Interrogés par la presse sur les scandales de corruption
Le ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, n’a jamais pensé déposer sa démission suite au scandale qui a éclaboussé l’une des plus importantes entreprises du pays : Sonatrach. « Je ne démissionne pas de mon poste de ministre. Pourquoi le ferai-je alors que la justice peut innocenter les cadres dirigeants incriminés ? », c’est par cette sentence que le ministre de l’Energie a répondu à ceux qui ont cru un moment qu’il allait claquer la porte, comme cela se fait dans les pays qui se respectent. Hier, en marge de la cérémonie de clôture de la session d’automne de l’Assemblée populaire nationale, M. Khelil donnait l’impression de narguer son monde.
Chakib Khelil persiste et signe qu’il ignore entièrement les griefs retenus contre les cadres incriminés : « Je ne peux pas vous donner les détails de l’affaire car je ne sais pas pourquoi les cadres en question sont poursuivis par la justice. Je n’ai aucun dossier ni preuve concernant cette enquête. J’ignore tout. » Mais à la question de savoir s’il était normal qu’un ministre soit en retrait de ce qui se trame à la Sonatrach, une entreprise pétrolière qui fait vivre tout le pays, le ministre a eu cette réponse basique : « Effectivement, ceci n’est pas du tout normal, mais sachez qu’il existe beaucoup de choses qui fonctionnent de façon anormale ! » M. Khelil, se défendant, ne comprend pas pourquoi la presse le tient pour responsable de ce qui s’est passé à la Sonatrach : « Je ne me suis jamais senti visé dans cette affaire, ni moi ni le clan présidentiel », rétorque-t-il aux journalistes qui l’on interpellé. « En tant que ministre, je gère tout le secteur de l’énergie et des mines et je m’occupe de sa politique et de son application ainsi que du contrôle. Je ne gère pas Sonatrach ni Sonelgaz ou les autres entreprises relevant du secteur, qui en compte plus d’une cinquantaine. Je suis le ministre du secteur de l’énergie et des mines », a-t-il précisé d’un ton déterminé.
Revenant sur le sort des cadres incriminés, le ministre a d’abord critiqué la presse qui, de son avis, joue le rôle de la justice en condamnant à l’avance des gens qui peuvent être innocents. « Nous n’avons pas besoin d’interférences dans cette affaire ni de la part de la presse ni de la part de certaines personnes qui saisissent ces opportunités pour faire des contributions », a indiqué M. Khelil. Pour le ministre, l’affaire liée à la passation de marchés au sein du groupe Sonatrach doit être traitée dans la sérénité totale : « Il faut laisser la justice faire son travail. Ces responsables sont des citoyens algériens et des hauts cadres de la nation et du groupe Sonatrach, qui défendent les intérêts du pays et ils ont le droit d’être défendus jusqu’à ce que la justice les juge coupables. » Il ajouta que les Algériens ne doivent pas perdre de vue que les responsables arrêtés sont les plus grands cadres de la nation et de Sonatrach qui ont défendu mordicus les intérêts de l’Etat et ont géré l’entreprise avec courage et bravoure. Les journalistes présents à l’APN ont interrogé le ministre sur la véracité de l’information concernant l’instruction qu’il aurait donnée pour que Sonatrach se constitue partie civile dans l’affaire.
Le ministre a d’abord refusé de commenter l’information, avant de rappeler qu’il n’était pas le PDG de Sonatrach : « C’est à Sonatrach de se débrouiller et de prendre la décision qui lui semble appropriée. »Interrogé à propos de la lettre, publiée dans le journal El Watan, de Hocine Malti, ancien vice-président de Sonatrach, adressée aux enquêteurs du DRS et dans laquelle il donne des précisions sur certains contrats signés avec plusieurs firmes, Chakib Khelil a préféré répondre par l’ironie : « Tout le monde connaît Chakib Khelil, mais qui parmi vous connaît Hocine Malti ? » S’exprimant sur le même sujet, le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Noureddine Zerhouni, a soutenu que le scandale qui secoue Sonatrach et l’arrestation de plusieurs de ses cadres ainsi que la mise sous contrôle judiciaire de Mohamed Meziane, son PDG, ne relèvent nullement d’une opération « mains propres ». « Ces affaires qui sont apparues au grand public sont au niveau de la justice, alors laissons la justice faire son travail. Je vous fait savoir que les affaires de corruption ne concernent pas uniquement l’Algérie, des affaires plus importantes que celle-ci ont éclaté à travers le monde », a révélé M. Zerhouni. A une question portant sur le sujet de l’inscription de l’Algérie sur une liste de pays dont les citoyens sont soumis à des mesures spécifiques de contrôle et l’éventuel recours à l’application de mesures de réciprocité, M. Zerhouni a répondu : « Si c’est nécessaire, nous appliquerons le principe de la réciprocité. Mais pour l’heure, nous ne connaissons pas encore le contenu de nouvelles mesures. » Le ministre a précisé que « ce dossier est traité actuellement par le ministère des Affaires étrangères ».
