Exister malgré la répression. Dépasser le corporatisme. S’unir contre les tentatives de division. Sur tous les fronts, les jeunes syndicats autonomes amorcent une étape difficile. Car pour s’imposer comme partenaires sociaux, ils doivent désormais s’organiser. Mais la base est derrière eux. Même pas une surprise. Le propriétaire de la Maison des syndicats, à Bachdjarah, qui devait accueillir le premier Forum syndical maghrébin, a été convoqué par le wali d’Alger. Mais qu’importe, aujourd’hui et demain, le syndicat des personnels de l’administration publique (Snapap) maintient la rencontre où sont invités, entre autres, des Tunisiens, des Marocains et des Mauritaniens pour discuter de l’état de la lutte sociale au Maghreb. Cynique anecdote : jusqu’à demain, l’Algérie officielle accueille l’Organisation de l’unité syndicale africaine pour parler du « manque de dialogue social au centre des crises en Afrique » et exposer le cas de l’Algérie comme « un exemple à suivre ».
Bloqués, matraqués, menacés… Depuis la rentrée sociale 2009, les syndicats autonomes ont pris l’habitude de se faire refouler partout où ils passent. Mais ils s’organisent. Le syndicat des professeurs du secondaire (Snapest) et de l’enseignement supérieur (Cnes), ont lancé début avril l’Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) où ils invitent les autres syndicats à les rejoindre. Toujours début avril, l’union du personnel de l’éducation (Unpef), la coordination des professeurs du secondaire (Cnapest) et deux syndicats de la santé (généralistes et spécialistes) ont de leur côté, créé la Confédération des syndicats algériens. De telles initiatives ne sont pas nouvelles.
Sur le papier
« Depuis une dizaine d’années, il y a eu des tentatives, rappelle Mohamed Yousfi, président du syndicat des spécialistes de la santé. Elles n’ont pas abouti mais nous avons tiré des leçons de ces expériences. Il n’est pas question de former une alliance conjoncturelle. Nous prenons notre temps, pas de précipitation. » Ces rapprochements – même s’ils n’ont pas encore été agréées par l’Etat – inaugurent-ils une nouvelle ère pour la lutte sociale ? « Parler de renouveau ? Peut-être pas. Mais plutôt une nouvelle phase, une adaptation des syndicats aux données du terrain. Réfléchir à de nouvelles formes d’organisation est, certes, un bon signe en soi, mais reste à mon sens insuffisant pour donner du souffle au syndicalisme algérien », analyse Abdelmelek Rahmani, coordinateur Conseil national des enseignants du supérieur.
« Dans l’absolu, les initiatives de regroupement annoncent des changements mais dans le cas de l’Algérie, on n’est pas sûrs que ces unions répondent à une demande de la base, analyse Larbi Graïne, auteur de Algérie, naufrage de la Fonction publique et défi syndical, paru chez l’Harmattan en mars dernier. Le mouvement des syndicats autonomes remonte à une dizaine d’années. C’est à l’époque des événements en Kabylie que de grandes décisions ont été prises comme la saisine des instances internationales par le Snapap. Je ne vois pas ces rapprochements comme un élément de rupture, plutôt comme une continuité. »
Derniers espaces
Du même avis, Larbi Nouar, coordinateur des enseignants du secondaire, ajoute : « Ouvrir des espaces plus larges pour créer un front qui donnerait plus de force à la lutte syndicale est un développement logique pour un mouvement syndical. » Mohamed Yousfi nuance également : « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un changement dans le sens où le syndicalisme algérien est très jeune. Officiellement créé dans les années 90, il n’a pas eu de réelle activité pendant la décennie noire. Pour les syndicats autonomes, c’est encore plus vrai. Sur le papier, on existe mais en pratique, nous ne sommes toujours pas reconnus par l’Etat ! Pourtant, près de 80% des travailleurs de la Fonction publique sont adhérents dans les syndicats autonomes ! » Sadek Dziri, président de l’Union nationale du personnel d’éducation et de formation insiste quant à lui sur la nécessité de « créer d’autres centrales syndicales.
