire dans un domaine donné : firmes d’une même filière industrielle, fournisseurs spécialisés, laboratoires de recherche, institutions financières, entreprises de commerce et autres sous-traitants et prestataires de service». C’est l’aboutissement d’un processus de développement. Les avantages comparatifs de niveau mondial que procure une telle concentration génèrent des retombées importantes en termes de création de richesses et d’emplois. Le pôle d’industrie pharmaceutique innovante de Sidi Abdallah, devant être lancé avec l’apport de laboratoires américains, est le deuxième plus important partenariat conclu entre l’Algérie et les Etats-Unis d’Amérique, après les hydrocarbures. «C’est un mégaprojet et le gouvernement algérien y attache une grande importance. C’était une aventure et maintenant une réalité. Il va nous permettre d’évoluer de l’artisanat vers la modernité», claironne le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Djamel Ould Abbès.
Genèse du projet
A l’issue du forum Santé Algérie- USA, tenu début juin 2011, traitant du thème de la recherche-développement dans le domaine biomédical, le Dr Smaïl Chikhoune, président du conseil d’affaires algéro-américain, a émis l’idée de créer un 4e pôle régional d’industrie pharmaceutique innovante en Algérie. L’écho suscité chez PhRMA (Pharmaceutical Research and Manufacturers of America), association regroupant des laboratoires de recherche et des fabricants américains de médicaments, a dépassé toutes les attentes. Un mémorandum d’entente instituant au cadre méthodologique à un «partenariat d’exception dans le domaine biomédical » est signé trois semaines après, soit le 28 juin 2011 et un «haut-comité de pilotage et de suivi de partenariat algéro-américain dans le domaine de la biotechnologie » associant les représentants de cinq ministères, à savoir la Santé, le Travail, l’Enseignement supérieur, l’Industrie et celui de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, est installé. S’ensuivirent des visites de part et d’autre des délégations officielles des deux pays. Il a été ainsi convenu de créer, à l’horizon 2020, un pôle régional d’excellence en Algérie, à Sidi Abdallah, à Alger. Il doit rayonner sur l’Afrique et le Moyen-Orient. Et une étude a été confiée au cabinet de conseil anglais Deloitte en vue de développer une feuille de route stratégique pour l’industrie pharmaceutique innovante.
Le rapport de Deloitte
Le rapport de Deloitte a été présenté mercredi 23 mai 2012 par M. Pierre-Marie Martin, directeur régional de Deloitte, dans une réunion tenue à la résidence Djenane El-Mithak. Le rapport, un condensé de 200 pages, synthétise une étude de deux mois mais contient une masse importante d’informations, selon son directeur régional. Deloitte a réalisé des études dans 199 pays. D’habitude, on y met une année. Un questionnaire a été distribué auprès de 80 personnes, des membres de PhRMA, des fabricants locaux de médicaments, des distributeurs de médicaments, des compétences algériennes établies à l’étranger, des ministres et de hauts cadres de l’administration des secteurs concernés (santé, industrie, environnement…) et d’instituts médicaux. Plusieurs questions sont restées sans réponse. 59% des interviewés, seulement, ont répondu aux questions des experts de Deloitte. Une «prouesse», selon M. Pierre-Marie Martin, du fait que c’est une «première» en Algérie. Et seulement 33% des fabricants locaux ont répondu aux questions des experts de Deloitte (3 sur les 9 ayant reçu le questionnaire). Un taux très faible ! Une réticence qu’ils n’ont pu expliquer. Bref, le cabinet de conseil a analysé le cadre réglementaire régissant l’industrie pharmaceutique en Algérie et demandé des informations sur l’économie algérienne pour évaluer le potentiel existant. Il a également procédé à une analyse comparative entre les conditions d’investissement dans les pays abritant les trois autres pôles d’excellence de biotechnologie (Boston dans l’Etat de Massachusetts aux Etats-Unis, l’Irlande et Singapour) et celles pratiquées en Algérie.