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L’affaire de la plainte du RCD déposée auprès du tribunal de Bir Mourad Raïs contre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement constitue, convient-il de le souligner, sinon une première, à tout le moins une action rarissime dans les annales politico-judiciaires de notre pays. Il n’est pas courant, en effet, de voir nos hauts responsables, particulièrement ceux hissés à un certain rang dans la hiérarchie (ministres, Premier ministre, députés, sénateurs, généraux, walis…) de se voir poursuivis pour répondre de leur gestion ou pour quelque autre affaire que ce soit, en rapport ou non avec leur fonction.
C’est même tabou. Si l’on épluchait toutes les archives de nos greffes cumulées depuis l’indépendance, il serait bien difficile de trouver trace d’une audience où un « gros bonnet » aurait comparu devant un tribunal, en tout cas pas dans l’exercice de ses fonctions. Même en consentant un grand effort de mémoire, les (rares) affaires qui ressortent sont toujours les mêmes : l’affaire Belloucif, l’épisode des démêlés de Bouteflika avec la Cour des comptes, l’affaire Hadj Bettou, l’affaire des cadres gestionnaires sous le premier « mandat » d’Ouyahia, l’affaire de quelques walis qui eurent maille à partir avec la justice (l’ex-wali de Blida, l’ancien wali d’Oran, etc). Sans oublier bien sûr l’affaire Khalifa. Pour ne nous en tenir qu’à ce dernier scandale qu’Ouyahia lui-même a qualifié d’« escroquerie du siècle », il est utile de rappeler qu’il avait donné lieu au procès le plus retentissant et le plus médiatique de ces dernières années.
Mais, à bien y regarder, combien de hautes personnalités, occupant les plus hautes fonctions de l’Etat, ont été appelées à la barre pour s’expliquer sur les dessous de cette grosse mascarade politico-financière ? Certes, quelques noms qui auront été les têtes d’affiche de ce « big trial », ont tout de même « daigné » faire le déplacement au tribunal criminel de Blida où l’affaire a été jugée. Nous devons nous empresser de rappeler que ces augustes commis de l’Etat furent entendus à titre de témoins. Citons, pêle-mêle, Mourad Medelci, alors ministre des Finances, Mohamed Terbèche, autre premier argentier du pays mais qui n’était plus en exercice lors du procès, Djamel Ould Abbès, ministre de la Solidarité, Abdelmadjid Tebboune, ancien ministre de l’Habitat, le gouverneur de la Banque d’Algérie Mohamed Laksaci, ou encore le patron de l’UGTA, Abdelmadjid Sidi-Saïd. Une belle brochette de pontes donc… Pourtant, au terme de deux mois d’audiences aussi émouvantes que spectaculaires, aucune personnalité du sérail ne sera inquiétée, tempérant par là même les ardeurs de ceux qui y voyaient un peu trop vite un procès « exemplaire » qui aurait la vertu de ramener une ribambelle d’apparatchiks aux dimensions de « simples justiciables ». Il suffit de voir les verdicts qui sont tombés, et surtout les têtes qui ont été conduites à l’abattoir.
Bouteflika intouchable
Pour revenir à l’action en justice lancée par le RCD contre le n°1 et le n°2 de l’Exécutif, la formation de Saïd Sadi avait annoncé dans un premier temps le refus du parquet de Bir Mourad Raïs d’enregistrer la double plainte du parti. Signalons que ces plaintes ont été déposées contre Abdelaziz Bouteflika pour « abus des biens de l’Etat » pendant la campagne présidentielle d’avril 2009, et contre le Premier ministre Ahmed Ouyahia pour avoir traité les partisans du boycott de « traîtres ». Le parquet de Bir Mourad Raïs a réagi par la voix du procureur Bouderbali qui, dans un communiqué rendu public ce mardi, a précisé que les plaintes du RCD ont bel et bien été enregistrées, précisément le 31 août, en soulignant que « les deux plaintes sont présentement à l’étude (…). Les suites légales qui leur seront réservées seront communiquées à leur auteur au moment opportun, selon les voies d’usage et conformément à la loi ». Si l’opinion ne se fait guère d’illusions quant au traitement qui sera réservé à cette affaire, toujours est-il que l’initiative du RCD est à saluer. Nonobstant la qualité et la fonction des personnalités mises en cause, il est un argument de forme avancé par les juristes dans le cas des plaintes déposées contre le chef de l’Etat, dont il convient, insistent-ils, de tenir compte : l’immunité du président de la République. « La Constitution est claire : le chef de l’Etat ne peut être poursuivi qu’en cas de haute trahison, auquel cas, il comparaît devant une juridiction spéciale », a tenu à préciser un avocat contacté par nos soins. « Cela est valable pour tous les pays du monde », ajoute-t-il en évoquant dans la foulée la procédure appelée « impeachment » (mise en accusation) en usage aux Etats-Unis pour destituer le président ou quelque haute figure institutionnelle.
