Du Caire, Hassane Zerrouky
En pleine grève des ouvriers du textile de la cité industrielle de Mahala dans la vallée du Nil à 120 km du Caire, un appel à la grève générale, pour le 6 avril, contre la hausse des prix et la pénurie de pain subventionné, était lancé via Internet sur le réseau Facebook. « N’allez pas au travail, n’allez pas à l’université, n’ouvrez pas vos commerces, n’ouvrez pas vos pharmacies ... Nous voulons des salaires dignes, nous voulons du travail, de l’éducation pour nos enfants, des transports humains, des hôpitaux ... » indiquait l’appel des bloggueurs qui s’est dénommé « groupe du 6 avril ». Il demandait également aux égyptiens d’ « afficher le drapeau égyptien partout », de « s’habiller en noir », de « distribuer le slogan », et il ajoutait : « surtout ne pas oublier d’offrir une fleur à chaque policier ».
Toujours est-il que l’appel a été relayé de bouche à oreille. L’idée de grève générale s’est répandue comme une traînée de poudre. L’écho a été tel que le pouvoir a réagi de manière très vive. Sur les chaînes publiques de la télé égyptienne, un communiqué du ministère de l’Intérieur égyptien, diffusé en boucle tout le long de la journée du 7 avril, avertissait que l’Etat serait intransigeant avec les fauteurs de troubles. La police anti-émeute s’est déployée et a quadrillé la capitale. Les parents ont pris peur et n’ont pas envoyé leurs enfants à l’école.
La grève générale n’a finalement pas eu lieu, mais ce dimanche 6 avril, Le Caire vivait au ralenti. La veille , des bloggueurs avaient été arrêtés dont Esraa Abdelfattah, jeune étudiante, créatrice du blog et initiatrice d’un mouvement inédit dans les annales égyptiennes et des pays de la région qui, de l’avis de nombreux égyptiens, a fait trembler le régime.
Aujourd’hui, Esraa Abdelfatah et sa « complice », Nadia Moubarak (rien à voir avec le chef de l’Etat égyptien) ainsi qu’une vingtaine de bloggueurs, arrêtés dans un café du centre du Caire, sont en prison, en attente de jugement. De sa cellule, elle a écrit une lettre, publiée par le journal de gauche, El Badil, dans laquelle elle explique ce qui l’a incitée à lancer un tel appel.
Quoi qu’il en soit, ce mouvement des jeunes bloggueurs, qui a pris de court l’opposition classique y compris les Frères musulmans, ne s’est pas éteint. En quelques jours, plus de 80 000 personnes l’ont rejoint sur Facebook. Mardi dernier, il est passé à une autre étape. Il a lancé un nouvel appel pour la journée du 4 mai, tout un symbole, puisqu’il s’agit de la date de naissance du président Hosni Moubarak. En plus de la libération d’Esraa Abdelfattah, il demande aux égyptiens de s’habiller en noir et de mettre des drapeaux noirs sur leurs balcons en signe de protestation contre la vie chère et pour le respect des libertés et des droits de l’homme. Quant à Esrra Abdelfatah et Nadia Moubarak, selon les deux journaux de gauche – El Badil et El Destour – elles ont été séparées de leurs camarades et transférées dans un lieu tenu secret. « Le ministère de l’intérieur a caché Esraa » accuse en « une » El Destour ». « Diparition d’Esraa » renchérit de son côté El Badil. Le reste de la presse égyptienne, dont l’officieux El Ahram, se sont également fait l’écho de l’emprisonnement de la jeune bloggueuse.
L’affaire fait grand bruit au point d’éclipser médiatiquement les manifestations (elles ont eu lieu mercredi) des Frères musulmans protestant contre la condamnation à de lourdes peines de 25 de leurs membres dont le numéro trois de la confrérie, Kheirat el Chater, condamné à 5 ans de prison.
Et de l’avis des journalistes et observateurs égyptiens que j’ai rencontrés, le pouvoir égyptien semble désarmé face à un mouvement né sur Internet, échappant aux formes classiques d’organisation, qui affirme sur son réseau Facebook ne pas être un parti politique, refusant de surcroît toute récupération politique d’où qu’elle vienne et qui mène un combat pacifique et civilisé sur les seuls thèmes de la vie chère, de l’augmentation des salaires, des libertés démocratiques et des droits de l’homme.
H.Z