En dépit de sa fragilité physique (il mesure à peine 1,65 m),
A Alger, ce 1er février, la salle de l'hôtel Aurassi est trop exiguë pour recevoir les centaines d'invités - célèbres ou anonymes - qui se pressent pour assister à l'annonce solennelle de la candidature d'Abdelaziz Bouteflika à l'élection présidentielle. Ils sont manifestement curieux de (re)découvrir l'un des derniers représentants de l'ère Boumedienne - c'est lui qui, en décembre 1978, a prononcé l'éloge funèbre du président défunt -, l'homme qui a dirigé la diplomatie de leur pays à l'époque, déjà lointaine, où celui-ci comptait sur la scène internationale.
Bouteflika a trop attendu son retour sur le devant de la scène pour ne pas avoir étudié le moindre détail de l'opération. Alors que la salle ne peut recevoir que deux mille personnes, plus de deux mille cinq cents cartons d'invitation avaient été envoyés. Stars du show-biz, vedettes sportives comme l'ancien footballeur Ali Bencheikh, ministres de Chadli en disgrâce, généraux à la retraite... Mais aussi des syndicalistes et des patrons, des intellectuels de gauche et des bailleurs de fonds notoires de l'islamisme politique... On pouvait voir des victimes de la « déboumédiennisation » côtoyer sans problème leurs anciens persécuteurs. Et des artistes s'entretenir aimablement avec leurs censeurs d'hier... On l'aura compris : le candidat s'efforce d'apparaître comme un rassembleur...
Abdelaziz Bouteflika est né en 1937, à Oujda. Originaire de Tlemcen, son père s'était en effet installé, au milieu des années trente, dans la capitale du Maroc oriental, pour des raisons économiques. Enfance sans histoire, adolescence studieuse et baccalauréat français à 18 ans. Mais ni le collège ni le lycée ne le détournent de l'école coranique : l'année du bac sera aussi celle du brevet arabe. En 1956, il hésite entre l'université et la vie active. La guerre choisira pour lui. Le Front de libération nationale (FLN) demande à tous les lycéens et les étudiants de rejoindre les maquis. Il répond à l'appel. Ce n'est pas une surprise : au lycée déjà, il animait la cellule de l'Istiqlal, le parti nationaliste marocain d'Allal el-Fassi. Dans l'Oranais, contrairement à d'autres régions du pays, l'Armée de libération nationale (ALN), la branche armée du FLN, n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements. Bouteflika traverse clandestinement la frontière et s'attelle à l'organisation des premières unités combattantes de la wilaya 5, dirigée par un certain Mohamed Boukherouba, plus connu sous son nom de guerre : Houari Boumedienne.
En dépit de sa fragilité physique (il mesure à peine 1,65 m), le jeune homme fait montre d'une réelle aptitude au commandement et d'un sens aigu de l'organisation. Après plusieurs missions qui le mènent jusqu'aux confins méridionaux du pays, près de la frontière malienne, le désormais Si Abdelkader (son nom de guerre) rejoint le commandement de la wilaya 5, basé à Oujda. Il y côtoie le gotha de l'ALN : Cherif Belkacem, alias Si Djamel, Ahmed Medeghri (Si Hocine), Ahmed Kaïdi (Si Slimane) et Houari Boumedienne.
En 1957, Bouteflika est légèrement blessé au cours d'une mission. Il est évacué sur Casablanca, où il est pris en charge par les réseaux de Mohamed Zeghar. Grand argentier du FLN, celui-ci s'occupe de l'approvisionnement des maquis et de l'armée des frontières en armes et en équipements. C'est dire qu'il est amené à gérer des sommes colossales et qu'il dispose de nombreux contacts dans le monde du renseignement. Il a, en outre, l'oreille de Boumedienne et jouit de la confiance absolue d'Abdelhafid Boussouf, qui dirige le ministère de l'Armement et des Liaisons générales (Malg), l'ancêtre de la Sécurité militaire (SM). Bouteflika sait tout cela. Il parvient à s'attirer les bonnes grâces de Zeghar, qu'il séduit par sa capacité à s'adapter aux situations les plus imprévues. Cultivé sans être pédant, le jeune homme est, en outre, d'un commerce agréable et sait parler de choses sérieuses avec humour. Désormais membre du « clan d'Oujda », il joue dans la cour des grands.
Boumedienne lui confie les missions les plus délicates. D'homme de confiance, il devient homme d'influence. C'est lui qui souffle l'idée à Boumedienne de quitter Oujda pour Ghardimaou, en Tunisie. « Si nous restons ici, nous serons les héros d'une région. Pour jouer un rôle national, il faut aller en Tunisie. C'est là-bas que tout se décide. » L'homme qui tient ce langage au taciturne et très autoritaire Houari Boumedienne n'a que 21 ans...