Un préalable : l’indépendance de la justice
Pour sa part, le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, maître Mustapha Bouchachi, a indiqué, dans un entretien téléphonique, que « dans la législation algérienne, chaque citoyen a le droit de saisir la justice contre un ministre, un Premier ministre ou un député ». Ceci pour le principe. Interrogé sur la frontière entre « immunité » et « impunité », Me Bouchachi explique que « s’il y a immunité, il y a une procédure de levée de cette immunité. Lorsque la plainte est déposée, la justice n’a pas le droit de rejeter la plainte. Si par exemple on a affaire à un député, on peut procéder à une levée de l’immunité en saisissant l’Assemblée nationale afin de permettre le déclenchement de l’action publique ». Le parquet peut-il « s’autosaisir » quand un scandale éclaboussant quelque haut fonctionnaire de l’Etat et en rapport direct avec sa gestion, est révélé au grand jour par voie de presse ou par quelque autre canal ? La réponse du président de la LADDH est sans appel : « Le parquet a le devoir d’ouvrir une enquête chaque fois qu’une information lui parvient, sur les affaires de corruption ou autres, par le biais de la presse ou par le fait d’un simple citoyen. Malheureusement, ce que nous constatons est que le parquet n’agit pas lorsque l’information en question met en cause des symboles du régime. »
Et de plaider en faveur d’une indépendance réelle de la justice, sans laquelle, aucun gouvernant ou quelque nabab jouissant de protections officielles, ne peut être poursuivi pour ses abus. « Force est de convenir que nous n’avons pas une justice indépendante. Et cela ne peut être acquis sans une réforme de la justice qui, elle-même, exige l’édification d’un Etat démocratique fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs. Sans démocratie, sans un Etat de droit, il ne peut pas y avoir de justice indépendante dans notre pays », prévient Me Bouchachi. Il est bien triste de constater que l’indépendance de la justice n’est pas dans les mœurs, encore moins dans l’agenda, du « système Bouteflika ». Notre confrère El Khabar Hebdo vient de consacrer sa dernière une à un scandale financier qui aurait entaché la gestion de Saïd Barkat, l’un des hommes-clés du président, au moment où il était à la tête de l’agriculture. Quelles suites pourrait-on attendre de ce genre de révélations et les dizaines d’autres que fait régulièrement la presse ? Qui doit répondre du sang des 126 victimes des événements de Kabylie ? Sans citer la série ignominieuse des assassinats politiques. A commencer par la liquidation de Mohamed Boudiaf, un crime d’Etat qui n’a sanctionné aucun des hauts responsables civils ou militaires qui étaient en poste en juin 1992. Mais il est vrai que chaque procès, chaque enquête, sur l’une ou l’autre de ces affaires peu glorieuses, s’avère être une boîte de Pandore que Bouteflika et sa cour veillent scrupuleusement à ne jamais ouvrir…
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L’affaire Khalifa et les personnes qu’elle implique soulève nombre de questions juridiques.
Les derniers rebonds marqués par l’implication à peine voilée du secrétaire général de l’UGTA, mais également du ministre des Finances, Mourad Medelci et aussi de Bouguerra Soltani, ancien ministre du Travail et de la Sécurité sociale ont fait mouche auprès de la société civile. Hormis les questions entourant leur implication réelle et éventuellement criminelle dans cette affaire où se mêlent argent et politique, quelles sont leurs responsabilités juridiques ? La loi les soumet-elle à un régime protecteur ou peuvent-ils se voir reprocher leurs actes devant un tribunal ? Selon le magistrat Louafi, les ministres appelés à témoigner dans une affaire criminelle bénéficient de la protection légale prévue pour tout type de témoin. Cependant, s’il apparaît lors du jugement de l’affaire Khalifa que l’implication d’un ministre est sérieusement établie, une information ne peut être diligentée par l’instruction que sur autorisation du chef du gouvernement. Le magistrat ne précisera pas s’il s’agit là d’une disposition législative ou d’une coutume de bienséance. A son avis, un ministre ne peut être poursuivi en justice sans l’aval du président de la République. Cependant, selon Tayeb Belloula, avocat, la loi est muette à ce sujet. D’un strict point de vue juridique, un ministre peut être poursuivi et inculpé pour crime ou délit commis dans l’exercice de ses fonctions. « Dans ce cas, la compétence est attribuée à la Cour suprême. Il appartient alors au procureur général près cette cour de désigner un magistrat de cette même cour afin de procéder à l’instruction du dossier conformément aux dispositions du code de procédure pénale, sauf en ce qui concerne les attributions de la chambre d’accusation qui sont dévolues à une formation de la Cour suprême », précise maître Belloula. Si le magistrat instructeur pense que les faits reprochés sont criminels, il transmet le dossier au procureur général près la Cour suprême qui elle-même saisit une formation de la Cour suprême qui rendra soit un non-lieu, soit elle renvoit l’inculpé devant la juridiction compétente. « A l’exception de la juridiction dans laquelle l’inculpé exerçait ses fonctions », précise l’avocat. C’est là le seul privilège (privilège de juridiction) accordé aux ministres. Ils ne disposent d’aucune forme d’immunité à l’instar des députés et des sénateurs qui ne peuvent faire l’objet de poursuites sans la levée de l’immunité par le Parlement.
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