“Printemps arabe” et opportunisme islamiste
Par : Mustapha Hammouche
Ce ne sont pas ceux qui font la révolution qui récoltent les fruits de la victoire. L’histoire des expériences révolutionnaires de décolonisation l’a montré, l’actualité du Printemps arabe est en train de le confirmer.
Les quatre pays où la révolte a réussi à déposer le dictateur “historique” sombrent dans l’incertitude. La Tunisie espère une Constitution pour février 2013 ; la Libye s’est suffie d’une déclaration constitutionnelle ; en Égypte, après la suspension de l’Assemblée nationale par l’armée, ce fut au tour de la commission de rédaction de la Constitution d’être suspendue “par la justice” ; le Yémen a confié la rédaction de sa loi fondamentale à des constitutionnalistes français recrutés par… appel d’offres.
Si ces pays se retrouvent dépourvus de textes fondamentaux, ce n’est pas parce que la tâche serait d’une difficulté technique insurmontable, mais parce que le processus de changement initial est invariablement contrarié dans sa direction. En même temps que s’expriment les résistances de l’ancien régime (en Égypte où l’armée a tenté de conserver le pouvoir, au Yémen où le fils du président déchu est encore commandant de la garde présidentielle), de nouvelles confrontations naissent du fait de l’ouverture du jeu politique : l’islamisme, largement instillé dans la société par un prosélytisme idéologique sous forme de prêche religieux, transforme les premières élections en plébiscite de l’État théocratique. Si, en Égypte, les salafistes attendent que leur heure repasse, en Tunisie, le gouvernement Ennahda, débordé sur le terrain, réagit par la surenchère liberticide, l’Arabie Saoudite et les émirats du Golfe sont définitivement installés dans la perspective d’une confrontation chiite-sunnite. Ils ne peuvent voir dans ces révolutions qu’une opportunité géostatique face à l’axe Téhéran-Bagdad en formation.
La cause démocratique est ainsi convertie en opération de redéploiement d’une influence pétro-monarchique à base doctrinale, en parfaite entente avec un Occident qui rêvait d’un contrepoids de taille aux velléités de puissance iranienne. Le seul hégémonisme admissible en Méditerranée et au Proche-Orient est celui d’Israël. Qu’importe si “le printemps — démocratique — arabe” tourne à la foire aux intégrismes ! Les libertés, c’est le but des révoltés, pas celui de leurs parrains opportunistes.
Les archaïsmes tribalistes et ethniques viennent compliquer ces faisceaux de contradictions qui piègent le lendemain de révolutions. Ils remettent en cause le processus de structuration institutionnelle de la Libye, et jusqu’à la survie unitaire du Yémen à nouveau menacé par les velléités séparatistes du Sud, où “Al-Qaïda dans la Péninsule arabique” n’attend que l’occasion d’un soulèvement pour rééditer le syndrome du nord Mali.
Soucieux de conforter leur pouvoir plutôt que de construire des États, les dictateurs déchus n’avaient conçu que des institutions qui assuraient leur emprise sur la société. Ils ont ainsi transmis à leurs successeurs des pays sans États.
Sans tradition d’État, débordés par un islamisme qui naturellement tend à se radicaliser, les “nouveaux” pays tombent une nouvelle situation de non-droit : des régimes répressifs de la presse (en Égypte), de la culture et de la femme (en Tunisie), des minorités (en Libye)… et qui repose une nouvelle fois la question existentielle de la démocratie en terre d’islam.