Entretien avec l’avocat et auteur du livre « Entre le palais et la justice »
Votre livre qui vient de paraître aux éditions Coucou s’intitule Entre la palais et la justice. Sont-t-ils à ce point séparés ?
La logique dit que le palais de justice est le seul endroit où doivent être rendues les décisions de justice en toute indépendance loin de toute pression. Mais ce que l’on remarque dans les faits, notamment lorsqu’il s’agit des affaires sensibles, les décisions de justice sont prises dans un autre endroit, loin du palais de justice. Je démontre cela à travers des affaires, que j’ai plaidées pendant 25 ans d’exercice de mon métier d’avocat, comment la justice est souillée par ceux-là mêmes qui sont chargés de la faire respecter. Je cite, entre autres, l’affaire des militants des droits de l’homme en 1985 devant la Cour de sûreté de l’Etat, l’affaire Sider, l’affaire des magistrats faussaires et beaucoup d’autres où l’on constate l’implication directe de l’exécutif et des services dans la prise de décision de la justice. Tout comme je montre aussi les insuffisances du système judiciaire algérien où des citoyens ordinaires sont victimes d’erreurs judiciaires sans qu’on vienne à leur aide.
Cela voudrait-il dire que l’indépendance de la justice en Algérie est un concept vidé de sa substance ?
En une phrase, on ne peut pas imaginer une justice indépendante dans le cadre d’un système politique pourri. L’indépendance de la justice est une culture et une pratique permanente. Comment ose-t-on parler de l’indépendance de la justice lorsqu’on sait que le ministère de la Justice a adressé une note aux procureurs généraux leur demandant d’appliquer à la lettre les directives ministérielles, et que celui qui « rouspète » est passible d’une peine, car il est considéré comme « perturbateur et rebelle ». Comment peut-on dire que le juge est indépendant dans ce cas. Et je rappelle que cette note est à l’origine de beaucoup de dérives de la justice. Pour illustrer la dépendance de la justice de l’exécutif, je rappelle l’affaire Sider de Annaba, où c’est un directeur du ministère de la Justice qui ordonne le 17 février 1996 – une semaine après la note du ministre – au procureur de la République de la cour de Annaba de poursuivre en justice des cadres de Sider et il accuse nommément des responsables de la société, alors qu’un directeur du ministère n’a aucun droit d’agir ainsi, d’ailleurs même le ministre. Il ne suffit pas de décréter l’indépendance de la justice pour qu’elle le soit. Combien de juges ont été sanctionnés parce qu’ils avaient refusé de se soumettre aux directives et aux pressions de toutes parts. Je pense que l’indépendance de la justice passe nécessairement par une réforme radicale du système politique pour ne pas dire par le changement du système par un autre qui consacre la démocratie.
Mais les officiels se targuent d’avoir assuré l’indépendance de la justice grâce, notamment, à la réforme du système judiciaire. Qu’en pensez-vous ?
Il y a un progrès sur le plan de la modernisation des infrastructures sans plus. Dire que la réforme de la justice a atteint cet objectif est totalement faux. Encore une fois, ce n’e sont pas les textes qui garantissent l’indépendance de la justice, mais plutôt une réelle indépendance du juge. Souvent ce dernier vient non pas pour juger, mais pour rendre un jugement pris à l’avance, en condamnant le prévenu en se basant uniquement sur le PV de l’enquête de la police judiciaire et sans preuve matérielle. Par ailleurs, la réforme ne viendra pas d’une commission de quatre-vingt personnes qui siègent au Club des Pins.
Selon vous, l’institution judiciaire est-elle affectée par la corruption ?
Y a-t-il un secteur qui n’est pas gangrené par la corruption ! Il est clair que ce fléau a touché de plein fouet la justice. Parce que tout simplement la volonté politique d’éradiquer ce phénomène n’existe pas. Quand on lit dans les colonnes de la presse des affaires de détournement sans que la personne mise en cause saisisse la justice et que le procureur de la République ouvre une enquête. Ceci étant dit, il ne faut pas généraliser, nous avons des juges honnêtes et extrêmement compétents. Ce qui est dangereux avec la corruption qui touche le secteur de la justice, c’est qu’elle pousse le citoyen à perdre confiance en cette institution. Cela conduit vers la perte de l’Etat et y va de sa crédibilité. Le pouvoir ne peut convaincre qu’avec des actes concrets et prouver sur le terrain que la loi est au-dessus de tout le monde.
Mais le président de la République a promis, à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire, la création d’une commission pour lutter contre la corruption...
Encore, après la loi de février 2006, il parle d’une commission de lutte contre la corruption. La lutte contre ce fléau ne se fait pas à travers des textes de loi seulement, si la volonté politique ne suit pas. On parle de lutte contre la corruption lorsque la police judiciaire n’est pas soumise aux directives mais plutôt à la loi. Ils peuvent nous dire que la corruption existe partout dans le monde, certes, mais chez nous elle est générale et généralisée. Les quelques dossiers qui atterrissent chez la justice sont destinés à tromper l’opinion et montrer à l’étranger l’image d’un pays qui lutte contre la corruption. Mais cela ne trompe personne.
Vous parlez aussi dans votre livre de la peine de mort...
Il faut ouvrir, dans l’immédiat, un débat national sur ce sujet qui permettra aux différentes catégories de la société d’exprimer leurs points de vue. Ma position là-dessus est claire, je suis pour l’abolition de la peine de mort, au moins pour trois raisons : dans le cas où il y a erreur dans le jugement rendu, on se donne la possibilité de se rattraper et d’éviter l’exécution d’une personne condamnée à mort à tort. L’Etat ne doit pas reproduire le même comportement que celui du criminel condamné. Je suis contre cette peine, d’autant plus que la justice n’est pas indépendante dans le sens de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les conventions internationales ayant trait à une justice équitable.
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