Notre espoir est de voir le nouveau code du travail appliqué dans toute sa rigueur : il ouvrira le champ au multi-syndicalisme. » Mais pour Larbi Graïne, les blocs – coalitions informelles – existent déjà. « Il y en a deux : celui composé par les médecins, les spécialistes de la santé publique et le Cnapest. Et celui composé par le CLA, le Snapap et le Sapes. On pourrait qualifier le premier de « réformiste ». Ses principales revendications : l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions socioprofessionnelles. Le deuxième bloc, plus « radical », veut assortir ses revendications de demandes politiques : participation au projet de l’éducation ou à la lutte contre la corruption. »
Reste une réalité : depuis trois ans, et en particulier depuis la dernière rentrée sociale, les syndicats autonomes prennent de plus en plus de place dans l’espace social. Et les syndicalistes le disent : si les mouvements sont si suivis et les adhérents toujours plus nombreux, c’est parce que les syndicats restent « les derniers espaces d’expression libre ». Mais pas seulement.
Abandonnés
« L’orientation libérale et l’annihilation de la politique sociale ont provoqué le basculement de catégories entières dans la précarité et la misère, indique le dernier rapport du Comité international de soutien au syndicalisme autonome Algérie (Cisa). L’ajustement structurel et la pression sur les salaires ont frappé de plein fouet les travailleurs en général. L’éducation et la santé ont payé au prix fort la thérapie à courte vue et globalement inopérante du FMI. Et ce recul social n’est aujourd’hui combattu que par les syndicats autonomes. » Cela suffit-il pour autant à légitimer les syndicats autonomes comme de véritables partenaires sociaux ? Non. Aussi populaires qu’ils soient, les jeunes syndicats doivent encore relever des défis. « Dépasser le corporatisme et s’imposer comme force syndicale représentative », prévient Méziane Meriane, président du Snapest.
« Pour l’instant, une trop forte subjectivité entre les différentes directions des syndicats empêche l’émergence d’un pôle syndical puissant, relèvent de leur côté Idir Achour, du CLA, et Abdelmalek Rahmani, du CNES, tout en refusant de parler de rivalités. Les syndicats ont toujours peur d’être abandonnés par l’autre en cours de route. Les alliances ont atteint leurs limites : on voit bien que si les syndicats se regroupent par corporations (adjoints de l’éducation, professeurs docents, techniciens du paramédical…) ils ont en revanche beaucoup plus de mal à former des fédérations en transcendant leurs secteurs. Voilà pourquoi je crois davantage à une solidarité syndicale. »
Clonage
L’enjeu est de taille puisque seule cette représentativité est à même de leur assurer une reconnaissance de la part des pouvoirs publics qui les regardent encore comme des syndicats de corporation. Et ce n’est pas gagné. Car comme le note le dernier rapport du CISA : « En Algérie plus qu’ailleurs, être syndicaliste est aujourd’hui un combat difficile de tous les instant. Dans l’Algérie des années 2000, animer un syndicat autonome consiste autant à défendre les travailleurs qu’à esquiver les manœuvres incessantes de déstabilisation, d’infiltration et de corruption du pouvoir, qui le tolère sans le reconnaître officiellement. »
Concrètement, depuis les années 1990, les syndicats font l’objet d’un scénario classique, peut-on lire. Ce que les militants appellent « le clonage » : à l’intérieur de syndicats authentiquement autonomes, « une dissidence » est créée, débouchant rapidement sur une scission, en manipulant les militants les plus opportunistes ou les plus fragiles. « Le seul objectif étant de mettre au-devant de la scène une organisation nouvelle, clone de l’originale, prêt à tous les compromis avec le régime. » Comme le fait déjà l’UGTA à laquelle les syndicats autonomes et les ONG ne font aucun cadeau. « L’UGTA a perdu du terrain, même si les pouvoirs publics lui restent totalement « fidèles » au détriment des véritables représentants des travailleurs », souligne ironiquement Abdelmalek Rahmani du CNES. « Ancienne organisation de masse du parti unique, elle n’est plus qu’un instrument, totalement discrédité, de contrôle social, note encore le rapport du CISA.
