Quelle va être la réaction du gouvernement algérien ? C'est l'embarras. Moins d'une semaine après que Mme Khalida Toumi, ministre de la Culture, eût reproché aux officiels français de s'être emportés contre une simple "fiction" (à propos du film "Hors la loi" de Bouchareb), l'Algérie se trouve impliquée à son tour par deux autres "fictions" qui vont marquer le Festival de Cannes et qui font déjà polémique.
Le premier, « Des hommes et des dieux », présenté en compétition à Cannes, est un film de Xavier Beauvois sur les moines de Tibéhirine qui a ému aux larmes le public. «Une grande claque du Festival», selon Olivier Delcroix du «Figaro». Sortie en salles le 8 septembre. La presse est unanime pour dire qu'avec ce drame inspiré de la tragédie survenue au milieu des années 90 dans les montagnes algériennes, où huit moines chrétiens furent sauvagement assassinés, Xavier Beauvois signe un film magnifique autour des mystères de la foi. Le premier vrai coup de coeur de cette compétition!
Mais c'est le second film, "Carlos", réalisé pour la télévision par Olivier Assayas, produit par Canal+, et projeté simultanément au Festival de Cannes, hors compétition, mercredi 19 mai, et sur la chaîne cryptée, qui va poser le plus problème pour Alger. Le film, qui retrace le parcours du célèbre terroriste international «Carlos», écorche, en effet, l’image du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, et de l’ancien ministre de l’Energie: Bélaïd Abdesslam.
Véritable mythe, Carlos a frayé avec l’ensemble du réseau terroriste mondial des années 1970 et 1980, de l’activisme pro-palestinien à l'Armée rouge japonaise. Il s’est imposé à la fois comme une figure de proue de l’extrême gauche romantique qu’en tant que mercenaire opportuniste. Manipulé aussi bien par les services secrets de pays arabes que par les pays occidentaux, il a construit sa propre organisation terroriste. Personnage complexe, il a “travaillé“ pour tout le monde : le Front populaire de libération de la Palestine, la Syrie, la Libye, l’Irak et la Roumanie de Ceausescu.
Durant deux décennies, Carlos fut l'un des terroristes les plus recherchés de la planète. Abandonné par tous, en exil au Soudan, il sera finalement capturé et ramené à Paris. Qui était le vrai Carlos ? Comment ses différentes identités, entrecroisées, superposées, s'articulent-elles ? Quel est son vrai visage ? Qui était-il avant de s'engager corps et âme dans cette lutte sans fin ? Autant de questions soulevées par ce film qui décrypte, de façon quasi clinique, les relations internationales d’une époque où la frontière entre diplomatie et droit commun était toute relative.
Ce film raconte la plus impressionnante prise d’otages de toute l’histoire du terrorisme moderne, celle des 11 ministres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) à Vienne en décembre 1975. L’avion des otages a été détourné vers Alger, après que plusieurs pays, dont la Tunisie et la Libye, eurent refusé de l’accueillir. On découvre dans cette partie du film, l’humiliation subie par l’ex-ministre de l’Energie, Bélaïd Abdesslam (un rôle par ailleurs très bien joué par Mohamed Ourdache, qui vient de réussir le plus important rôle de sa carrière) et surtout les discussions entre le chef terroriste Carlos et le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Abdelaziz Bouteflika (rôle joué par l'acteur Abbès Zahmani). Ce dernier est montré en train de donner une malette d’argent à Carlos après la libération des otages.
Le réalisateur et scénariste de cette superproduction, Olivier Assayas, a-t-il déformé la réalité? D’autant plus qu’il a tourné cette scène à Beyrouth, sachant pertinemment que l’Algérie n’accepterait jamais cette scène où son ministre et son Président seraient mal filmés.
Ce film est vendu pour 17 pays et suscitera sûrement la réprobation du gouvernement algérien, et même du concerné, Bélaïd Abdesslam, qui n’a pas été consulté sur cet épisode de son parcours.
« Carlos va sans doute supplanter Hors-la-loi dans la polémique », pronostique un critique cinéma algérien présent à Cannes. La presse algérienne n’avait pas beaucoup apprécié que les militants du FLN (Front national de libération) opérant en France durant la guerre de libération nationale soient montrés sous le visage de gangsters.
Mais que dire à propos d'une "fiction" qui s"inspire de la réalité, n'est-ce pas, Mme Toumi ?
Lahouari K.