LUNDI 6 AVRIL 2009
La maladie algérienne
Vendredi, Bouteflika va faire semblant d'être candidat à une élection démocratique à laquelle les algériens feront semblant de participer et il sera élu pour un troisième mandat. Il en va ainsi depuis 47 ans en Algérie, demi siècle au cours duquel le pays a été dirigé très exactement par le même groupe d'hommes, comme dans une forme collective de dictature à la cubaine. Demi siècle marqué par une guerre civile qui a fait 150 000 morts, mais également par un échec économique d'une ampleur vertigineuse au regard des richesses naturelles du pays. Échec économique tel qu'il mériterait de porter le nom de "maladie algérienne".
Les économistes parlent de maladie hollandaise pour décrire une forme possible de malédiction des matières premières : un pays qui se met à exploiter une ressource naturelle voit sa richesse non pas augmenter mais diminuer en raison de la désindustrialisation que provoque cette exploitation. Dans le cas, historique, des Pays-Bas, la cause en était l'augmentation du taux de change réel de la monnaie, provoquée par les exportations de gaz, qui avait fortement atteint la compétitivité prix de l'industrie manufacturière.
L'Algérie est atteinte d'une forme extrême de cette maladie. Ici, le taux de change ne joue aucun rôle (il s'est même déprécié depuis 10 ans) : s'y substitue un mécanisme de double rente, qu'engendre la détention par l'Algérie de ressources en hydrocarbures qui font d'elle le 4ème exportateur mondial de gaz.
En apparence le bilan des 10 années au pouvoir de Bouteflika est remarquable, avec un taux de croissance du PIB de plus de 7% en tendance sur la période.
Dans le même temps, le taux de chômage est passé de 30% de la population à 12%, la dette externe a été ramenée à moins de 4% du PIB, et de très importantes réserves de change ont été accumulées.
Mais cette décennie miraculeuse n'est, pour l'essentiel, liée qu'à une seule cause : la flambée des cours des hydro-carbures. Rien n'a fondamentalement changé : les cycles de l'économie algérienne sont, depuis l'indépendance, le reflet des cycles du cours des hydro-carbures.
Le pays connait ainsi une forte croissance aux début des années 1980 à la suite du second choc pétrolier, puis une stagnation à partir de 1985, en raison du contre choc. La croissance ne repart fortement qu'à partir de 1998, tout comme le cours du gaz. Depuis 30 ans, le taux de croissance tendanciel est de 5% par an, mais les fluctuations autour du trend sont importantes à la mesure des fluctuations des cours des hydrocarbures. Le Maroc, pays voisin et comparable par la taille et la population, presque dépourvu de ressources naturelles (à part du phosphate), a obtenu un taux de croissance tendanciel supérieur d'un point, avec beaucoup moins de fluctuations autours du trend.
La performance est nettement plus médiocre si on s'intéresse au PIB par habitant, en raison de la très forte croissance démographique.
Le taux de croissance tendanciel n'est plus que de 3%, et les cycles de la croissance apparaissent plus que jamais liés à ceux du cours du pétrole. Le Maroc a, pour cet indicateur, également fait mieux que l'Algérie avec un taux de croissance tendanciel de 4% par an.
Comment expliquer ces évolutions historiques ? Pourquoi l'Algérie fait moins bien que le Maroc, et pourquoi sa croissance est-elle le reflet des cours du pétrole ?
En raison d'une double rente autours de laquelle est structurée son économie, au profit des groupes dirigeants : rente du gaz et rente des importations qu'autorise le gaz.
La nomenklatura du régime, dont l'armée et en particulier la sécurité militaire constitue le cœur, utilise la rente du pétrole comme un moyen de domestication des populations. Depuis l'indépendance, elle s'en approprie une partie substantielle, et utilise le reste pour pratiquer le clientélisme à l'échelle d'une nation, selon une logique économique bien connue. Cette politique de distribution clientéliste de la rente a pris en particulier la forme de la création d'emplois publics sans finalité productive véritable. D'où l'hypertrophie du secteur public algérien, et en particulier de l'administration, où travaille un tiers de la population active.
