Quand la France voulait punir les généraux algériens
L’islamiste Rachid Ramda vient d’être condamné en appel à la perpétuité pour son rôle dans les attentats de Paris en 1995. A l’époque, la DST avait demandé une étude sur les sanctions à infliger aux généraux algériens.
Le verdict est tombé ce mardi soir : l’Algérien Rachid Ramda a été condamné en appel à la réclusion criminelle à perpétuité pour son implication dans des attentats commis à Paris en 1995. Station RER de Saint-Michel le 25 juillet 1995, station de métro Maison-Blanche le 6 octobre 1995 et station RER du Musée d’Orsay le 17 octobre 1995. Cette série d’attaques officiellement revendiqués par le GIA (Groupe islamique armé) algérien avait fait 8 morts et 194 blessés.
Le procès en appel de Rachid Ramda, qui a été extradé par le Royaume-Uni vers la France en décembre 2005, a été l’occasion de revenir sur cette période tourmentée et marquée par des relations exécrables entre Paris et Alger. A l’époque, les services français étaient sur les dents, l’opinion publique sous le choc et les politiques réclamaient des comptes. Si le GIA a revendiqué les attentats, se met à germer l’hypothèse que les généraux algériens, alors maîtres d’un pays en proie à une sanglante guerre civile, sont liés d’une façon ou d’une autre aux attaques sur Paris.
A ce jour, aucune preuve n’a pu confirmer cette thèse rejetée par Alger qui en désigne les partisans par le terme de « Qui tue qui ». Un ancien ponte du renseignement français se souvient pourtant, sibyllin, que « lorsqu’on critique le régime algérien, il y a des attentats en France. Lorsqu’on ne le critique pas, il n’y a pas d’attentats en France »… Voilà pour le décor.
La journaliste et spécialiste de l’Algérie, Nicole Chevillard, qui avait déjà témoigné au premier procès de Ramda en octobre 2007 (il avait été condamné à la perpétuité) comme l’a relaté Rue89, a remis le couvert le 23 septembre, lors du procès en appel.
Elle y a raconté, de nouveau détails à l’appui, la drôle d’ambiance qui régnait dans les services français en 1995. Et en particulier au sein de la DST, alors dirigée par Philippe Parant. Ce dernier était alors secondé par Raymond Nart, le “monsieur Algérie de la DST”, qui n’a jamais caché qu’il entretenait d’excellentes relations avec les haut-gradés algériens, notamment le général Smain Lamari le numéro deux de la sécurité militaire décédé en août 2007. La ligne d’Alger était alors claire : éradiquer les islamistes.
Au moment des premiers attentats, Nicole Chevillard venait d’achever la rédaction d’une étude politique et économique sur l’Algérie publiée par la revue Nord Sud Export. Elle y livrait entre autres une cartographie documentée de l’armée et des services algériens qui ne pouvait que taper dans l’oeil du renseignement français compte tenu de sa précision.
Rançon de la gloire, le 9 octobre 1995, Nicole Chevillard est convoquée dans les locaux de la DST situés rue Nélaton et reçue par messieurs Parant et Nart. « Ils m’ont posé des questions sur les militaires et les islamistes algériens. Je les ai titillés pour savoir qui avait intérêt à faire pression sur la France. Pour Nart, c’était ’évident, ce sont les islamistes’. Parant s’est montré diplomate en répondant que la DST consultait » se souvient la journaliste. L’affaire n’allait pas en rester là.
"Une petite étude complémentaire"
Quelques jours plus tard, Philippe Parant, se rappelle à son bon souvenir. Et propose à la journaliste de le rejoindre à l’aube à l’hôtel La Trémoille, dans le Triangle d’or parisien du 8è arrondissement. Après lui avoir déclaré que le texte du « pacte de Saint Egidio » (offre de paix signée par les partis politiques algériens dotés d’une légitimité électorale que les généraux ont refusé en bloc) pouvait être l’amorce d’une solution politique pour le retour de la paix en Algérie, il glisse que « si on calme le jeu politique en Algérie, la France serait tranquille puisqu’il était évident à son sens que l’insécurité algérienne avait traversé la Méditerranée » témoigne Nicole Chevillard.
Puis, surprise, Philippe Parant demande à son interlocutrice de réaliser pour lui une « petite étude complémentaire ». Objectif : lister les moyens de pression que la France pourrait exercer sur les généraux qui détiennent alors le pouvoir en Algérie. Sont surtout visés ceux que l’on appelle les « janviéristes » et qui ont participé au coup d’Etat de janvier 1992 : Mohamed Lamari, chef d’Etat-major de l’armée, Smaïn Lamari, n°2 des services de renseignements, Mohamed Médiène, chef de la Sécurité militaire, Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, Larbi Belkheir, parrain de tout le système…
« Le but de ce complément d’étude était que les généraux acceptent de se plier à des négociations, notamment avec les partis politiques signataires du pacte de Saint Egidio. Ou, tout du moins, qu’ils acceptent de ne pas entraver des médiations qui pourraient aboutir à une sortie de crise en Algérie » précise Nicole Chevillard.
