L’ancien président de l’Assemblée nationale, Amar Saâdani, est entendu par un juge de Djelfa pour avoir détourné des fonds publics, pendant qu’il était au perchoir, à l’aide de sociétés écrans ! Il ne lui arrivera rien. Saâdani a milité pour un troisième mandat pour Bouteflika. Sa société écran s’appelle Al Karama, allusion à la formule du Président Bouteflika !
Il fait partie des « amis » du président.
Ils sont, comme ça, des dizaines, cités par la justice ou par l’Inspection générale des finances, c’est à dire son frère, son chef de cabinet, son responsable du protocole, l’ancien président de l’Assemblée nationale Saâdani, les ministres Chekib Khelil, Belaïz et Toumi, le syndicaliste du pouvoir Sidi Saïd, le wali Bouricha, et quelques dizaines d'autres, tous « épargnés » par le simple fait qu'il soit une relation de Bouteflika. Qui peut douter de la probité d'une relation du président Bouteflika ?
« Toutes les affaires de corruption révélées ont un point commun : l’impunité », nous dit El-Watan. L’un des exemples les plus édifiants est celui de l’actuel ministre de la Santé, soupçonné d’avoir détourné des aides destinées aux agriculteurs. L’homme de Bouteflika, Saïd Barkat, « a saisi sa position de ministre de l’Agriculture et de son amitié avec le Président pour se servir et servir son entourage. Pour preuve, il a détourné 70% des aides agricoles destinées aux 14 wilayas du Sud au seul profit de la wilaya de Biskra », écrit l’hebdomadaire El Khabar hebdo.
Le journal arabophone a également évoqué l’affaire de l’achat de matériel agricole défectueux, d’une valeur de 1000 milliards de centimes, auprès d’une société espagnole appartenant à l’ex-Premier ministre ibérique, José Maria Aznar. « La procédure d’achat du matériel n’a pas été respectée puisqu’il n’a pas été soumis à un avis d’appel d’offres national et international, tel que le prévoit la réglementation », souligne El Khabar hebdo. Saïd Barkat s’est dit « victime » d’une campagne qui vise à le faire partir du gouvernement. Même si la liste des affaires dans lesquelles est impliqué l’ancien ministre de l’Agriculture paraît encore longue, l’homme est toujours au gouvernement.
Il en est de même pour le scandale qui a éclaboussé le secteur de la pêche et a mis le clan de Bouguerra Soltani sur la paille. En octobre dernier, le tribunal de Annaba a eu à juger une affaire de trafic de thon rouge dans les eaux algériennes. Le secrétaire général du ministère de la Pêche, d’obédience MSP, a ainsi été inculpé aux côtés du directeur central de la pêche, de deux armateurs algériens et six turcs. La presse a révélé, par ailleurs, de nombreux dysfonctionnements dans des contrats de pêche au thon, dans les eaux algériennes, conclus avec des sociétés chinoises lorsque Bouguerra Soltani était secrétaire d’Etat à la Pêche de 1996 à 1998.
Mais l’affaire qui a été le mieux étouffée est celle de Brown Roots et Condor (BRC). Dans ce dossier traitant de passation frauduleuse de marchés (de gré à gré), Sonatrach aurait confié à cette société 27 projets d’un montant global de 63 milliards de dinars. Le recours de Sonatrach à BRC, malgré les surfacturations exorbitantes, était motivé, selon le PDG actuellement sous mandat de dépôt, par la « précipitation ». « Ce mode de passation de gré à gré a été expressément autorisé sous forme de décisions d’accord prises par le PDG sous le sceau de l’urgence, alors que la nature de ces projets ne le justifiait pas », commentent les rédacteurs du rapport de l’Inspection générale des finances (IGF). D’aucuns pensaient que cette affaire devait signer la mort de la carrière de Chakib Khelil. Il n’en fut rien. La société algéro-américaine a été précipitamment dissoute et plus personne n’aborde ce sujet.
Le symbole de la personnalité corrompue proche du président et protégée par ce dernier, s’appelle Mohamed Bouricha, wali de Blida, proche de la famille Bouteflika. Confondu au début de l’année 2005 de corruption, de dilapidation de deniers publics, d’usage de fonds étatiques à des fins personnelles, de trafic de terres agricoles et d’abus de pouvoir, ce préfet bien spécial a joui d’une incroyable impunité pour des délits impardonnables et avérés. Le préfet Bouricha « revendait » pour son compte des terres agricoles appartenant à l’Etat et traitait de manière frauduleuse avec quatre hommes d’affaires qu’il faisait bénéficier de terrains et de marchés douteux en contrepartie de commissions en espèces et en nature. Il a notamment fait acheter par l’hôpital psychiatrique de Blida, et par cinq communes relevant de son territoire, des marchandises surfacturées par son complice Boukrid, un trafiquant de voitures qui, en retour, l’a gratifié de généreuses ristournes. La gendarmerie a établi que Boukrid s’adonnait à la contrebande de voitures avec le propre fils du wali qui, bien entendu, agissait sous la couverture de papa. Avec son autre acolyte El-Hadj, un promoteur immobilier, Mohamed Bouricha a passé un marché encore plus juteux : l’octroi d’un terrain de l'Etat, incessible, en échange de deux somptueuses villas à Alger et d’une limousine au volant de laquelle le très fantasque préfet avait même l’impudence de s’afficher publiquement ! Bouricha avait aussi, selon les journaux, bénéficié d’une maison à Paris offerte par un riche industriel à qui il aurait facilité l’acquisition d’une usine textile. Bref, ce fut un préfet très débrouillard et très riche qui fut démis de ses fonctions en mai 2005, placé sous contrôle judiciaire un an plus tard mais jamais incarcéré. Son fils, après un court séjour en prison, fut libéré en catimini, sans jamais avoir été jugé. Pour des délits dix fois moins graves, les Algériens anonymes ont passé cinq années d’enfermement !
C’est que Bouricha, originaire de Tlemcen, c'est-à-dire de la région chérie par la famille Bouteflika, fait partie du clan des intouchables. A ce titre, il a d’ailleurs mené une hystérique campagne pour le président-candidat aux élections de 2004 et n’a jamais manqué de lui manifester son allégeance. On comprend, alors, que la taule ne soit pas faite pour les amis.
En Joumloukia de Bouteflika, les Bouricha resteront une plante vénéneuse mais protégée qui ne s’épanouit que dans le silence de l’obscurité. C’est un phénomène incontrôlable, fatal, connu depuis toujours. Depuis Gustave Le Bon qui, en une vie centenaire, a beaucoup réfléchi sur les déséquilibres du monde mais aussi sur la civilisation des Arabes : « Un dictateur n'est qu'une fiction. Son pouvoir se dissémine en réalité entre de nombreux sous-dictateurs anonymes et irresponsables dont la tyrannie et la corruption deviennent bientôt insupportables.»
L.M.