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Mohamed Ras El Aïn. Ancien premier responsable du Syndicat national des magistrats (SNM)

 

Mohamed Ras El Aïn. Ancien premier responsable du Syndicat national des magistrats (SNM)

« Le rapport de la commission de réforme de la justice est vidé de son sens »

Mohamed Ras El Aïn, 58 ans, est avocat à El Eulma (Sétif). Il était président de la cour d’Alger et premier responsable du Syndicat national des magistrats (SNM) avant d’être radié en février 2004 suite à son opposition à ce qui sera qualifié par la suite de « justice de nuit » dans l’affaire de validation du 8e congrès du FLN. Aujourd’hui, il a choisi de sortir de son silence pour apporter sa contribution et ouvrir la voie à un débat.

- Contre la satisfaction du ministre de la Justice, le président de la commission de réforme de la justice, Mohand Issad, a parlé d’échec de cette réforme. Qu’en pensez-vous ?
- Avant de répondre, je me permets de poser la question suivante : pourquoi a-t-on décidé de réformer la justice en 1999 ? Est-ce que cette opération, et nous sommes en 2007, a atteint ses objectifs ? Je crois que la réforme a été décidée à partir d’une analyse précise de la réalité de la justice en Algérie, qui a prouvé que cette dernière est devenue incapable d’assumer son rôle de protection de la société et des libertés et garantir les droits fondamentaux de tous et de chacun, comme le veut la Constitution. Les causes sont d’abord les textes de loi, ensuite les outils d’organisation et de gestion, celles dues à la déstabilisation des valeurs de justice et, enfin, il y a les causes dues aux autres institutions de l’Etat. Telles sont les motivations de la réforme, mais réformer qui et quoi ? Est-ce que l’opération vise la justice comme institution ou alors comme valeur aux dimensions humaines ou bien les deux à la fois ? Je crois que s’il s’agissait de réformer la justice du point de vue de la liaison et l’indépendance de l’autorité judiciaire des autorités législative et exécutive, je pense que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), en tant qu’institution constitutionnelle, c’est lui qui démolit les institutions de l’autorité judiciaire, par conséquent, juger l’autonomie ou non de cette autorité est déterminé par les aspects extérieurs de cette autonomie et le rôle joué en tant qu’autorité parallèle : autonomie du siège, autonomie financière, autonomie de gestion et autonomie de la décision. S’il s’agissait de la justice en tant que valeur philosophique, humaine et morale, il faudrait que l’objectif soit basé sur le côté humain représenté par le juge. Pour que le juge soit qualifié à émettre des jugements justes, il faut qu’il soit immunisé et indépendant et le mécanisme qui garantit son autonomie est en premier lieu le CSM, qui doit lui-même être indépendant des autorités législative et exécutive par la force de la loi pour ainsi le prémunir contre toutes les formes de pression, notamment celles liées à ces relations en tant que membre de la société. A travers ces conceptions et la réalité actuelle de la justice et au vu des mécanismes proposés par la commission de réforme de la justice, il est clair que ces réformes ont été vidées de leur sens. Cela peut paraître sévère, mais si on se réfère aux recommandations liées au CSM pour son autonomie et son émancipation, on voit qu’elles n’ont pas été appliquées ; voyez la quantité d’affaires traitées par les juges et posez la question aux justiciables à quelle heure ils peuvent être convoqués la nuit pour être jugés. On doit donc s’interroger : qui bloque les résultats du travail des hommes et des femmes de la commission de réforme de la justice ? 
- Le ministre a déclaré aussi que les magistrats mutés n’ont pas fait les frais de sanctions déguisées…
- La non-indépendance du CSM comme aspect de la dichotomie entre les autorités et ses influences sur l’autonomie du juge par la non-consécration de son immunité légale par sa radiation, sa mutation en introduisant le concept de mutation pour l’intérêt et l’absence de multisyndicalisme sont des indices qui prouvent que le juge vit toujours sous pression et l’histoire est témoin que certains juges ont dit ce qu’ils pensent avec honnêteté et ont été confrontés non seulement à la mutation mais ont été radiés carrément. Peut-on parler d’immunité du juge après cela ? 