Cette politique de redistribution a été complétée par une mise sous contrôle d'une grande partie de l'économie algérienne sous la forme de monopoles contrôlés par l'État, politique historiquement légitimée par la théorie marxiste du développement par substitution aux importations. Monopole dont le but n'a jamais été la recherche de l'efficacité économique, mais le contrôle des populations à travers l'octroi d'emplois et l'impossibilité de la constitution d'une élite concurrente issue du monde économique.
Le résultat de cette politique est l'absence d'une véritable économie productive. L'économie algérienne produit essentiellement des hydro-carbures, ou plutôt les extrait, les vend au reste du monde et achète avec le produit de cette vente ce qu'elle ne produit pas ou plus. Ainsi les hydrocarbures représentent près de 50% du PIB et la quasi totalité des exportations (96%), tandis que la production industrielle hors hydrocarbure est presque inexistante (5% du PIB). Par comparaison, près de 20% du PIB du Maroc provient de l'industrie manufacturière, qui ne cesse de se développer. La maladie hollandaise s'aggrave avec le temps : les hydrocarbures représentaient 30 % du PIB et l'industrie 11% à la fin des années 80. Par ailleurs, même si les cours du pétrole sont au plus haut, le taux de couverture des importations n'a pas cessé de baisser dans les années 2000, tandis que les importations augmentaient de 200%. Tout se passe comme si la flambée des cours du pétrole avait provoqué une accélération de la maladie hollandaise, poussant encore plus l'économie algérienne à ne rien produire, pour acheter à l'étranger.
Cette très forte hausse des importations a été en particulier marquée par un boom des importations de voiture. L'Algérie a aujourd'hui le premier parc automobile du Maghreb, sans qu'aucune voiture n'y soit fabriquée. Pierre Barrot ajoute même que Renault qui voulait implanter une usine dans la région après avoir envisagé l'Algérie a choisi le Maroc (Tanger).
On touche là à la deuxième rente, qui aggrave la première et rend difficile toute évolution véritable vers une économie productive : la rente des importations. Le secteur des importations est en effet la deuxième grande source de profit en Algérie, lorsque l'on fait partie des élites dirigeantes. Pour un membre de ces élites, deux grands flux monétaires sont en effet appropriables : ceux que génère la vente du gaz, ceux que génère l'achat à l'étranger de ce qui n'est pas produit sur place. Le second flux est, comme on l'a vu, la conséquence du premier. Mais il a ses déterminismes propres : il est à l'origine de tels profits que toutes les importations particulièrement rentables sont monopolisées par un petit nombre de personnes liées au régime. Letrabendo est le résultat de ce monopole. Le lobby des importateurs a tout intérêt à ce que la maladie hollandaise soit la plus forte possible : c'est elle qui fait sa richesse. Il use ainsi de ses moyens d'influence pour décourager le développement d'activité productive locale. C'est cette seconde rente qui forme toute la spécificité de la "maladie algérienne".
On voit ainsi que dans l'économie algérienne les mécanismes de la rente sont indissolublement économiques et politiques : la rente pétrolière fournit au pouvoir le moyen de sa légitimité. Il n'a donc aucun intérêt à sa disparition. La rente des importations est, d'autre part, impossible sans l'appui politique dont dispose le lobby des importateurs. Aucun acteur étatique ou lié à l'élite étatique n'a donc d'incitation à entreprendre les mesures qui pourraient mettre un terme à la maladie algérienne, en élevant la capacité productive de l'économie (investissement dans l'éducation, réforme du secteur bancaire incapable de financer l'économie, etc.)
Les cycles politiques en Algérie sont donc étroitement liés aux cycles économiques, eux mêmes dépendants des cours du pétrole. La stagnation du revenu par tête dans les années 1980 a conduit aux émeutes de 1988. De la même façon, la guerre civile a débuté sous fond de stagnation du revenu par habitant, et sa fin relative coïncide avec la très forte hausse de ce dernier. Il en est ainsi pour une raison simple : la légitimité du régime est directement proportionnée aux fluctuations du revenu national, puisque celui-ci transite pour une large part à travers les mécanismes politiques de redistribution des richesses. Le pouvoir politique a ainsi trouvé dans le boom pétrolier une ressource inespérée pour solder les années de guerre civile et favoriser la politique de réconciliation nationale (pardon des membres de la guérilla islamiste).
