L’efficacité de la mise en œuvre de la Convention des Nations unies contre la corruption repose à la fois sur l’indépendance et l’impartialité des systèmes judiciaires. Là où l’appareil judiciaire ne répond pas à ces conditions, les procureurs, juges et fonctionnaires de justice malléables seront enclins à fermer les yeux sur les actes de corruption dont ils sont témoins ou à délibérément refuser de les considérer. La partialité des nominations, promotions et procédures disciplinaires contribue à diluer les compétences du personnel judiciaire, lequel ne s’en trouve que plus démuni face à certains dossiers complexes, y compris face aux affaires de corruption.
Partout dans le monde, la corruption des tribunaux est perçue comme un fléau majeur. Et la dépendance sans cesse grandissante de la justice à l'égard de l'Exécutif n'est pas faite pour arranger les choses. L'enrichissement illicite en hausse chez un très grand nombre de magistrats illustre on ne peut mieux la gangrène qui ronge ce secteur. Le dernier Baromètre mondial de la corruption de 2009 indique que près de la moitié des personnes interrogées sur les cinq continents considère que le pouvoir judiciaire est corrompu et révèle une hausse des pots-de-vin versés dans le cadre de procédures judiciaires. Dans les salles d’audience comme à l’extérieur, la corruption peut revêtir bien des aspects : subornation, extorsion, trafic d’influence et népotisme en sont les plus fréquents. Différents schémas émergent selon les pays. Au Nigeria, par exemple, des études montrent que les actes de corruption visent surtout à permettre la destruction de preuves et à accélérer les procédures. En Jordanie, le risque principal est de voir les décisions des juges influencées par des attaches familiales ou tribales. Les facteurs qui sous-tendent la corruption comprennent l’ingérence du pouvoir exécutif, la pression sociale, le manque de participation citoyenne, l’ignorance de la loi ou encore, la médiocrité de l’administration.
Corrélation entre corruption judiciaire et baisse de confiance des investisseurs
Les conséquences de la corruption judiciaire sont aussi diverses que ses formes. L’impact le plus flagrant en est certainement le non-aboutissement ou l’érosion de l’État de droit : non seulement certains criminels influents bénéficient d’une totale immunité, mais en plus, les citoyens ordinaires se voient refuser un accès équitable à la justice. La corruption altère la qualité de la justice. Des juges, procureurs et fonctionnaires de justice incompétents peuvent en effet être recrutés et promus en échange de pots-de-vin ou de faveurs. Economiquement, on observe une corrélation entre la corruption judiciaire et la baisse de confiance des investisseurs et, donc, la diminution des échanges commerciaux. Politiquement, l’ingérence du pouvoir exécutif dans certaines affaires impliquant de hauts fonctionnaires érode la confiance des citoyens dans le gouvernement. Ces dernières semaines, le report de plus en plus fréquent des procès des grandes affaires de corruption est une des illustrations de cette ingérence : il faut faire baisser la «température» des affaires scabreuses ! Les procureurs qui, sous la pression politique ou pour des intérêts personnels, renoncent à mener une enquête, de même que les juges qui, pour les mêmes raisons, rejettent des preuves, entravent tous la bonne exécution du droit.
Un rempart à construire contre l'explosion de la corruption
Dans une société démocratique, le système judiciaire a la mission essentielle de garantir le fonctionnement de l’État de droit et de veiller au respect des droits et libertés consacrés par la Constitution. A ce titre, la justice assume une fonction essentielle de régulation et de stabilité sociale, en assurant le respect des lois et règles de l’organisation sociale et politique d’un pays. Elle a également un rôle important à jouer pour garantir la transparence et l’intégrité de la gestion des affaires publiques et le respect des principes de bonne gouvernance. Dans un Etat de droit, le principe d’indépendance protège les institutions judiciaires des pouvoirs exécutif et législatif et constitue l’essence même du concept de la séparation des pouvoirs. La consécration de ce principe ne s’accompagne pourtant pas toujours de la reconnaissance de la justice en tant que pouvoir distinct par rapport à l’exécutif et au législatif. Le principe d’indépendance ne se limite pas seulement à protéger les magistrats contre d’éventuelles pressions de l’Exécutif mais s’applique aussi à toutes les autres formes de pressions possibles. L’intégrité des magistrats, incompatible avec une quelconque forme d’allégeance au pouvoir politique ou à d’autres forces de pression, est consubstantielle à leur indépendance. Une justice indépendante, rendue par des hommes et des femmes qualifiés, dans le cadre d’une organisation transparente et immunisée contre les risques d’ingérence extérieure, constitue le rempart de l’État et de la société contre l'explosion de la corruption. Chargée de dire le droit et de sanctionner ceux qui contreviennent à ses règles, la justice est garante de l’efficacité du dispositif légal à mettre en place pour lutter contre la corruption. L’ensemble des lois et règlements en la matière doit être clair et bien adapté à son environnement. Ce qui est encore très loin d'être le cas en Algérie.
Djilali Hadjadj