L’activité bancaire en Algérie est une saga continue d’escroqueries. Entre mille affaires, cette « success-story » à l’algérienne, celle de Ziane Habib « pompiste dans une station d’essence à ses débuts [9] », devenu propriétaire de la Banque générale méditerranéenne, spécialisée dans des activités mafieuses liées au remboursement de la « dette russe », une banque privée sans siège, qui compte dans son personnel Antoine Morot, PDG à son insu (il l’apprend lorsque le scandale éclate dans la presse), des consultants de choix, El-Hassar Choaïb, vice-gouverneur de la BA et Stambouli Bachir, haut fonctionnaire y travaillant notamment sur la « dette russe ». Ces irrégularités flagrantes n’ont pas empêché Abdelouahab Karamane de signer l’agrément de cette banque, avant d’être promu ministre chargé du Trésor et de la Réforme financière. Mais, plus criant encore, la gestion de « la dette russe » dont s’est spécialisée cette banque donne à elle seule la mesure de la gangrène qui frappe l’État algérien. C’est en 1992 que la Russie accepte que l’Algérie lui rembourse en nature sa dette militaire de 4 milliards de dollars. C’est alors que « deux puissantes mafias se mettent d’accord », l’une algérienne et l’autre russe, pour se partager ce butin. Ce dossier, traité au plus haut sommet de l’État, présente « des caractéristiques d’une mise à sac en règle du Trésor public algérien. [10] » Et lorsque, après 12 ans de « remboursements », M. Titerenko, ambassadeur de la Fédération de Russie à Alger, s’exprime devant la presse en juin 2004, le montant de la dette qu’il évoque est toujours de « 4 milliards dollars » et il peine à expliquer pourquoi des acteurs non « accrédités » par les mafias russe ou algérienne ne parviennent pas à participer à cette manne. Une autre affaire, impliquant la Banque commerciale et industrielle d’Algérie (BCIA) [11] cette fois, est tout aussi révélatrice du rôle mafieux dévolu à l’institution bancaire. Prise en flagrant délit d’escroquerie aux dépens d’une succursale de la banque publique BEA pour un montant de quelque 45 millions d’euros (en une transaction), la BCIA serait passée au travers des mailles du filet et pu réitérer l’arnaque à l’infini si le scandale n’avait éclaté. Toutes les institutions contrôlées par la présidence (donc de Larbi Belkheir), Brigade économique et financière, IGF et Présidence, fondent alors sur elle pour la dissoudre en un temps record (un mois). Les bénéficiaires de l’escroquerie ont évidemment eu le temps de migrer avec leur butin vers l’Europe, tandis que les principaux actionnaires de la banque, « la famille Kherroubi » se seraient réfugiés en Espagne, à l’abri des poursuites. Dossier clos ! Les banques publiques sont si souvent victimes de leurs propres directions, pour des sommes faramineuses, que cela en devient la norme [12]. Un lampiste, à l’identité invérifiable, est parfois « arrêté », tandis que les principaux acteurs volent vers la France où leur parviendront les échos ténus de leur jugement par contumace, qui n’aura jamais de suite. La prévarication atteint un tel degré que tenter de la décrire revient à la sous-estimer [13]. La certitude de l’impunité et telle que les escrocs n’hésitent plus à puiser l’argent dans les caisses du Trésor, sans ménagement. Il suffit par exemple de solliciter un crédit et de ne pas le rembourser, charge ensuite aux gérants de la banque, aux ministres concernés, au président de la République, etc., de pourvoir à la clôture du dossier... « L’investisseur » change de quartier ou de succursale et recommence. Le taux de non-recouvrement des créances dépasse officiellement le taux effarant de 75 % [14] ! Mais, au-delà du gouffre que cela laisse dans les caisses publiques, la pratique n’est que le premier cran d’un enchaînement qui fait de l’activité économique le monopole de mafias « accréditées ». Témoin, cette récente offensive contre le secteur juteux de l’alimentaire : « Les 188 entreprises publiques économiques (EPE) qui activent dans l’agroalimentaire sont plus que jamais condamnées “à s’ouvrir à l’investissement privé”, soutiennent des sources autorisées [les privés]. Dans le cas contraire, elles “seront à coup certain éjectées du marché”. [15] » Pourquoi ? « Évoluant dans une branche où la concurrence loyale et déloyale bat son plein, il n’y a pas plusieurs choix de sortie de crise pour ces EPE, mis à part celui “de recourir aux capitaux privés”. » Voilà donc une des méthodes imparables qui créent les conditions propices à l’investissement étranger en Algérie : ruiner le Trésor public pour pouvoir imposer une « concurrence déloyale », puis ruiner les entreprises publiques pour les vouer à la privatisation au profit de joint-ventures réunissant « concurrent déloyaux », barons du régime et investisseurs étrangers « aimant » l’Algérie. Ces entreprises grabataires redeviendront alors bénéficiaires, par le seul « miracle » de la privatisation, en deux temps trois mouvements [16]. Il existe une autre incidence de cette dynamique, plus sournoise : les journaux télévisés français, comme celui de David Pujadas [17], justifient ce pillage systématique par « le manque de compétence » en Algérie, contribuant ainsi par petites touches à dépeindre le peuple algérien sous des traits peu flatteurs d’incapables, justifiant a posteriori le sort peu enviable qui lui est réservé. Tels sont quelques-uns des ingrédients du « libéralisme » financier algérien. Mais il n’y a pas un secteur qui échappe à cette insatiable razzia. Razzia sur le foncier Selon un rapport du CNES, « l’on assiste depuis des décennies à une dilapidation effrénée des terres à haut potentiel économique, notamment dans les régions du Nord. [...] Les prix de cession du domaine public procèdent le plus souvent des mesures accommodantes et des transactions privées qui gardent un caractère confidentiel. » Principaux foyers de cette hémorragie, la Présidence et le ministère de l’Agriculture, ce dernier ayant joui en juillet 2000 d’un budget spécial de modernisation, appelé Plan national de développement agricole (PNDA), d’un demi-milliard d’euros annuellement. Selon Le Soir d’Algérie, cet argent n’a servi qu’« à enrichir une meute de rentiers », dont des proches du ministre de l’Agriculture Saïd Barkat. Car la principale activité à laquelle celui-ci se consacre consiste à « privatiser » les terres agricoles, pourtant inaliénables.