Les partis politiques inquiets à la veille des législatives
Le tripatouillage électoral est-il consubstantiellement lié aux processus électoraux organisés en Algérie ?
Les différentes consultations ont apporté des preuves tangibles que «le traficotage» fait partie de l’ADN politique du pouvoir. Une constante. A peine le dispositif électoral mis en place en perspective des législatives du 10 mai 2012 que les prémices d’une fraude annoncée font leur apparition. «L’affaire Tindouf» où huit partis politiques ont dévoilé «l’injection de 33 000 nouveaux électeurs, des militaires, au fichier électoral de la wilaya de Tindouf après expiration des délais d’inscription sur les listes électorales sans qu’ils ne soient rayés de leurs listes d’origine» est révélatrice. Le coup est parti, les partis politiques s’en emparent et la polémique s’installe. Ça démarre vraiment mal.
Le pouvoir qui mène une campagne tambour battant pour assurer l’opinion publique de sa volonté d’organiser des élections «libres et transparentes» est vite rattrapé par cette vieille pratique de la fraude. Alors, simple maladresse de la part de l’administration ou bien irrégularité délibérément orchestrée ?
Le président de la Commission de surveillance des élections législatives, Mohamed Seddiki, ne se fait pas d’illusion. Il accuse l’administration de «recourir à une procédure qui n’est pas prévue par la loi». Interpellé par ladite Commission sur cette affaire qui ne semble pas limitée à la wilaya de Tindouf, la réponse du ministère de l’Intérieur n’a pas convaincu. L’argument avancé par les services de Daho Ould Kablia, selon lequel «les militaires étaient en mission spéciale», incite plus au «doute» qu’à rassurer. Ainsi, cette affaire «des militaires» n’est qu’une technique parmi tant d’autres que dissimule le mécanisme du détournement de la volonté populaire.
La commission parlementaire, qui avait enquêté sur la fraude massive et manifeste lors des élections locales du 23 octobre 1997, avait recensé 34 formes de fraude et autres artifices de manipulation des résultats. Le pouvoir qui finit, après de longues batailles, par reconnaître la pratique de la fraude à grande échelle, va-t-il enfin respecter la volonté populaire? La mise en place d’une Commission de magistrats pour superviser les futures législatives suffit-elle pour convaincre une classe politique souvent «arnaquée» et des électeurs usés par des engagements non tenus ? «Pas si facile que cela», tranche le politologue Rachid Grim.
Chat échaudé craint l’eau froide. «La fraude est tellement ancrée dans les mœurs politiques du pouvoir en place depuis l’indépendance qu’il est légitime, tant pour les citoyens que les partis, de ne pas croire en une élection libre et transparente. Il est illusoire de croire en un pouvoir dont le seul but est de se maintenir par tous les moyens, même illégaux», estime encore Rachid Grim. Pour ce dernier, la Commission des magistrats «ne peut être un garant ou un gage de transparence dès lors que la justice est totalement aux ordres. Tout comme l’administration, qui pilote l’opération électorale de bout en bout, n’est pas neutre».
Pas seulement. Le climat politique dans lequel se déroule cette élection ne s’y prête pas, estiment d’autres observateurs. «Des gouvernements successifs issus de fraudes à répétition peuvent-ils promettre des élections propre et honnêtes ? Pas si sûr», estime Ahmed Betatache, professeur de droit à l’université de Béjaïa. «C’est tout un processus qui est biaisé. Tout au long de l’année, le champ politique et médiatique est interdit aux forces politiques d’opposition. Manque flagrant de volonté politique. Interférence de l’Exécutif, comme ce fut la cas pour la désignation des membres de la Commission des magistrats.
Les 316 magistrats sont directement désignés par le ministre de la Justice et non pas élus par leurs pairs. Les magistrats n’ignorent pas comment les nominations au sein de l’appareil judiciaire sont décidées», énumère-t-il. M. Betatache attire l’attention sur un autre élément qui fausse le jeu : le Conseil constitutionnel. «C’est cette institution que valide les résultats des élections. Il se trouve que le mandat de son président ainsi que ceux de deux vice-présidents ont expiré le 25 septembre 2011. Les prolonger serait contraire à la Constitution», juge le juriste Betatache. En somme, d’élection en élection, le festival des fraudes et de la manipulation des résultats demeure le marqueur de la dérive politique d’un régime dont la démocratie n’est guère un souci.