Vends appartement en plein cœur d’une résidence à Alicante.» Il n’est plus aujourd’hui étonnant de tomber sur ce genre d’annonce sur les pages dédiées à l’immobilier dans la presse ou sur les sites internet consacrés aux petites annonces. Ce n’est pas qu’une ville appelée Alicante ait émergé depuis peu en Algérie, mais c’est bien de la ville espagnole qu’il s’agit.
Depuis la déconfiture du secteur immobilier espagnol, le marché suscite l’engouement d’investisseurs algériens à la recherche de placements immobiliers, de résidences secondaires pour les vacances, et de propriétés susceptibles de leur ouvrir l’espace Schengen de manière définitive. D’abord discret, même secret, ce canal s’est, au fil du temps, popularisé et on affiche fièrement, aujourd’hui, ses acquisitions outre-mer, même sur les ondes de la radio publique, pour certains passages d’auditeurs comme signe d’appartenance sociale. Il est vrai que l’acquisition de biens à l’étranger reste, dans l’imaginaire collectif, l’apanage de la nomenklatura. Le manque de moyens financiers, le contrôle rigoureux des changes ont fermé les possibilités d’investissements immobiliers à l’étranger pour la majorité des Algériens.
Cependant, les choses changent et à toute vitesse. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les nouveaux acquéreurs de biens immobiliers en Espagne, ne sont pas si riches ou si introduits dans le sérail. Le quotidien espagnol El Pais, qui leur a récemment consacré un article, les décrit comme étant des membres de la classe moyenne, avocats, médecins, entrepreneurs, cadres supérieurs qui voyagent souvent, et qui bénéficient d’une certaines éducation. Ces derniers ont pu profiter de la dégringolade des prix de l’immobilier sur le marché espagnol pour faire de belles acquisitions, depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 2008. On estime encore aujourd’hui à trois millions le nombre de maisons vides dans des quartiers fantômes.
Les prix de l’immobilier ont chuté d’au moins 25%, et la baisse pourrait, selon certaines estimations, être de 50%. Tout autant de raisons pour alimenter l’engouement des Algériens et créer un véritable phénomène, quitte à passer outre la réglementation de contrôle des changes pour financer les nouvelles acquisitions. Certains n’ont pas tardé à flairer le bon filon. Et quelques agences immobilières se sont spécialisées dans ce créneau. Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de passer par le Net et d’attendre une réponse incertaine pour lancer ce genre de transactions. Des «bureaux d’affaires», installés dans les grandes villes, comme Alger, Oran et Constantine, sont là pour coacher ceux qui voudraient se lancer dans l’immobilier espagnol. Nous avons poussé la porte de l’un d’entre eux, en nous faisant passer pour un client potentiel. Ayant convenu d’un rendez-vous la veille, l’un des employés de l’agence, chargé de vanter les mérites du produit ibérique, nous attendait dans un petit réduit situé en plein cœur d’Alger.
L’espace d’à peine 20 m2 ne paie pas de mine. Pourtant difficile de croire que derrière ce bureau minuscule se cachent des relais commerciaux transfrontières et un véritable réseau de transfert de capitaux profitant des failles bien connues du système de contrôle des changes. Le commis nous reçoit dans un bureau situé au fond du local et isolé du reste de la surface par des battants en plexiglas, histoire de discuter à l’abri des oreilles indiscrètes. Le commercial commence par demander les motifs d’un tel investissement. Il nous explique que si l’objectif est d’obtenir un titre de séjour dans des délais très brefs, cela ne peut pas «s’opérer» dans l’immédiat. Par contre, l’acquisition d’une propriété en Espagne permettra d’obtenir un numéro d’identification qui donnera la possibilité d’obtenir un visa automatiquement durant au moins 3 années d’attente et de procédures pour l’obtention d’un titre de séjour. Notre interlocuteur précise néanmoins qu’une telle acquisition, aujourd’hui, ne peut être qu’un bon investissement, car la dépression du marché de l’immobilier espagnol ne saurait trop durer et en cas de retournement de situation, l’acquéreur pourra tirer les bénéfices d’un tel investissement. Ce détail pratique réglé, l’agent immobilier sort de son ordinateur un dossier devant faire office de catalogue des produits espagnols.
Un «magnat» pour assurer les transferts
L’offre de l’agence, comme celle de nombreuses autres exploitant le même filon, est située principalement à Alicante. La proximité de la ville des côtes algériennes, l’existence d’une liaison en ferry et la connaissance de la localité par les vacanciers algériens sont les principales raisons pouvant justifier une telle localisation. Notre interlocuteur nous explique aussi que l’agence, pour qui il travaille, a réussi au fil du temps à se constituer un réseau de partenaires commerciaux. Le bureau bénéficie d’abord des services d’un prospecteur attitré. Citoyen algérien, celui-ci est installé à Alicante depuis plusieurs années. Il fond aujourd’hui dans le décor et peut mener à bien une négociation grâce à sa maîtrise non seulement de la langue espagnole mais aussi à sa perception du contexte de crise du crédit hypothécaire dans la péninsule ibérique.
