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un autre

  • Un autre Aïd loin de chez moi !

      Djameleddine Benchenouf

    Cette journée de l’Aïd aura été pour moi très particulière. Un autre Aïd loin de chez moi, à me morfondre, à me désoler, à regretter le passé, et tous les êtres chers qui m’ont quitté, qui nous ont quitté, depuis que je suis en France. Depuis sept longues années.
    Je n’ai jamais reçu autant d’appels de frères, d’amis, de parents, de connaissances, comme en cette journée. Comme si tous ceux que je connaissais s’étaient donné le mot. Pour me faire la surprise de leur agréable intrusion, de l’intérêt qu’il continuaient de me porter, malgré cette longue séparation.
    Je n’avais pas le temps d’appeler un être cher, qu’un autre entrait dans ma maison, à travers mon téléphone, en sonnant gaiement, sans discontinuer.
    J’ai reçu des appels simultanés d’amis et d’amis, sur le portable, sur le fixe, et sur Skype, d’amis et de parents, aussi chers les uns que les autres.
    J’en ai profité pour nous connecter à trois, grâce à cette merveilleuse technologie, et à discuter comme si nous étions ensemble. Un bonheur.

    Je voyais, aux regards humides de ma famille, qu’elle se réjouissait de ces retrouvailles célestes, skypestes, entre les racines vives de mon pays et moi. Des lianes de joie s’élançaient dans le ciel, pour me prendre à bras le corps, et me retourner comme une bouteille d’Orangina, pour me secouer, et faire remonter les fruits assoupis, à ma surface endormie. Un tournoiement de soleils et de rires étoilés. Et j’avais envie de leur crier ce contre slogan publicitaire: « Ne me secouez pas, ne me secouez pas, je suis plein de larmes. »

    Cette matinée de l’Aïd ! Une flamboyance de souvenirs, de rires, de bonheurs passés, décolorés, pastels et presque éteints, mais toujours vivaces, comme un reflux de vagues frondeuses, presque coléreuses, qui se relèvent aussitôt qu’elles sont tombées.
    Hsissen m’a rappelé nos folles équipées de Sidi Bel Abbes, ses rires réveillaient les jardins d’antan. Et des éclats de lumière jaillissaient de ses rires complices. De Constantine, Halim m’a parlé de canaris chanteurs de Bab el Kantara, des jasmins de Saint Jean, et des aubes cristallines de Djebel El wahch.
    Ma famille voyait bien que je jubilais. Et moi j’étais heureux de voir qu’elle était heureuse de me voir heureux.
    Encore un peu et je me serais cru chez moi. Chez moi! Dans mon Algérie ocre et jade. Miracle de la technologie. Sauf que si celle-ci abolit la distance et qu’elle permet de parler aux siens à des milliers de kilomètres, et même de les voir, en temps réel, elle ne peut rien contre les affres de l’exil. Ces griffes sournoises et acérées qui plongent lentement, laborieusement, dans les entrailles de votre mémoire, de vos sentiments enfouis sous la poussière des jours, qui vous fouillent le coeur. Comme des mains d’aveugle. Puis par poignées, comme on arracherait des cheveux.
    Le sentiment de l’exil. « El ghorba » devient toujours le maître des lieux, lorsqu’elle entre dans un esprit. Possessive, exclusive, elle règne sans partage sur la béance qui s’est ouverte à sa cruauté, à la faveur d’un renouveau, d’un départ, d’un voyage d’espoir, de promesse, comme si les voyages pouvaient être une promesse.
    L’exil est un vent qui souffle d’en dessous les braises, qui les ravive et les bouscule, et qui les fait rugir de douleur, et qui les disperse.
    Mais l’exil est une douleur rentrée, pudique et presque honteuse qui se nourrit de ses propres entrailles. Un sanglot esseulé, une brûlure qui ne craint pas de pleurer, parce que les larmes sont l’onguent des brûlures. Et le lit du poème.
    Ces réminiscences de mon pays, qui habitent mes tréfonds, se nourrissent d’échos heureux, qui sont autant de maillons d’histoires suspendues, des bribes de bonheur, comme autant de vagues qui bondissent vers des promesses de lumière, qui se figent dans un élan d’écume, pour crier l’indicible bonheur, puis qui retombent, heureuses de retomber, parce que c’est de la chute que vient l’élan nouveau qui les fera jaillir de nouveau. Vers la lumière.
    Oh, que mon pays me manque. J’ai oublié les effluves alanguies de ses aurores timides. J’aimais à respirer son ciel, dans les matins retrouvés, et à me fondre dans leur tiédeur amie. Ces matins amis.