- Au milieu de ces débats et polémiques sur la justice, la classe politique, les intellectuels et la société civile sont restés muets. Cela est-il dû au rétrécissement des libertés ?
- L’autonomie de la justice en tant que fondement de l’Etat démocratique a des retombées non seulement sur le juge mais aussi sur les libertés fondamentales. Par conséquent, l’indice par lequel on peut juger si la justice est indépendante ou pas est d’analyser à quel point ces libertés sont développées au sein de la société. Par là est soulignée l’importance du rôle de la justice qui devient l’affaire de tous. Une affaire publique où tout le monde a le droit de consulter l’opération et ainsi personne n’a le droit d’être le seul tuteur de cette structure sensible. Par la suite, ce sera à la justice d’être à l’écoute de la société puisque ses jugements sont donnés au nom du peuple. 
- Que pensez-vous de l’activité du CSM, des voix parlent de limitation de sa mission décisionnelle au profit d’une fonction consultative ?
- Le CSM, en tant qu’institution constitutionnelle consacrant l’indépendance de la justice des autres institutions, est chargé de désigner les juges, les muter et suivre leur carrière professionnelle, donc c’est lui le garant de l’indépendance du juge, mais ce qu’on remarque c’est que jusqu’à aujourd’hui, le CSM n’a pas de siège et le poste de vice-président, conformément au statut, revient au ministre de la Justice au lieu du premier président de la Cour suprême tel que recommandé par le rapport de la commission de réforme de la justice. Son bureau permanent est présidé par le ministre de la Justice et son secrétaire est désigné aussi par le ministre. Le conseil a été éloigné de la désignation des présidents de la Cour suprême, du Conseil d’Etat et des présidents de cours et tribunaux administratifs, par conséquent ces derniers ne sont plus soumis à la liste de préqualification à ces postes. Le fait que ces magistrats ne passent pas par le CSM dans leur désignation, d’autant qu’ils sont les plus qualifiés à suivre les carrières des juges au niveau national, a vidé ce conseil de son rôle essentiel et ce qui se dit du CSM se dit du juge, puisqu’au lieu de la création d’une loi qui renforce le statut de la magistrature de 2004, qui a consacré la dépendance du juge, non pas du CSM mais de l’autorité exécutive, avec la création (article 49) du statut de la magistrature, on a créé des postes spécifiques, qui sont le président de la Cour suprême et le Conseil d’Etat, les présidents des cours de justice, les procureurs généraux et les présidents des tribunaux administratifs, auxquels on a confié la mission de noter les juges et de suivre leurs carrières professionnelles en vertu d’un décret présidentiel, sans consulter le CSM, contrairement aux recommandations de la commission de réforme de la justice. Cet article a créé, primo, une distinction entre les juges, sachant que les membres de l’autorité judiciaire sont les magistrats juges, les procureurs et les délégués. Secundo, la catégorie des postes spécifiques trouve son concept au sein de la Fonction publique. Tercio, avoir recours à ces postes, sachant que la désignation dans ces cas n’est pas soumise au CSM, est considéré comme lié à l’appareil exécutif, par conséquent c’est devenu un facteur de pression sur les juges parce que les chargés de ces postes sont responsables du reste des juges. Au lieu de lever la tutelle sur le juge, on remarque le retour des circulaires comme la 1308 datée du 27 octobre 2003 qui ordonne aux présidents des cours et aux procureurs généraux de ne pas reporter plus de 5 fois les affaires civiles et plus de 3 fois les affaires pénales. Ceci est contraire à l’article 147, entre autres, de la Constitution et une violation de l’indépendance de la justice par le représentant de l’exécutif qui est le ministre de la Justice et, enfin, elle est en opposition avec la loi parce que ni le code de procédure civile ni le code de procédure pénale ne précisent une échéance pour juger une affaire. Plus que cela, c’est une violation des prérogatives de l’autorité législative comme le veut l’article 122 de la Constitution. 
- Dernière question, l’appareil judiciaire a-t-il fonctionné normalement dans l’affaire Khalifa ?
- Je crois que la procédure de jugement de cette affaire s’est déroulée selon les règles ordinaires et tant qu’elle est toujours en cours, je ne peux m’exprimer là-dessus.

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