Essais cliniques, pénurie de diplômés en sciences médicales et pression fiscale
En voici l’état des lieux établi par Deloitte. Un seul point fort : «Les dépenses gouvernementales en croissance dans le domaine de la santé. Beaucoup de points faibles : une pénurie de diplômés dans les matières scientifiques avec un taux de 0,9 % de l’ensemble des diplômés qui sortent des universités, un enseignement supérieur tourné sur le volet académique plutôt que sur la recherche, il est en déphasage avec les besoins du marché, une collaboration public/privé très faible, inexistence de financement privé pour la recherche et déficit énorme en matière de communication et d’échange entre les opérateurs du même secteur.» Par ailleurs, les experts de Deloitte ont souligné des contraintes ayant trait aux conditions d’investissement en Algérie : «Les restrictions liées à l’importation, la règle du 51/49 plafonnant la participation des étrangers au capital des entreprises à 49% (100% dans trois autres pôles), la pression fiscale avec un taux d’impôt sur les sociétés de l’ordre de 25%, soit trois fois plus qu’à Boston (8,8%), pôle considéré comme mature, et deux fois plus qu’en Irlande (12,5%), pôle considéré comme achevé, et beaucoup plus contraignant qu’à Singapour (17%), pôle considéré comme en phase de démarrage et l’exercice du droit de propriété intellectuelle reste un défi car il n’y a pas de protection de données. » Last but not least : pour développer une industrie pharmaceutique innovante, il faudrait faire une recherche clinique. Or, l’Algérie ne dispose pas d’un cadre juridique régissant les essais cliniques. Volontaires ou rémunérés, il faudrait surtout déterminer les responsabilités en cas de décès à la suite d’un essai clinique. Dans le cas de l’Algérie, encore, promulguer une loi sur les essais cliniques n’est pas une tâche facile. C’est une question délicate. Tout comme la loi sur la greffe d’organes qui traîne justement à cause de considérations d’ordre socio-religieux.
Recommandations
L’Algérie, se fixant pour objectif l’année 2020, aura bénéficié d’expériences couronnées de succès. En ce sens, estime le directeur régional de Deloitte, le rapport de son cabinet, intitulé «Etude pour développer une feuille de route stratégique pour l’industrie pharmaceutique innovante en Algérie, vision 2020» n’est qu’une «contribution pour le lancement du pôle de Sidi Abdallah». Une contribution devant aider à réunir les conditions propices à la recherche-développement dans le domaine biomédical et accélérer la mise sur orbite de ce pôle d’excellence. Il n’est donc pas une recette miracle. Les experts de Deloitte ont formulé 82 recommandations pour actions à court, à moyen et à long terme. L’intervention de l’Etat doit être axée sur des piliers stratégiques comme le capital humain, la réglementation et le financement. Ils suggèrent, outre l’harmonisation des lois encadrant l’activité économique, «l’amélioration de l’enseignement universitaire pour l’adapter aux besoins de l’industrie biopharmaceutique, la création d’une agence gouvernementale de perfectionnement pour le développement des talents locaux, finaliser les discussions en cours sur des partenariats avec des universités de renommée mondiale, la mise en place d’un cadre d’information et d’échange en développant des forums de discussion entre les opérateurs de l’industrie biopharmaceutique, réviser les directives de pharmacovigilance pour les aligner sur les standards internationaux et élaborer une stratégie marketing pour promouvoir l’industrie biopharmaceutique algérienne à l’étranger». Les partenaires algériens et américains se sont ainsi entendus sur un planning dont des groupes de travail devront bientôt débattre des propositions de Deloitte et formuler des mesures concrètes devant permettre la mise en place du pôle. Tout, souligne Deloitte, dépend de la capacité de l’Etat algérien à attirer des entreprises, nationales ou étrangères. L’Etat, recommande encore Deloitte, devrait mettre le paquet et financer les premiers investissements pour au moins s’assurer du démarrage du pôle.
Lyas Hallas