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pourquoi bouteflika ne graciera pas mohamed gharbi

  • Pourquoi Bouteflika ne graciera pas Mohamed Gharbi

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    L’affaire Gharbi, depuis le début, sert de gage aux islamistes que le pouvoir algérien ne cesse de courtiser et d’appeler, désespérément, à déposer les armes. Condamner Gharbi c’était signifier aux futurs terroristes repentis que l’Etat est à leurs côtés et qu’elle veillait à leur sécurité. Le libérer aujourd’hui ce serait, pour le pouvoir algérien, se placer à contre-courant de sa propre stratégie « réconciliatrice ».  

    Dans un bel élan de patriotisme, de générosité, de désespoir aussi, plusieurs personnalités algériennes ont demandé hier dimanche 31 octobre, au président Abdelaziz Bouteflika de gracier, à la veille du 56e anniversaire du déclenchement de l’insurrection  nationale, l’ancien moudjahid et ex-patriote, Mohamed Gharbi, 75 ans,  condamné à mort pour avoir tué, en février 2001, un terroriste repenti, Ali Merad, ex-membre de l'Armée islamique du salut (AIS) qui le narguait et le menaçait, dans sa ville natale de Souk Ahras.« Nous avons lancé une pétition  "Libérez Mohamed Gharbi" (LMG), pour demander la libération de Mohamed Gharbi. Elle sera adressée au président de la république M. Abdelaziz Bouteflika" rapidement », a déclaré dimanche à l'AFP Samir Nedjraoui, membre du LMG.L’initiative se justifie : ayant épuisé toutes les voies de recours juridiques, il ne reste plus, en effet, à Mohamed Gharbi qu’une providentielle grâce présidentielle pour retrouver la liberté. Un arrêt de la Cour suprême rendu en juillet 2010 le condamne à mort, et ce jugement est définitif.

    Aussi, c’est fort logiquement que les initiateurs de la pétition se tournent vers Bouteflika, emportés par "le ferme espoir que Monsieur le Président de la République, conscient du drame humain qui frappe ce Moudjahid, prendra la mesure attendue lui permettant de retrouver la liberté".

    Nous savons les raisons pour lesquelles Bouteflika devrait donner suite à cette doléance et gracier le détenu. Une raison de reconnaissance d’abord : Mohamed Gharbi  a consacré sa vie à se battre pour ce pays, contre les soldats français puis contre ceux de l’intégrisme islamiste. Une raison de bon sens, ensuite : Mohamed Gharbi n’est pas un assassin. Il a été contraint à l’acte irrémédiable : pas une seule des plaintes déposées par Mohamed Gharbi contre Ali Merad n'avait trouvé écho auprès des autorités locales. Bref, sa place n’est pas en prison. "Nous réclamons sa libération. Notre demande n'est pas judiciaire mais militante: cet homme est un ancien moudjahid et un ex-patriote", soutient Farid Harchaoui membre du comité pour la libération de Mohamed Gharbi.

    Hélas, nous savons aussi la raison pour laquelle Bouteflika, sauf miracle, ne donnera pas suite à cette doléance et ne graciera pas Gharbi : entre Gharbi et les repentis, Bouteflika choisit les repentis. L’affaire Gharbi, depuis le début, sert de gage aux islamistes que le pouvoir algérien ne cesse de courtiser et d’appeler, désespérément, à déposer les armes. Condamner Gharbi c’était signifier aux futurs terroristes repentis que l’Etat est à leurs côtés et qu’elle veillait à leur sécurité. Le libérer aujourd’hui ce serait, pour le pouvoir algérien, se placer à contre-courant de sa propre stratégie « réconciliatrice ».                           

    « Ne pas provoquer  les repentis »

    Les membres du Comité pour la libération de Mohamed Gharbi ne se trompent-ils pas d’interlocuteur ? Ils parlent de « drame humain » et rappellent, naïvement, au Président que Gharbi  « avait mis en garde à plusieurs reprises les autorités contre les menaces proférées à son encontre par l'ancien chef terroriste. » C’est oublier que le Président avait  lui-même donné instruction à cette période précise, de « protéger » les repentis par tous les moyens.Il faut se rappeler, en effet, qu’un mois avant que Gharbi ne commette son acte, le 11 janvier 2001, Bouteflika appelait les femmes, à partir de Batna, à ne pas «  provoquer  les repentis et cesser de fumer dans la rue », les exhortant à  « céder un peu » sur leur libertés individuelles pour ne pas «  heurter la sensibilité des repentis »  et de  ne plus les narguer « en bombant le torse »  A cette même période, il confirmait déjà que persuader les islamistes de déposer les armes était sa grande obsession qui primait sur tout le reste. Deux semaines après que Gharbi eût tué Ali Merad, le 21 mars, le président fait appel aux oulémas pour l’aider dans sa mission.: « Je vous prie d’user de toutes vos forces, votre sagesse dans le sens de la réconciliation qui me permettraient d’annoncer le grand pardon entre les enfants d’une même nation. » 