Privée de toute représentativité, dirigée par des hommes notoirement impliqués dans des scandales financiers, la vieille centrale n’est plus que l’ombre spectrale du syndicat d’Aïssat Idir. » Symptôme du malaise ambiant : aucune voix officielle n’a souhaité s’exprimer. « L’UGTA n’est plus représentative des fonctionnaires, ni d’un secteur économique public en complète déliquescence, ni même d’un secteur privé où toute velléité syndicale est étouffée. Je me le demande : que lui reste-t-il ? », s’interroge Mohamed Yousfi. « Si elle veut continuer à exister, l’UGTA devra revoir beaucoup de choses : son organisation, son fonctionnement et surtout sa relation au travailleur, ajoute Lyes Merabet, président des praticiens de la santé. Et surtout, ne pas rester figée dans des considérations politiques. »
Mais l’avenir de l’UGTA n’a « en soi pas d’importance », souligne Larbi Graïne. « La démocratie est le seul moyen pour les travailleurs de s’exprimer, via des organisations qu’ils auront eux-mêmes choisies. Mais tant que les députés continueront de toucher les salaires qu’ils perçoivent actuellement, l’UGTA aura de beaux jours devant elle… »
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La répression contre les syndicats accentue les risques d’une explosion sociale incontrôlée
« La manière dont les grèves ont été réprimées par les autorités montre que les libertés syndicales et le droit de grève sont en danger en Algérie », peut-on lire dans le rapport « La mal-vie : rapport sur la situation des droits économiques, sociaux et culturels en Algérie », présenté en avril à au comité de l’ONU sur les droits économiques, sociaux et culturels par la Fédération internationales des ligues des droits de l’homme, le Collectif des familles de disparus en Algérie et la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme.
« La persistance de la répression contre les syndicats et les travailleurs qui revendiquent le respect de leurs droits ne peut qu’accentuer les risques d’une explosion sociale incontrôlée déjà fortement présents dans la société. Elle conduit les fonctionnaires dans des manifestations interdites mais pacifistes, et les autres, salariés du privé, femmes au foyer, chômeurs, à descendre dans la rue pour attaquer les symboles du pouvoir (wilaya, agence du logement). Les syndicats autonomes sont exclus de fait des rares processus de négociations (consultation lors de l’élaboration des plans nationaux de développement économique et social, pour l’enrichissement de la législation du travail, négociation des conventions, représentation aux conseils d’administration des organismes de Sécurité sociale, au conseil paritaire de la Fonction publique et à la commission d’arbitrage…) »
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Des leaders entre syndicalisme et opposition
Ils ne font jamais la Une de journaux. On ne se souvient pas toujours de leurs dernières déclarations. Fourmis ouvrières –porte-paroles investi d’un mandat- préférant l’ombre à la lumière, nos chefs syndicaux ne sont-ils pas pour autant de vrais leaders ? « Le mouvement est encore trop jeune et nous n’avons pas encore de culture syndicale, analyse Mohamed Yousfi. De plus, nous devons évoluer dans l’adversité et la répression, être sur tous les fronts. Il faut du temps pour voir émerger des leaders… » Le sociologue Nacer Djabi souligne que dans les années 70, les grèves étaient bien menées par des leaders « qui oscillaient entre syndicalisme et opposition (berbéristes, trotskystes, pagsistes, islamistes…). »
Depuis, ils ont évolué. « Les responsables des syndicats autonomes ont tous fait des études supérieures et leur classes dans les mouvements estudiantins des années 80, le Pags, le mouvement culturel berbère, ou l’Union national de la jeunesse algérienne affiliée au parti unique, explique Larbi Graïne. Ils sont le produit de deux processus contradictoires : ils ont une formation universitaire et ont été enrôlés dans des logiques de déclassement social. Ce qui leur a permis de vite comprendre et démanteler le discours des pouvoirs politiques. Mais ils ont fait les frais de la chute des partis politiques : avec le recul des libertés publiques, leur champ d’action s’est trouvé rétréci. » Pour Sadek Dziri, « un leader syndical doit se sacrifier pour l’intérêt des travailleurs », jusqu’à s’effacer devant « la vision syndicale » pour Abdelkader Rahmani.
« Mais il est vrai que par ailleurs, en jouant l’amalgame, les pouvoirs publics créent une situation exceptionnelle de suspicion, précise Lyes Merabet. Du coup, il est compliqué pour un leader d’assumer une position car on lui prête toujours une arrière-pensée. L’opinion publique pourrait se détourner de nous, pensant que les syndicalistes se chamaillent comme les politiques pour des questions de leadership… » Finalement, on touche là au fond du problème. « Oui, on peut dire que nos leaders syndicaux sont des leaders mais c’est l’opacité entretenue par la contrefaçon (clonage) qui rend l’émergence de personnalités difficiles. ».
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