Mais le boom pétrolier est désormais fini, au moins temporairement. La répression des populations rétives sous prétexte de lutte contre le terrorisme islamiste n'a plus la même légitimité internationale. Le chemin de Bouteflika risque donc d'être fort étroit pour son troisième mandat : les élites militaires dont il est la façade ne savent en effet faire que deux choses : acheter le peuple à coup de pétro dinars et lui taper dessus si cela ne suffit pas.
Les économistes parlent de maladie hollandaise pour décrire une forme possible de malédiction des matières premières : un pays qui se met à exploiter une ressource naturelle voit sa richesse non pas augmenter mais diminuer en raison de la désindustrialisation que provoque cette exploitation. Dans le cas, historique, des Pays-Bas, la cause en était l'augmentation du taux de change réel de la monnaie, provoquée par les exportations de gaz, qui avait fortement atteint la compétitivité prix de l'industrie manufacturière.
L'Algérie est atteinte d'une forme extrême de cette maladie. Ici, le taux de change ne joue aucun rôle (il s'est même déprécié depuis 10 ans) : s'y substitue un mécanisme de double rente, qu'engendre la détention par l'Algérie de ressources en hydrocarbures qui font d'elle le 4ème exportateur mondial de gaz.
En apparence le bilan des 10 années au pouvoir de Bouteflika est remarquable, avec un taux de croissance du PIB de plus de 7% en tendance sur la période.
Dans le même temps, le taux de chômage est passé de 30% de la population à 12%, la dette externe a été ramenée à moins de 4% du PIB, et de très importantes réserves de change ont été accumulées.
Mais cette décennie miraculeuse n'est, pour l'essentiel, liée qu'à une seule cause : la flambée des cours des hydro-carbures. Rien n'a fondamentalement changé : les cycles de l'économie algérienne sont, depuis l'indépendance, le reflet des cycles du cours des hydro-carbures.
Le pays connait ainsi une forte croissance aux début des années 1980 à la suite du second choc pétrolier, puis une stagnation à partir de 1985, en raison du contre choc. La croissance ne repart fortement qu'à partir de 1998, tout comme le cours du gaz. Depuis 30 ans, le taux de croissance tendanciel est de 5% par an, mais les fluctuations autour du trend sont importantes à la mesure des fluctuations des cours des hydrocarbures. Le Maroc, pays voisin et comparable par la taille et la population, presque dépourvu de ressources naturelles (à part du phosphate), a obtenu un taux de croissance tendanciel supérieur d'un point, avec beaucoup moins de fluctuations autours du trend.
La performance est nettement plus médiocre si on s'intéresse au PIB par habitant, en raison de la très forte croissance démographique.
Le taux de croissance tendanciel n'est plus que de 3%, et les cycles de la croissance apparaissent plus que jamais liés à ceux du cours du pétrole. Le Maroc a, pour cet indicateur, également fait mieux que l'Algérie avec un taux de croissance tendanciel de 4% par an.
Comment expliquer ces évolutions historiques ? Pourquoi l'Algérie fait moins bien que le Maroc, et pourquoi sa croissance est-elle le reflet des cours du pétrole ?
En raison d'une double rente autours de laquelle est structurée son économie, au profit des groupes dirigeants : rente du gaz et rente des importations qu'autorise le gaz.
La nomenklatura du régime, dont l'armée et en particulier la sécurité militaire constitue le cœur, utilise la rente du pétrole comme un moyen de domestication des populations. Depuis l'indépendance, elle s'en approprie une partie substantielle, et utilise le reste pour pratiquer le clientélisme à l'échelle d'une nation, selon une logique économique bien connue. Cette politique de distribution clientéliste de la rente a pris en particulier la forme de la création d'emplois publics sans finalité productive véritable. D'où l'hypertrophie du secteur public algérien, et en particulier de l'administration, où travaille un tiers de la population active.
Cette politique de redistribution a été complétée par une mise sous contrôle d'une grande partie de l'économie algérienne sous la forme de monopoles contrôlés par l'État, politique historiquement légitimée par la théorie marxiste du développement par substitution aux importations. Monopole dont le but n'a jamais été la recherche de l'efficacité économique, mais le contrôle des populations à travers l'octroi d'emplois et l'impossibilité de la constitution d'une élite concurrente issue du monde économique.