Un panel de tracasseries
Alors que la campagne d’attentats islamistes en France se poursuit avec celui du 17 octobre 1995 contre la station RER Musée d’Orsay, Nicole Chevillard se met au travail. Elle préconise un large panel de tracasseries à infliger à l’Algérie des généraux : des sanctions économiques bien sûr car, à l’époque, Alger dépend de la France, grand bailleur de fonds dans le cadre du Club de Paris. Mais aussi des tracasseries administratives ciblées dont des difficultés pour obtenir un visa pour la France où les généraux aiment se faire soigner à l’hôpital du Val de Grâce où ils ont leurs habitudes ou le gel de leurs avoirs financiers dans l’Hexagone.
Ces sanctions ont-elles été appliquées ? Mystère, même si effectivement dans la seconde moitié des années 90, certains militaires algériens se plaignaient d’avoir du mal à se procurer des visas pour eux et leurs familles. Toujours est-il qu’Alger a eu vent de ce qui se tramait à Paris. En effet, le 15 novembre 1995, un certain « Monsieur Marin », qui se présente comme étant de la DGSE, le renseignement extérieur français, entre en contact avec Nicole Chevillard en prétextant vouloir lui parler d’une affaire qui la touche « personnellement ». Rendez-vous est pris à proximité du Cercle militaire, dans le 8è arrondissement parisien. Quelle ne fût pas alors la surprise de la journaliste de s’entendre dire que les grandes oreilles françaises avaient capté des conversations menaçantes et insultantes à son égard entre des généraux réunis au Club des Pins, un de leurs lieux de villégiature dans la banlieue d’Alger…
Last but not least, la DST préférera ne pas financer elle-même ce complément d’étude que Nicole Chevillard évalue de mémoire à 10000 francs et quelques. Mais une solution salvatrice sera trouvée en la personne du préfet Rémy Pautrat qui dirigeait alors le SGDN, le Secrétariat général à la Défense Nationale. « Je l’ai rencontré dans son bureau, près des Invalides autour du mois de janvier 1996 » affirme Chevillard. « Alors que je lui racontais que j’étais de la famille du père blanc Jean Chevillard assassiné à Alger en 1994 et pensais que les services algériens étaient derrière, il m’a confié que certains militaires n’étaient effectivement pas ’très recommandables’, même s’il n’avait pas de preuves contre eux ».
Mémoire morte
Comme Bakchich l’a relaté en 2007, le préfet Rémy Pautrat avait alors poussé la conversation plus loin avec la journaliste, lui racontant que « le général Lamari » (il s’agissait très vraisemblablement de Smaïn Lamari, n°2 de la sécurité militaire) se serait vanté auprès de ses interlocuteurs français de tenir Djamel Zitouni, qui était alors l’émir en chef du GIA. Et pas seulement ! Selon Chevillard qui cite Pautrat, le général Lamari aurait même convoqué trois membres du groupe terroriste dont Zitouni et, après avoir tué de ses propres mains les deux premiers, aurait jeté à l’islamiste radical : « Voilà, tu vois ce qui te reste à faire » !
Aujourd’hui, le préfet Rémy Pautrat ne se souvient pas avoir rencontré Nicole Chevillard. Il l’a affirmé devant la Cour d’assises spéciale qui rejugeait Rachid Ramda le 23 septembre dernier avant de le réitérer fort sèchement à la journaliste dans les couloirs du palais de justice. Mais ce n’est pas tout à fait ce qu’il avait dit à Bakchich qui l’avait contacté en 2007 sur le même sujet. A propos de la rencontre avec Nicole Chevillard et du financement de l’étude de la DST, Rémy Pautrat avait effectivement indiqué ne pas se rappeler s’il avait ou non rencontré la journaliste même s’il était tout à fait plausible qu’il l’ait aidée à l’époque à la demande de la DST. « De tels modes de financement sont classiques » avait-t-il même précisé au sujet de son complément d’étude.
Au sujet des dires du général Lamari, le préfet Pautrat a en revanche indiqué à Bakchich ne pas avoir recueilli ses confessions en personne. Mais il a raconté que l’un des principaux patrons de la DST, Raymond Nart, avait, lui, bien rencontré le général Smaïn Lamari. Et que ce dernier lui aurait expliqué que lors d’une embuscade, les forces spéciales algériennes avaient arrêté un groupe du GIA. Avec la délicatesse qui caractérise la sécurité militaire algérienne, ils avaient exécuté l’ensemble du commando. « A l’exception de Djamel Zitouni, le futur émir du GIA. Celui-là, avait confié Smaïn Lamari, on l’avait bien en main ». Raymont Nart n’a pas, à ce jour, confirmé ces informations.
Si les vantardises du général Lamari ne relèvent pas de la légende urbaine, il va sans dire que la question du rôle des services secrets algériens dans les attentats de Paris, l’affaire des moines de Tibhirine et de la prise en otage de l’Airbus d’Air France en 1994 se pose alors très sérieusement : tous ont été revendiqués par Djamel Zitouni.