On nous explique aussi que c’est grâce à ces atouts que l’agence bénéficie d’une offre actualisée chaque semaine et qu’elle a pu négocier récemment, pour l’un de ses clients, l’acquisition d’un bel appartement de type F3, situé dans une résidence avec piscine en plein centre-ville d’Alicante, pour 53 000 euros, soit l’équivalent en dinar, en prenant en compte le change parallèle, de 7 millions de dinars. Une proposition qu’on peut difficilement refuser lorsque l’on sait que les prix des appartements à Alger se négocient rarement en dessous de 12 millions de dinars. L’agent immobilier indique également qu’une telle transaction n’a été rendue possible qu’à cause du poids de l’hypothèque et des menaces de saisie par les banques, qui poussent certains propriétaires à brader leurs biens. Il évoque également une possibilité pour l’acquisition de logements neufs dans la localité touristique de Bonalba. L’agence compte, dans ce sens, sur l’apport d’un partenaire espagnol, promoteur immobilier et devant fourguer le maximum de logements afin de respecter ses échéances.
Dans ce cas précis, l’offre disponible dépasse les espérances. Avec des duplex neufs à 120 000 euros et des villas en bord de mer dont la mise à prix est à 400 000 euros pour atteindre les 280 000 euros après négociations, les clients potentiels pourraient se bousculer. Encore faut-il passer par une démarche demandant un peu de temps. La transaction s’opère en deux temps et deux déplacements sur les lieux. Il s’agit pour l’acquéreur potentiel de présélectionner, à partir d’Alger, un certain nombre de sites susceptibles de l’intéresser, puis l’agence prend en charge les formalités de visa, qu’elle n’a d’ailleurs aucune difficulté à obtenir. L’acquéreur doit, pour son premier déplacement, préparer un certain nombre de documents, à savoir un extrait de naissance et 2 certificats de résidence à déposer au niveau d’une banque pour l’ouverture d’un compte en Espagne et chez le notaire, sans oublier de prévoir les arrhes de 10% à verser. Une fois le choix du client fixé, il prépare le reste à payer à partir d’Alger. Plusieurs canaux peuvent alors lui servir. Le canal bancaire d’abord, si la personne en question dispose d’une carte de paiement internationale nominative, Visa.
Car il faut savoir que ce moyen de paiement international ne situe aucune limite aux transferts de devises vers l’étranger, pour peu que le montant de ces transferts constitue effectivement un dépôt sur un compte devises, et que les dépôts en question soient justifiés de manière légale. Cependant, et vu l’importance des transactions à effectuer, ce moyen de paiement atteint vite ses limites. S’ouvre alors la piste des transferts informels, soit par petites tranches par l’entremise d’amis et proches en déplacement à l’étranger, ou celle de parents résidant en Europe, chargés de faire un virement en devises sur un compte commercial en Espagne, en contrepartie de quoi ils pourront toujours récupérer des dinars à leur venue à Alger. Mais pour les plus pressés, l’agence met à la disposition de ses clients les services d’un «magnat» chargé d’opérer la transaction et de faire sortir les devises du territoire algérien. Le client peut, à ce titre, déposer des fonds en dinars auprès de l’agence et vérifier quelques minutes plus tard, par Web, si l’équivalent en euros a bien été viré sur son compte bancaire en Espagne.
Une identité en une semaine
A partir de ce moment, l’acquéreur est tenu de se présenter au rendez-vous fixé par le notaire en Espagne pour signer les papiers et prendre possession de son bien. Avant cela, il devra s’acquitter d’une démarche simple pour l’obtention d’un numéro d’identification pour étrangers auprès de la brigade de police de la province où il a acquis un bien. Bien que la procédure ne demande qu’une semaine tout au plus, elle passe par la présentation du document du notaire, de deux formulaires spécifiques à remplir et du passeport en vigueur, avec le tampon d’entrée sur le territoire espagnol. Ce numéro d’identification, joint à toute nouvelle demande de visa, permettra à l’acquéreur de l’obtenir de manière automatique, en attendant les délais nécessaires à l’obtention d’un titre de séjour.
L’agence, elle, se réserve le droit de se faire payer en monnaie sonnante et trébuchante et surtout en devises. 3500 euros d’honoraires fixes comme pour le bureau que nous avons vu et à charge pour le client de couvrir ses frais de voyage, de séjour et d’ouverture de compte. Non, ce n’est pas une fiction et c’est bien réel, car cela dénote de graves défaillances d’un système de contrôle des changes obsolète et qui, au final, ne sert qu’à enrichir les barons de l’informel et à alimenter les réseaux de fuite des capitaux.
Melissa Roumadi