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Quand les droits de l’homme bravent l’état d’urgence


Quand les droits de l'homme bravent l'état d'urgence

Le 3e congrès de la LADDH s’est poursuivi hier sans autorisation

Quand les droits de l’homme bravent l’état d’urgence

Les assises du 3e congrès de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme se sont poursuivies hier à la Maison des syndicats.


Le congrès, qui a commencé ses travaux jeudi dernier, devait se clôturer hier soir par l’adoption des statuts de la Ligue, l’élection d’un nouveau conseil national pour finir avec l’élection du président de la LADDH. Il faut souligner que ce troisième congrès a été marqué par quelques péripéties organisationnelles, et pour cause : à la toute dernière minute, la wilaya d’Alger a notifié aux organisateurs la non-autorisation (pour ne pas dire l’interdiction) du congrès. Malgré cela, les délégués issus de 34 wilayas ont fait le déplacement. Les congressistes, qui devaient se réunir à la Mutuelle de la construction, à Zéralda, se rabattront in extremis sur la Maison des syndicats, une salle située dans un petit immeuble à Bachdjarrah, et qui devient décidément un espace hautement citoyen que les militants associatifs, syndicaux et autres sollicitent de plus en plus, faute d’espaces d’expression.

Des policiers en civil et même des agents tunisiens

Bien sûr, la question qui turlupinait tous les journalistes qui ont couvert le congrès était : ce changement de domiciliation mettait-il la Ligue à l’abri d’une intervention policière pour en empêcher les travaux ? « Nous avons juste reçu la visite de quelques policiers en civil, mais nous avons su les gérer », a indiqué Me Aïssa Rahmoune, porte-parole du congrès. Fait cocasse : Me Rahmoune nous apprend dans la foulée que deux « flics » tunisiens se sont invités discrètement, sans doute pour « superviser » l’intervention de représentants d’ONG tunisiennes qui ont pris part à cet important rendez-vous. « Dites à Mme Sihem Bensedrine que nous l’avons évidemment invitée, mais les autorités ont empêché sa venue », a lancé le président du bureau du congrès, le docteur Kamel Daoud (ne pas confondre avec le célèbre chroniqueur) à l’adresse d’un invité tunisien. On l’aura deviné : l’ambiance est bon enfant malgré ces couacs « bureaucratico-policiers », malgré l’enjeu, malgré la « guéguerre » qui oppose la Ligue à son ex-président, Me Hocine Zehouane. Et surtout : malgré Zerhouni. D’ailleurs, Me Ali Yahia Abdenour chargera avec véhémence le très impopulaire ministre de l’Intérieur qu’il qualifie de « machine de guerre » dans une contribution qu’il nous a remise. « Le refus est incompréhensible, inacceptable, intolérable. Il y a dérapage du ministre de l’Intérieur sur la question des libertés et des droits de l’homme. La méthode inquisitoire qui place la LADDH dans son collimateur est une intrusion dans la vie associative pour l’instrumentaliser et la mettre sous tutelle », écrit-il (lire en page 2 la contribution de Me Ali Yahia dans son intégralité). Sur les murs sont placardées des affiches qui donnent le ton : « Malgré l’interdiction, nous continuerons d’exister. » Me Rahmoune qualifie la situation de « semi-clandestinité ». La notification de la wilaya d’Alger survint la veille du congrès, « à 20h10 », précise Me Bouchachi, « alors que nous avons déposé la demande depuis un mois ». Une manière de mettre les congressistes devant le fait accompli. « Mais heureusement que nous avions prévu un plan B », se félicite Aïssa Rahmoune.

« Mon fils a l’âge de l’état d’urgence »

11h. La salle de la Maison des syndicats autonomes est archicomble. Les invités de la LADDH arrivent les uns après les autres : Karim Tabbou, premier secrétaire du FFS, l’ambassadeur d’Espagne et représentant de l’Union européenne, Gabriel Busquets, une représentante de l’ambassade des Etats-Unis, sans oublier les émissaires de certaines ONG internationales (la FIDH, le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, ou encore la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme). Notons également la présence de Hassan Ferhati de SOS Disparus arborant un portrait de son frère Mustapha enlevé à Kouba en 1998. Il est accompagné de familles de disparus brandissant elles aussi des portraits de leurs enfants, victimes de disparitions forcées. La cérémonie d’ouverture verra défiler le micro entre plusieurs intervenants. Me Bouchachi ouvre le bal. « Mon fils a aujourd’hui dix-huit ans. Il est né sous l’état d’urgence et il ne connaît que l’état d’urgence », attaque l’imposant avocat dans un arabe délicieux. Son plaidoyer contre l’état d’urgence fait ouvertement écho au slogan officiel de ce 3e congrès : « Agissons ensemble pour la levée de l’état d’urgence ».

Dans la foulée, il dresse un réquisitoire sans concessions contre le régime et ses « dérives totalitaires » (voir encadré). Le très charismatique Me Ali Yahia Abdennour lui emboîte le pas. Avec sa modestie habituelle, il se présente comme un vieux briscard du combat pour les droits humains. Sa harangue alterne colère, tendresse et ironie. Comme en témoignent ces mots truculents qu’il eut à l’endroit des femmes. Exhortant la direction de la Ligue à intégrer plus de femmes dans ses instances, il a cette féroce métaphore : « La vie, c’est comme un avion. Il lui faut deux ailes pour voler. Mais chez nous, les hommes ont tous les pouvoirs. Notre pays est un avion avec une seule aile. Il ne pourra jamais décoller. » Me Ali Yahia Abdennour aura droit à une standing ovation digne de sa stature et de son aura. Suivront quelques mots de soutien et de solidarité prononcés par les différents invités, avant que le président du bureau, Dr Kamel Daoud, ne lève cette première séance. Le 3e congrès est officiellement étrenné. Il est sur les rails et les dés sont jetés. Pour achever de camper le décor, quatre commissions de travail sont installées. La suite du programme sera dédiée à des conférences en rapport avec le sujet : « Pour un Maghreb des droits de l’homme », « La levée de l’état d’urgence, une urgence nationale » ou encore « Les droits économiques, sociaux et culturels en débat ». La journée d’hier a été plus « technique » et devait être couronnée donc par l’élection du président de la LADDH. La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme a été créée, rappelle-t-on, en 1985 et fut officiellement agréée en 1989. Elle compte aujourd’hui environ 2200 adhérents.


Par Mustapha Benfodil

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