     Bouteflika a, d’emblée, considéré le geste de Gharbi comme un dangereux précédent contre sa politique « réconciliatrice », un geste qu’il convenait de punir sévèrement pour ne pas « désespérer » les futurs repentis. Il y a même tout lieu de croire que c’est sur injonction de la Présidence de la République que la première condamnation de Gharbi à  20 ans de prison ferme, décidé par le tribunal criminel de Guelma, en janvier 2004, a été aggravée en une peine à la perpétuité en appel en mars 2007, avant d'être transformée en condamnation à mort à l’issue d'un troisième jugement en cassation en 2009.

    Aussi, escompter que le président soit sensible au « drame humain » serait pure illusion. Bouteflika est dans la politique capitularde, pas dans l’émotion. Tout cela, le risque de conflagration entre résistants et terroristes « repentis », il le savait, et l’avait toujours su. Dans son livre La force qui nous manque, la juge franco-norvégienne Eva Joly, raconte comment elle avait mis en garde Bouteflika qui l’avait sollicitée dès le printemps de l’année 2005 dans le but de gagner son appui pour l’obtention du prix Nobel de la paix. «. À un moment, il s'approche, pose sa main sur moi et me dit :”Eva, c'est terrible ce que vit mon pays. (…) Je voudrais faire une grande loi d'amnistie”. Il sait, s'il m'a vraiment lue, que, pour moi, seule la vérité juridique guérit. L'amnistie est un couvercle posé sur un passé encore brûlant.  (…) Une semaine avant ce voyage, j'ai participé à une rencontre entre la Norvège et l'Indonésie sur les droits de l'homme. J'avais alors bâti un discours sur l'importance de juger  le passé pour être crédible aujourd'hui dans la lutte contre la corruption, je m'étais appuyée sur la pensée du philosophe Derrida. Il a écrit sur le pardon. À Alger, son texte est encore dans mon sac, véritable mille feuilles. Le désordre a ses avantages.  Je dis à Bouteflika  qu'une simple amnistie ne réglera rien, que dans les villages on continuera de vivre mal à frôler les assassins. J'ajoute qu'une amnistie dépend des mots qu'on choisit et des projets qui l’accompagnent. Je sors le texte de Derrida. Je ne sais s'il a fini un jour par le lire… »                    

    Ne pas désespérer 

    Rien n’a changé depuis 2001. Le pouvoir est toujours dans une posture de racolage des islamistes. Récemment encore, il y a à peine dix jours, le Premier ministre Ahmed Ouyahia rappelait devant les députés de l’APN, que « les portes de la clémence » restaient toujours ouvertes pour ceux qui, parmi les terroristes, désireraient se rendre.On ne peut pas être clément pour deux.Libérer Gharbi aujourd’hui, ce serait, pour Bouteflika, adresser aux terroristes un contre-message.

    Rien n’indique d’ailleurs que le président songe à cette éventualité. Bien au contraire. Quand le président de la chambre criminelle de la Cour suprême affirme, le 5 octobre dernier, que « l’affaire du patriote Mohamed Gharbi est close », que toutes les voies de recours ont été épuisées dans ce dossier et qu’aucune jurisprudence ne peut être envisagée, c’est une illustration de la fermeté du pouvoir sur cette affaire.

    Faut-il pour autant désespérer ? Sans doute pas. Le fait que, contre l’apathie réelle ou supposée, un collectif se mobilise pour sauver un moudjahid de l’injustice, est quelque chose de réconfortant et de prometteur. Il reste à persévérer. Et surtout à inscrire l’action en faveur de Mohamed Gharbi non pas dans le registre du « drame humain », mais dans une démarche politique, patiente et obstinée, qui ambitionne de rétablir la vérité, la « vérité juridique » dont parle Eva Joly, la « vérité politique ». La vérité tout court.

    Mohamed Gharbi sera alors le rescapé de cette vérité infligée aux manigances politiciennes. Ou ne sera pas. 

    M.B.