Le résultat de cette politique est l'absence d'une véritable économie productive. L'économie algérienne produit essentiellement des hydro-carbures, ou plutôt les extrait, les vend au reste du monde et achète avec le produit de cette vente ce qu'elle ne produit pas ou plus. Ainsi les hydrocarbures représentent près de 50% du PIB et la quasi totalité des exportations (96%), tandis que la production industrielle hors hydrocarbure est presque inexistante (5% du PIB). Par comparaison, près de 20% du PIB du Maroc provient de l'industrie manufacturière, qui ne cesse de se développer. La maladie hollandaise s'aggrave avec le temps : les hydrocarbures représentaient 30 % du PIB et l'industrie 11% à la fin des années 80. Par ailleurs, même si les cours du pétrole sont au plus haut, le taux de couverture des importations n'a pas cessé de baisser dans les années 2000, tandis que les importations augmentaient de 200%. Tout se passe comme si la flambée des cours du pétrole avait provoqué une accélération de la maladie hollandaise, poussant encore plus l'économie algérienne à ne rien produire, pour acheter à l'étranger.
Cette très forte hausse des importations a été en particulier marquée par un boom des importations de voiture. L'Algérie a aujourd'hui le premier parc automobile du Maghreb, sans qu'aucune voiture n'y soit fabriquée. Pierre Barrot ajoute même que Renault qui voulait implanter une usine dans la région après avoir envisagé l'Algérie a choisi le Maroc (Tanger).
On touche là à la deuxième rente, qui aggrave la première et rend difficile toute évolution véritable vers une économie productive : la rente des importations. Le secteur des importations est en effet la deuxième grande source de profit en Algérie, lorsque l'on fait partie des élites dirigeantes. Pour un membre de ces élites, deux grands flux monétaires sont en effet appropriables : ceux que génère la vente du gaz, ceux que génère l'achat à l'étranger de ce qui n'est pas produit sur place. Le second flux est, comme on l'a vu, la conséquence du premier. Mais il a ses déterminismes propres : il est à l'origine de tels profits que toutes les importations particulièrement rentables sont monopolisées par un petit nombre de personnes liées au régime. Letrabendo est le résultat de ce monopole. Le lobby des importateurs a tout intérêt à ce que la maladie hollandaise soit la plus forte possible : c'est elle qui fait sa richesse. Il use ainsi de ses moyens d'influence pour décourager le développement d'activité productive locale. C'est cette seconde rente qui forme toute la spécificité de la "maladie algérienne".
On voit ainsi que dans l'économie algérienne les mécanismes de la rente sont indissolublement économiques et politiques : la rente pétrolière fournit au pouvoir le moyen de sa légitimité. Il n'a donc aucun intérêt à sa disparition. La rente des importations est, d'autre part, impossible sans l'appui politique dont dispose le lobby des importateurs. Aucun acteur étatique ou lié à l'élite étatique n'a donc d'incitation à entreprendre les mesures qui pourraient mettre un terme à la maladie algérienne, en élevant la capacité productive de l'économie (investissement dans l'éducation, réforme du secteur bancaire incapable de financer l'économie, etc.)
Les cycles politiques en Algérie sont donc étroitement liés aux cycles économiques, eux mêmes dépendants des cours du pétrole. La stagnation du revenu par tête dans les années 1980 a conduit aux émeutes de 1988. De la même façon, la guerre civile a débuté sous fond de stagnation du revenu par habitant, et sa fin relative coïncide avec la très forte hausse de ce dernier. Il en est ainsi pour une raison simple : la légitimité du régime est directement proportionnée aux fluctuations du revenu national, puisque celui-ci transite pour une large part à travers les mécanismes politiques de redistribution des richesses. Le pouvoir politique a ainsi trouvé dans le boom pétrolier une ressource inespérée pour solder les années de guerre civile et favoriser la politique de réconciliation nationale (pardon des membres de la guérilla islamiste).
Mais le boom pétrolier est désormais fini, au moins temporairement. La répression des populations rétives sous prétexte de lutte contre le terrorisme islamiste n'a plus la même légitimité internationale. Le chemin de Bouteflika risque donc d'être fort étroit pour son troisième mandat : les élites militaires dont il est la façade ne savent en effet faire que deux choses : acheter le peuple à coup de pétro dinars et lui taper dessus si cela ne suffit pas.
tous dodo mon general